Une semaine près d’Oléron, la découverte des Armagnac qui y sont arrivés avec nos amis, un vendredi qui s’annonce pluvieux… tous les facteurs sont réunis pour que nous cédions à la tentation de nous cultiver un peu. La décision est prise, il faut donc se mettre en quête du domaine idéal pour notre visite, choisi avec soin et l’aide d’une
discussion
fort instructive.
Après un long périple sous la pluie charentaise, nous voilà donc arrivés près de Segonzac, à Biard, charmant îlot de pierres en plein cœur de l’océan vitifère que l’on nomme Grande Champagne. Le parcours fléché nous mène tout droit à un joli corps de ferme où nous accueille notre guide. Le temps que nos camarades, perdus dans la tourmente, nous rejoignent, nous découvrons la chaleureuse salle de dégustation où l’on apprend un peu d’histoire et de géographie du Cognac.
Puis on passe à la visite proprement dite. La première salle comprend les cuves bétons et les alambics, qui datent de plus de 90 ans et ont seulement été rénovés une fois depuis. La première chose frappante par rapport aux domaines où l’on fait du vin, c’est l’importance assez accessoire accordée au matériau de base : le raisin (de l’ugni blanc, en l’occurrence). Ici, pas de grand discours sur le travail de la vigne, la qualité de la baie… tout ce qui compte est d’avoir du moût en quantité suffisante, du moins c’est l’impression que me laisse le discours de notre hôte du jour. Je ne dis pas cela d’une façon péjorative, et je pense d’ailleurs que plus d’importance y est accordée que ce qu’elle nous laisse entendre, mais cela m’a vraiment frappé. Il en va à peu près de même pour la vinification : elle se fait le plus vite possible, le but étant d’obtenir un vin de base peu alcoolisé, à environ 7° si je me souviens bien, avec certaines qualités d’acidité.
La vraie star ici c’est l’alambic. Il entre en action vers le mois de décembre, pour quelques semaines, et cette étape semble revêtir beaucoup plus d’importance aux yeux de notre guide. L’eau de vie obtenue après un cycle complexe de distillations est blanche bien sûr, et titre 70°. Nous avons pu la goûter, et si elle n’a pas grand-chose à voir avec le Cognac qui en sera issu, elle présente de jolis arômes de fruits blancs, un peu masqués par l’alcool il faut avouer.
On passe à présent au chai de vieillissement, et c’est là que l’on touche à la seconde particularité du lieu, et du monde des eaux de vie brunes je présume. La barrique est en effet le second élément essentiel de l’élaboration du Cognac. Je trouve cela assez amusant, car entre le désintérêt apparent pour le raisin et la vinification, et l’affirmation du fût comme principal vecteur d’arôme, on est un peu à contre-pieds de l’approche habituelle des vignerons.
Pour en revenir à Guillon-Painturaud, ici, les eaux-de-vie sont mise en fût de la distillation jusqu’à la mise en bouteille. De plus, même si les différents Cognac sont désignés par leur durée d’élevage, ce sont en réalité des millésimes. Ils ne le sont simplement pas officiellement, comme nous l’explique notre guide, parce que cela demanderait des tonneaux scellés et de multiples contrôles. Visiblement, il n’y a pas non plus de sélection particulière : un tonneau pourra fournir du 10 ans, mais si tout n’est pas mis en bouteille à ce moment, le complément pourrait n’être utilisé que 30 ans plus tard pour faire du 40 ans par exemple. A noter que le Cognac perd environ 0.5° d’alcool par année d’élevage en raison de l’évaporation différentielle de l’eau et de l’alcool, et qu’à la mise il est de toutes façon « réduit » par dilution pour obtenir le degré de commercialisation à 40°.
Nous dégustons sur fût plusieurs millésimes en remontant dans le temps (de 2004 à 1975 en passant par 1989), et c’est l’occasion d’observer l’apparition des arômes vanillés, puis plus profond de tabac, au cours des années.
Pour le pineau, l’eau-de-vie est conservée un an avant d’être assemblé au moût frais de la vendange suivante, puis l’ensemble est élevé dans de grands foudres.
Il est temps de passer à la dégustation. Nous commençons par les Cognac car autrement le sucre des Pineaux aurait tôt fait de nous saturer le palais (ceci dit, l’alcool des Cognac n’est pas mal non plus dans ce rôle). Je n’ai que des notes succinctes sur cette partie car ce type de dégustation n’était vraiment pas habituel pour moi.
La gamme consiste en un
VSOP et un
Réserve pour commencer (10 et 15 il me semble, mais c’est peut-être 5 et 10…), une
Vieille Réserve de 20 ans, un
Hors d’Age de 30 ans et un
Cognac Renaissance de 40 ans (plus les éventuelles bouteille antique et autre carafe grand style impérial en diamant brut, mais le contenu reste identique). Même si le 20 ans se démarque un peu des deux premiers, j’ai surtout ressenti un véritable saut en terme de structure en bouche entre le 20 et le 30 ans : beaucoup plus de longueur, et une intégration de l’alcool et des arômes qui donne l’impression d’une bouche apaisée, avec l’apparition des arômes de bois vieux, de tabac.
Entre le 30 et le 40 ans, il y a une vraie différence aromatique, avec un côté plus fumé et épicé pour le Renaissance (40 ans), mais j’ai pour ma part préféré le 30 ans.
Concernant les pineaux, il y a une gamme complète en blanc (ugni blanc/sémillon) et rouge (merlot/cabernet franc) : 3 ans, Vieux (10 ans), Extra Vieux (15 ans) et Exception (25 ans), une cuvée qui n’existe que depuis récemment.
On débute par les blancs :
- le
Pineau Blanc paraît tout doux, extrêmement onctueux après les Cognac, et présente de beaux arômes de fruit jaunes bien mûrs ;
- dans le
Pineau Vieux Blanc et le
Pineau Extra Vieux Blanc, le rancio commence à se développer, accompagné d’arômes de coin et de miel. Le rancio est bien sûr un peu plus présent sur le 15 ans.
On passe alors aux rouges (rosés en fait) :
- le
Pineau Rosé est très coloré, il présente beaucoup de fruit, très gourmand comme son penchant blanc ;
- même apparition du rancio dans le
Pineau Vieux Rosé et le
Pineau Extra Vieux Rosé que dans les blancs, mais avec de la figue et de la noix plutôt que du miel ici. Très belle longueur et persistance sur la figue et la noix pour l’
Extra-Vieux ;
- le
Pineau Exception, un peu plus extrait, est extrêmement apprécié autour de moi. De mon côté je ne me souviens pas d’un saut extraordinaire mais je ne devais pas être très attentif à ce moment…
- enfin, nous demandons à goûter le
Pineau Exception Or, et là je suis subjugué par le nez magnifique, beurré, complexe et puissant. La bouche est très concentrée, grasse, onctueuse, mais pour rien au monde écoeurante. Bref, j’ai adoré.
Pour finir, nous discutons un peu de l’historique du domaine avec la gérante qui est arrivée entretemps, et notamment de l’évolution du Pineau comme produit de qualité, avant de repartir de ce qui fut une belle découverte, pour moi qui ne connaissait rien au Cognac, et si peu au Pineau.
Merci à nos hôtesses du jour et merci à LPV de nous avoir orienté vers ce domaine accueillant et qualitatif !
Joseph