Entretien et dégustation au domaine dans le cadre d'un voyage estival en Péloponnèse (épisode 2).
Georges Tsibidis, propriétaire des lieux, est physisien de formation et "enfant du pays". Même s’il appréciait le vin, ce n’était pas suffisant à susciter une vocation particulière de créer un domaine viticole dans la région sauf que, depuis longtemps, le souvenir de son riche passé le titillait. Monemvasia était une place stratégique au niveau des voies maritimes (en tant que port commercial et forteresse militaire) et son vin fameux qui en était le symbole, la malvasia, méritait de retrouver la place qui était jadis la sienne. C’est l’unique raison qui l’a conduit à changer de vie en 1997, comme il nous en fait part.
« La malvasia, c’est une histoire de trois siècles puis les ottomans sont arrivés au milieu du 16ème et on n’a plus commercialisé mais continué malgré tout à produire à titre privé. L’émergence d’autres zones de production (Crète, Croatie, Italie,…) a ensuite fait chuter cette production. Lorsque j’étais étudiant, tout partait en vrac et la région, même en dehors du vin, avait perdu toute renommée. Au regard de tant d’années d’histoire fabuleuse, cela me peinait car, sentimentalement, je me sentais lié à ce passé et je considérais que c’était comme un besoin existentiel, un devoir de m’engager à redonner un peu de lustre à cette région. En tant que physicien, je n’y connaissais rien mais j’ai eu la chance de rencontrer Stavroula Kourakou-Dragona [ancienne ministre de l'agriculture et auteure d'ouvrages de référence sur le vin grec, ndla]. Elle nous a guidé, conseillé, fait rencontrer des viticulteurs et œnologues et ce fut donc le départ d’un aventure incroyable et d’un pari audacieux. Sous son égide et celui de l’OIV grec, notre apprentissage a été complété par plusieurs rencontres scientifiques pour répondre à nos questions quant aux caractéristiques de ces variétés qui entraient autrefois dans la malvasia (données variétales, profil gustatif, etc..). On a débuté en achetant des raisins puis, dès que l’on a obtenu les droits, on a pu commencer à planter ces cépages anciens, devenus rares, pour se mettre en cohérence avec le passé historique de la malvasia, tel que les écrits de l’époque le relataient.
Dans la foulée, on a introduit un dossier pour obtenir la reconnaissance d’une AOP, ce qui a été concrétisé, après 14 ans d’efforts, le 23/7/2010 (soit ironiquement à la même date que l’arrivée des ottomans en 1540). Ce qui me rend encore plus fier est d’avoir réussi à produire un vin de grande qualité, à la mesure de son passé, ce qui n’était pas gagné d’avance. Et heureusement que l’on n’avait pas imaginé au départ la somme de travail et d’investissement que cela représenterait car on ne se serait jamais lancé dans cet aventure. La dimension sociale et quasi existentielle qui est sortie de ce projet est une sorte de récompense. Et puis, en outre, la reconnaissance de la malvasia est venue des grecs et a été très rapide car, dès le début, il y a eu des commentaires dithyrambiques ».
Georges Tsibidis
La malvasia fut et reste encore maintenant le cœur et le centre névralgique du domaine, même si ce n’est pas elle qui le fait vivre. Le reste de la gamme est venu par après, principalement pour des raisons économiques, car initialement, il n’était guère question de fonder un domine viticole mais seulement de faire revivre le passé. Pour Georges Tsibidis, la malvasia dépasse la notion de cru et représente, dans le monde méditerranéen, voire au-delà, un concept de vin liquoreux faisant l’objet d’études historiques et œnologiques. Il existe divers organismes qui l’étudient et plusieurs symposiums scientifiques sont organisés à ce sujet. Il est difficile de savoir qui en a la paternité mais les ports et les routes maritimes ont joué un rôle important pour la diffusion au moyen-âge et à la renaissance. On peut supposer que les vignobles autour de ceux-ci sont pour beaucoup à l’origine du breuvage. Par ailleurs, ces études sur la malvasia ont également permis de jeter un regard nouveau et plus aiguisé sur le vin en Laconie aujourd’hui et dans l’antiquité.
Actuellement, le domaine compte une trentaine d’hectares dont environ vingt sont en fait dédiés à la malvasia, au moins partiellement. Celle-ci a de facto provoqué de l’intérêt pour les cépages qui la composent et leur renaissance même si le kydonitsa était relativement répandu dans la région. On fait à l’heure actuelle pas mal de recherches sur l’asproudi, par exemple, pour savoir comment on peut le vinifier en mono-cépage. Ce cépage, très sensible à l'oïdium, n’a pas toujours été bien considéré et même presque rejeté mais Georges Tsibidis « avance » et veut y croire
:"Sans doute faudra t-il le commercialiser avec un peu de vieillissement car il évolue bien qualitativement et c’est dommage de la boire trop jeune. Mais là aussi, c’est un problème d’éducation : le public veut le vin de l’année… Pourtant, j'estime que cela fera une grande bouteille dans 10 ans !"
En ce qui concerne les cépages rouges, le domaine dispose du mavroudi mais précise d’emblée que les choses ne sont pas claires pour ce cépage, certains le confondent avec l’agiorgitiko, et comme pour l’asproudi, il faudrait faire des études plus poussées pour bien isoler ses caractéristiques. Il y a aussi le limnionia qui a été récemment planté par lui et par un autre domaine. Et, sur un autre plan, des recherches sont effectuées pour identifier les levures typiques de la région.
Une des parcelles du domaine
Même si c’est à la marge, le terroir n’est pas homogène : les expositions varient, la teneur des sols en minéraux, la proportion d’argile, de calcaire, de sable également. Les grappes qui entrent dans la malvasia proviennent tant d’une sélection des raisins que d’une sélection de la parcelle. Il faut savoir aussi que le monemvasia et l'asproudi peuvent aller jusqu’à 15/16 degrés potentiel, le kydonitsa pas. Mais ce qui est crucial pour le passerillage, c’est l’état sanitaire de la vendange pas sa richesse en sucre.
Toujours concernant la malvasia, Georges Tsibidis ajoute :
"certains voulaient étendre l’aire de manière assez large mais cela ne s’est pas fait car le terroir n’aurait plus été assez homogène. [En réponse à une question], Il y a des choses en commun avec le vinsanto de Santorin mais la malvasia présente un peu plus de finesse (taux de sucre inférieur – 180 vs 240 – et souvent moins d’acidité volatile également) et , évidemment, une histoire différente et plus riche. Le climat de Santorin est différent, il y a plus d’humidité le soir et cela peut déboucher sur la présence d’un peu de pourriture et des bactéries qui vont avec".
Ce qui sert aujourd'hui de salle de dégustation...
Revenant sur le terroir, Georges Tsibidis continue :
"Le domaine est dans une période transitoire vu la construction des nouvelles installations. Quand ces soucis seront derrière nous, le focus sera mis sur le vignoble alors qu’il est un peu négligé pour l’instant. Les sols sont très pauvres. Il est important d’aboutir à un plan de culture global notamment pour le compost (au départ des déchets locaux) et la gestion de l’eau. Ceci est d’ailleurs un problème global pour la région et pas seulement pour la vigne. Ensuite, il faudra faire des recherches pour déterminer les meilleurs emplacements pour planter ou replanter la vigne (endroits plus adéquats, plus en altitude,…). A la limite, il faudrait déplacer le vignoble car, ici, on est presque en Afrique comme conditions (aujourd’hui à 100 / 120 m alt)". L’idée est de remplacer le goutte à goutte par un système souterrain d’irrigation." (création de citernes alimentées par des barrages, si nous avons bien compris, ndla).
Les nouvelles installations, permettront de faciliter le rêve du domaine de constituer des stocks pour suivre l’évolution de ses vins, surtout pour la malvasia mais aussi pour les vins secs. C’est une pure question économique qui empêche que cette volonté soit concrétisée de manière moins minimaliste qu’à l’heure actuelle mais aussi, accessoirement, une question d'espace. Et, sur un plan général, Georges Tsibidis ne veut plus vendre les vins de l’année car ils ne sont pas suffisamment prêts.
Le domaine qui produit actuellement 250000 bouteille (dont 3000 à 5000 litres de malvasia selon les années) exporte 35% mais ne néglige pas le marché grec :
"Alors que souvent la demande de vrac domine, nous, on insiste sur le vin en bouteilles, on a une bonne présence sur le marché local et on insiste aussi sur un service adéquat, notamment pour la verrerie, au travers de la formation des clients. Et pour ce faire, je me base sur mes propres forces, je n’attends rien de l’état; je vais le faire moi-même car il faut créer l’exemple et bâtir une référence. Pour les restaurateurs de la région, c’est un investissement pour le futur, même si en fait ils ne le paient pas cash puisque je finance ce support par un crédit, mais peu de personnes, à l’heure actuelle en sont conscientes. La plupart cherchent à maximiser leur profit immédiat. Il faut faire passer l’idée, aussi chez eux, que le vin dépasse la seule notion de boisson et ouvre d’autres horizons et fait voyager ; et alors sa valeur ajoutée devient terrible : ils vont peut-être gagner un peu moins dans l’immédiat mais ils vont enclencher une spirale qui leur permettra de gagner davantage dans l’avenir. Et, au bout du compte, c’est toute la viticulture de la région qui en sortira gagnante."
La région de Velies où l'on peut constater que l'olivier a remplacé la vigne... mais pas partout...
Les vins
(dégustés concomitamment aux échanges, ce qui ne facilite pas la rédaction de notes)
Kydonitsa 2017
Petite macération à froid, levures indigènes et de culture, 13% vol. d’alcool (les autres cépages donnent plus de potentiel), 5,6 gr d’acidité en h2so4.
Bouquet avenant sur le citron et autres agrumes confits, pas très complexe. Juteux, élégant et joliment fruité en bouche. La concentration et la longueur restent très moyennes. Vin facile qui manque un peu de présence mais reste désaltérant.
Monemvasia 2017
14% vol. Fermentation en cuve inox à basse température au départ de levures sélectionnées. Stabilisation et élevage en cuve inox.
Nez discret sur les fruits blancs et les herbes aromatiques. La bouche est puissante, ronde, épicée avec une rétro qui marque davantage les arômes. On a du vin et de la présence en bouche, marquée par une belle longueur. L’alcool se perçoit un peu sans que cela ne soit dérangeant.
300 white 2017
Assemblage de kydonitsa et assyrtiko pour ce millésime (mais cela varie d’année en année). Fermentation en cuve inox à basse température au départ de levures sélectionnées. Stabilisation et élevage en cuve inox.
Bouquet floral et bien épicé de bonne intensité. La bouche, juteuse, suit dans le même registre aromatique avec une belle matière associant rondeur et finesse. Persistance appréciable qui laisse le palais léger. Fait penser à un gewürztraminer sec d’année froide…
Akraminoa 2017
Assemblage d’asproudi, malagousia et monemvasia. Fermentation en cuve inox à basse température au départ de levures sélectionnées. Stabilisation et élevage en cuve inox.
Le bouquet se laisse peu appréhender. On distingue furtivement de la pêche jaune, des fruits à noyau et quelques agrumes. En revanche la bouche révèle un fruit mûr très prégnant (abricot, pêche). C’est assez rond et de bonne concentration, très malagousia. L’équilibre est présent mais, malheureusement, l’ensemble tombe assez vite et l’ensemble pourrait faire preuve de davantage de persistance.
Asproudi 2017
14,5 % vol. Fermentation en cuve inox à basse température au départ de levures sélectionnées. Elevage en barriques pendant 4 mois.
Bouquet bien ouvert et déjà complexe. C’est très floral d’emblée (acacia) pour évoluer vers de fines notes citronnées puis des fruits blancs (pêche et mirabelle). La bouche est puissante, ample et concentrée. Du gras et de l’alcool tout en conservant de la fraîcheur. Belle persistance avec une rétro sur le marc.
Limnonia 2010
Premier millésime de ce vin (le cépage, disparu de la région, a été replanté par le domaine en 2005). Vendange récoltée en légère surmaturité puis égrappée. Moût levuré. Macération d’une dizaine de jours avec écoulement d’une partie des jus pour concentrer la matière. Elevage en barriques pendant 1 an.
Nez puissant et fruité (prune, cerise confite, mûre) avec un léger boisé et des notes d’herbes aromatiques. Bouche droite et enveloppante avec des tanins encore présents mais fondus. Savoureux et long
Monemvasios 2009
Assemblage d’agiorgitiko (en grande majorité) avec un peu de mavroudi pour la complexité (acidité et tanins). Vendange égrappée. Moût levuré. Macération longue à 28°. Elevage en barriques pendant 1 an.
Fruits rouges marqués au nez (surtout la cerise) avec des notes de moka. C’est simple mais pas simpliste. La bouche est ronde, veloutée et fruitée. L’élevage se fait oublier. C’est bien mûr, pas alcooleux et de persistance correcte.
300 red 2005
Assemblage moitié-moitié d’agiorgitiko et mavroudi. Vendange égrappée. Moût levuré. Macération longue à 28°. Elevage en barriques pendant 18 mois.
Le nom « 300 » fait référence aux 300 de Leonidas (300 hoplites lourdement armés représentant la garde personnelle du roi Leonidas)
Bouquet de fruits rouges et noirs mûrs avec des notes de thé et de tabac. Reliquat d’élevage discret. Sous bois (feuilles mortes et humus) trahissant un début d’évolution du vin. La bouche et souple et fraîche malgré quelques traces tanniques rémanentes. Belle finale élégante.
Malvasia
Assemblage de kydonitsa, monemvassia, asproudi et assyrtiko. Paserillage sur sol pendant une dizaine de jours. Fermentation lente en cuve. Elevage en barriques pendant 2 ans. 13% vol. et 180 gr sucre résiduel.- Pas noté de millésime
Bouquet subtil et complexe d’épices orientales, de fruits confits, de miel et de caramel. La bouche est magnifique de finesse et d’élégance bien soutenue par jolie acidité fruitée. Aucune surcharge de sucre. Très belle longueur.
Une idée du passerillage sur sol
Pierre