Première visite au domaine Jamet
Le domaine de Corinne, Jean-Paul et Loïc Jamet, on n’y arrive pas par hasard. Tout d’abord parce qu’il faut emprunter une route escarpée menant au plateau surplombant Ampuis; ensuite parce qu’il faut montrer patte blanche pour que les portes s’entrouvrent. Nous remercions d’ailleurs au passage camarade Laurent pour avoir permis ce moment.
Nous voici donc au 4600 de la route de Recru en ce début d’après-midi presque brumeux dans le Vallin. Une silhouette se détache au loin, c’est Corinne Jamet qui vient nous accueillir. Nous entrons dans la salle de dégustations à la claire luminosité.
Le domaine, 2019 et 2018
- Bonjour Madame, pouvez-vous présenter un peu le domaine ? Sur quelle surface s’étend-il?
- Bonjour. Il fait 18 ha. Nous faisons approximativement 10 à 12 000 bouteilles de Côte du Rhône en blanc et en rouge.
- Vous exportez j’imagine.
- 30% dans 25 pays. Nous faisons les Etats-Unis depuis 30 ans. Notre importateur prend malheureusement sa retraite. Il va falloir trouver comment faire autrement.
- A quoi êtes-vous affairés actuellement ?
- A déblayer les chemins vers nos vignes. La neige a cassé pas mal d’arbres. Jean-Luc et Loïc sont partis un matin. Au lieu de quelques heures, ils ont passé 1 jour et demi à couper du bois.
Condrieu Vermillon 2018
« C’est l’assemblage de Châtillon, Vernon. L’élevage se fait dans des jarres de terre cuite. Nous le faisions précédemment en cuve et barrique. C’est le 2nd millésime dans les jarres. Elles font un peu moins de 300l. »
Un vin plutôt digeste, des saveurs nuancées de pêche, d’abricot et de poire. Nous sommes assez loin des goûts exacerbés que j’ai déjà pu croiser par ailleurs. Il demeure une finale amère qui vient ramener le vin sur la largeur.
AB-.
- Comment s’est passé 2019 ? Vos confrères plus au Sud ont eu de la pluie pendant l’Eté ou à sa fin.
- Il a fait sec jusqu’en Juillet. Nous avons eu une traîne de pluie avec 20 mm. Puis nous avons eu 15 jours de grande chaleur. Et ensuite 4 épisodes pluvieux en Août pour un total de 100 mm.
- Pas de grêle comme à Croze ?
- Non. Des ballons ont été tirés.
Côte du Rhône 100% Syrah 2018
- Elevé 1 an en barrique ancienne. Les vignes sont sur Ampuis, en périphérie des Côte-Rôties.
- De quel âge parlons-nous ?
- 20 à 25 ans.
Au moment où Corinne nous parle, je perçois étrangement une pointe boisée, ronde que j’assimile à de l’élevage. Je suis incapable d’en identifier la provenance. En dehors de cela, c’est salin. Le fond est sombre, sur l’ardoise et la torréfaction. La texture est onctueuse.
AB+.
- 2018 a été propice aux maladies en beaucoup de lieux.
- Nous n’en avons pas beaucoup eu. En 2016, un peu fin Juillet. Après nous sommes tout de même sur une belle série 2015 à 2019.
- En terme de rendement, à quels niveaux êtes-vous ?
- Sur 2019, c’est correct, un peu en deçà. On a eu tellement peur de la grêle que ce n’est finalement pas si mal. En 2018 les rendements sont normaux en Côte du Rhône.
- Quand vendangez-vous ?
- Du 15 Septembre au 13 Octobre. Entre les volumes un peu plus faibles et la durée de la récolte, la taille de l’équipe des vendangeurs a été un peu surévaluée. J’avais demandé une quarantaine de personnes pour arrivera à 36 approximativement car il y a toujours des désistements. Ce ne fut pas le cas cette année. Nous avons du en renvoyer quelques uns. Il ne faut pas oublier non plus les transports. Il fallait louer quelques camionnettes et surtout trouver des personnes capables de les conduire dans des parcelles aussi abruptes.
Le retour des enfants au domaine
- Et en dehors des vendanges, combien êtes-vous ?
- 4 permanents + Loïc + Jean-Paul + Fanny et moi partiellement.
Côte du Rhône Equivoque 2017
- Il s’agit de notre troisième millésime. C’est notre Côte du Rhône avec de la vendange entière.
- Comment l’idée de le faire est-elle arrivée ?
- Quand Loïc est arrivé, il nous a dit « Je veux garder les rafles mûres». Le vin est élevé 2 ans. Il peut ne pas se faire les rafles ne sont pas satisfaisantes. 2018 et 2019 sont en cave.
Le vin est fluide. Il odore la violette. Sa matière est plutôt conséquente puisqu’elle donne un ressort à la mâche. Le socle est également consistant tout en demeurant assez digeste. La finale n’est pas longue.
B.
- Depuis quand vos enfants travaillent-ils avec vous ?
- Loïc depuis 2014; Fanny depuis 1 an.
- Vous devez être contente de les avoir.
- Oui évidemment. C’est bien d’avoir un regard neuf. En vinif, il n’y a pas trop de changement. Nous travaillons en revanche un peu plus directement avec les représentants.
La phase de fermeture
- Vous est-il arrivé de subir de grands froids avant la récente série d’années chaudes ?
- Début 2012, il faisait -8°C pendant 3 semaines. Heureusement que nous n’avions pas de travaux spécifique aux vignes.
Côte-Rôtie 2017
« C’est l’assemblage de 25 parcelles et 18 lieux-dits différents. Elles sont à 98% sur des schistes.»
C’est long, fin, d’une séduisante et sombre gourmandise, avec de la mûre, des notes de bonbon de violette légèrement amer et iodées. La perception de la rafle se fait sur le fond du vin.
TB-
« Les maturités finales sur 2017 et 2007 sont proches alors que l’année ne s’est pas déroulée de manière semblable. En 2017, nous avons eu de la pluie de mi-Août à mi-Septembre. En 2007, sur la même période, il faisait chaud. »
- Pour des vins avec autant de rafles, ils sont plutôt fins et déjà accessibles.
- Nos phases de fermetures et d’ouvertures sont plutôt atypiques. Le vin se boit jusqu’à 5-6 ans puis il se ferme pendant 5 à 6 ans. 2009 et 2010 sont fermés en ce moment. 2004 à 1988 se goûtent fort bien.
Corinne s’absente quelques instants pour mieux revenir les bras chargés de bouteilles complémentaires.
Dans les vignes et dans le chai
Nous ne pourrons pas poser nos habituelles questions techniques, cette partie étant plutôt le sujet de Jean-Paul et Loïc. Nous balayerons néanmoins plusieurs aspects des travaux dans les vignes et le chai.
- L’assemblage se fait à la fin des 2 ans d’élevage. Les vendanges se font par maturité puisque les vinifications se font séparément. Nous aérons très peu. Il faut foutre la paix aux vins. C’est d’ailleurs pour cela que nous ne faisons pas de dégustation sur barrique.
- Vous nous avez évoqué l’âge des barriques, comment parvenez-vous à les conserver aussi longtemps ?
- Après le soutirage, elles passent au lavage. On les écoule bien. Les quelques exemplaires qui ne sont pas utilisés sont méchés.
- Et la mise ?
- Nous avons un groupe à embouteiller. Cela nous permet de le faire lorsque les vins sont prêts.
- Vous êtes en BioD ?
- Ce sera certainement la voie que veut emprunter Loïc. Pour le moment nous y allons en raisonné. Il s’agit d’intervenir lorsque cela est nécessaire seulement, pas d’intensif donc. Et puis Jean-Paul a une tolérance sur les pertes. Nous avons par exemple fait tomber des fruits en 2014 pour ralentir a propagation des drosophiles.
Côte Rôtie 2016
« 100 % vendanges entières.»
Les mêmes marqueurs de finesse et de texture fluide. Le registre est moins noir. Il verse davantage dans la vivacité d’un rouge rubis: groseille, framboise, bourgeon de cassis. C’est droit, acidulé. Et il existe toujours cette note salin qui relève le goût.
TB.
La Côte Brune
Côte Brune 2015
Un nez plutôt discret. La bouche très florale sur les pétales de violettes, la rose, la ronce. Les tanins sont nombreux et procurent un toucher velours. L’acidité des fruits des bois donne une verticalité qui persiste longuement dans les secondes.
TB- aujourd’hui, certainement bien mieux à l’avenir.
- Sur des millésimes chaleureux, larges. N’êtes-vous pas tenter d’acidifier ?
- La seule année où nous étions tentés, c’était en 2003, au regard de l’énorme potentiel du millésime. Nous ne l’avons pas fait.
- Comment en êtes-vous arrivés à isoler la Brune ?
- En 1975, Jean-Paul est revenu travailler au domaine. Il était en seconde à l’époque. En 1979, il reçoit un peu de Côte Brune, l’équivalent d’une barrique, et 2 autres parcelles. Les acquisitions se sont ensuite faites au fur et à mesure. L’optique à l’époque était que ces achats soient toujours bénéfiques au Côte-Rôtie, pas pour faire un parcellaire. Aujourd’hui, nous avons 8 000 m2 de Brune.
- C’est plutôt une belle surface.
- Elle n’est pas facile à travailler. C’est un petit rectangle sur tout le coteau. Il faut se garer en haut, pas en bas. Ce qui signifie qu’il faut tout remonter. Et les 3/4 sont en plein coteau. Les secteurs de Chavaroche et Landonne sont particulièrement rudes.
- Vous n’avez pas songé à isolé des parcelles pour faire une Côte Blonde ?
- Non, elles sont trop minoritaires.
Nos remerciements les plus sincères à Corinne, son amabilité et ses explications. La dégustation dans un format auquel nous ne sommes finalement plus habitués nous a permis d’approcher des vins finis d’une redoutable finesse et fluidité; sans oublier la grande quille potentielle qu’est Côte Brune 2015. Et nous comprenons ici également les raisons pour lesquelles la production issue du domaine est tant reconnue.
Ainsi se conclut notre superbe série rhodanienne hivernale. Et les vins croisés ont été pour beaucoup à la hauteur de la réputation de leurs géniteurs. La Syrah, ce n’est pas si mal finalement
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