Il y a une semaine, je me suis lancé dans une expérience à 100e...
Lors d'une discussion récente sur l'expressivité des vins de Dönnhoff, j'avais émis l'hypothèse issue d'un ressenti selon lequel les terroirs s'exprimaient davantage en vins jeunes dans les vins alsaciens qu'allemands du fait de la vinification (avec plus de soufre, des élevages plus courts, sans données chiffrées pour l'instant mais que je vais chercher.).
J'ai eu envie de comparer deux vins références dans leurs pays : l'Hermannshöhle Grosses Gewächs 2010 de Dönnhoff et le Riesling Clos Windsbuhl 2010 de Zind-Humbrecht :
Hermannshöhle 2010 :
Robe ; paille assez claire, quelques bulles de CO2 très fines et éparses sur la paroi du verre. Larmes pas très visibles.
Nez : nez discret au départ de pêche jaune, de raisin frais dorés/concentrés/passerillés.
Bouche : entrée légèrement marquée par le gaz mais ça ne dure pas. La bouche est ample mais droite, épaisse/glycérinée mais pas lourde, présente. Les arômes sont fermés, derrière la pêche on trouve peut-être une légère salinité (pierre chaude) mais c'est discret. Aromatiquement jeune (mais au-delà des arômes fermentaires qu'on trouvait encore il y a 2 ans), assez tendu pour cette richesse, il ne fait pas de vague mais dure, dure...
Conclusion : Excellent. Vin ciselé, qui sort de sa première jeunesse et n'exprime pas encore les arômes de son terroir, seulement sa structure (orientation plein Sud, en forte pente, millésime tendu par essence). Nécessite beaucoup de temps.
Riesling Clos Windbuhl 2010 Zind-Humbrecht :
Robe : Paille plus foncée que le vin précédent, des reflets or. Je suis surpris d'y observer beaucoup plus de bulles de CO2 que le vin précédent.
Nez : un peu plus ouvert (mais il a bénéficié de 15 min d'aération supplémaires). Quelques notes de citron, de pierre mouillée, mais très discret.
Bouche : l'acidité s'impose dès le début de la bouche, mordant la langue. La bouche est tendue, sêche, saline, elle possède une ampleur certaine qui est aujourd'hui mise au pas par cette acidité salivante présente. La finale est très sêche, austère, sur l'odeur de pluie. L'odeur de caillou passe avant les fruits jaunes qui sont en retrait. Ce n'est pas un vin facile.
Conclusion : Très bien/Excellent. Je ne m'attendais pas à un vin aussi tranchant mais il exprime plus que le précédent la forte acidité du millésime (qui va lui conférer une très grande garde). On a vraiment l'impression de sucer du caillou (avec des arômes de silex, de pluie). Mon expérience avec le Clos Windsbuhl est limitée mais ces arômes me semblent correspondre à ceux que l'on attend d'un riesling sur calcaire/Muschelkalk.
30 minutes plus tard :
Hermannshöhle Gosses Gewächs 2010 Dönnhoff :
- le nez se tend un peu : moins de fruit jaunes, pierre chaude mouillée. Et 10 min plus tard, avec l'élévation de la température, il se développe : pêche blanche/jaune, très retenu mais aussi intense.
- Bouche : gras magnifique qui donne de l'ampleur - légère sensation de sucre résiduel/botrytis et domine l'acidité intrinsèque du millésime. Vin majestueux, qui impose sa puissance et son harmonie retenues. Plénitude, harmonie, c'est beau, précis, réfléchi, et affable sans être trop imposant.
Lorsqu'il est à température ambiante, c'est l'extase : du gras, des arômes d'herbe sêchée, la salinité est encore présente, il n'est nullement lourd malgré ses 13,5%, c'est la classe tout simplement!
Conclusion : Excellent/Grand : il y a tout dans ce vin : la jeunesse, le caractère majestueux, la présence évidente sans ostentation, c'est bon. On a connu des nez plus complexes mais il se délie au fur et à mesure que sa température augmente.
Riesling Clos Windsbuhl 2010 Zind-Humbrecht :
Nez : lui va nous faire tourner en bourrique! Odeur de craie qui prend le dessus sur les fruits. Craie mouillée. L'ouverture ne lui apporte guère : vin particulièrement minéral/serré
Bouche : toujours tendue, salivante, l'odeur de pluie est particulièrement présente. Donne l'impression s'être plus court, moins majestueux que l'autre vin mais il est également plus incisif, plus tranchant, plus expressif de son terroir et du millésime
Conclusion : Très bien encore voire Excellent. Tendu, salin, long, pénible pour l'instant mais qui a tout pour lui.
Dégustation à J+1 :
Dans les 2 vins, les bulles de CO2 étaient plus présentes que la veille et le bouchon avait tendance à sauter. Les vins sont bus à température ambiante cette fois-ci pour qu'ils puissent bien s'exprimer.
Hermannshöhle Grosses Gewächs :
Nez : fleurs blanches, légère odeur de citron; le nez est cadenassé
Bouche : toujours ample, majestueuse, longue/épaisse en bouche sans lourdeur, avec certainement quelques grammes de SR. Le vin présente l'épaisseur et la douceur de l'huile et cette fois-ci, je sens un aspect salin qui ne s'était pas exprimé hier et fait saliver. Il est long, d'apparence assez monolithique aromatiquement parlant mais sûr de lui.
Riesling Clos Windsbuhl 2010 :
Nez retenu dans lequel on perçoit un fond de fruits jaunes/agrumes mais surtout l'odeur de pluie/pierre mouillée ou goût de craie.
La bouche se montre plus onctueuse/harmonieuse qu'hier, mais tendue par l'acidité et très sêche. Elle marque par un caractère crayeux/salin, fait vraiment saliver, bref possède une rigueur intrinsèque qui lui assure un grand avenir. Avec un niveau très en-dessous, je repense au Riesling Rosacker 2008 de la cave d'Hunawihr raide comme un passe-lacet mais droit comme un I - avec nettement moins de gras/maturité.
Conclusion :
- quelle belle comparaison entre ces deux vins qui ont tous les honneurs et les méritent. L'expérience et le savoir-faire accumulés dans ces deux domaines m'inspirent beaucoup d'humilité.
- la nette différence de couleur me fait m'interroger sur le potentiel de garde de ces vins. Selon mon expérience, le 2003 de l'Hermannshöhle est encore très jeune, ne fait pas son âge, et je ne sais pas dire aujourd'hui ce qu'"est" le terroir de l'Hermannshöhle (alors que le riesling sur calcaire Muschelkalk donne des indices)
- la minéralité/le caractère du terroir ressortent à mon avis davantage sur le vin d'Olivier Humbrecht que celui de Cornelius et Helmut Dönnhoff : je remarque l'acidité du millésime dans le Clos Windsbuhl plus que dans le caractère relativement tendre/apaisé de l'Hermannshöhle, ses arômes de pluie/craie mouillée...
- la différence de couleur entre les deux vins est frappante. Elle me conforte à penser que les différences de vinification (durée d'élevage entre autres) font que les rieslings d'Helmut et Cornelius évoluent très lentement par rapport à ceux d'Olivier (et la plupart des rieslings alsaciens à mon avis).
- J'ai effectué cette dégustation comparative pour apporter un élément de réponse argumenté à une question qui a été posée et je me rends compte que finalement je m'en moque : on a de très beaux vins ici, élaborés avec soin et intelligence qui transmettent la quintessence de leur terroir.
David Chapot.