Je connaissais ce domaine par ses Vieilles Vignes Eparses 99 et 00 et son Effraie 00, tous les deux d'excellents coteaux du Loir. Le millésime 02 s'annonçant particulièrement réussi au domaine, j'ai décidé d'aller à la rencontre du vigneron Eric Nicolas et de découvrir cette belle vallée du Loir.
Un peu en retard - j'ai cru un moment qu'il avait oublié notre rendez-vous ;-), mais bon, le travail à la vigne ne souffre aucun retard, justement ! -, il prépare ma commande tout en répondant fort patiemment à mes questions concernant le domaine (11 ha env. et 50 parcelles différentes éparpillées sur 5 communes de part et d'autre du Loir, terroirs composés d'argiles sableuses et argiles à silex sur roche mère calcaire appelée tuffeau), son passé (première installation en 94, mais défection d'un « associé » puis création du domaine en 95), les différences entre clonage et sélection massale, le travail et la « philosophie » du domaine (labourages, grattages, etc., plantations récentes à plus de 13.000 pieds/ha désormais, avec, en 2000, un essai de plantation en foule à 40.000 pieds/ha sur 7 ares qui sera élevé à part…). Moyenne de 25 hL/ha (à des densités de 6500 à 7500 p/ha) sur tout le domaine en 2002, moitié moins en 2003…
L'élevage en barriques de 1 à 3 vins dure 12 mois et s'effectue sur les lies pour les blancs (100% chenin). Même durée pour les rosés et les rouges (pineau d'Aunis essentiellement, complété de gamay et de grolleau), ces derniers étant égrappés et vinifiés en cuve ouverte. Les terroirs sont vinifiés et élevés séparément. Soufre utilisé de manière parcimonieuse.
Bon, est-ce qu'il fait goûter ses vins au moins ? ;-)
J'avoue que j'aurais été un peu déçu de me taper près de 6 heures de route pour finalement ne pas déguster un peu de ch'nin et de pineau d'Aunis de ce beau domaine… puis, enfin, il me propose de goûter sur fût les 2003, alors j'exulte intérieurement !
(malheureusement, les 02 ne sont pas proposés, ce que je comprends, car vu la quantité de 03 bien réduite, la situation est critique et, de toute façon, les échos perçus ici ou là des 02 du domaine, sont plus que rassurants).
On entre dans la cave, qui comporte plusieurs caveaux. Il fait très frais en ce beau matin d'hiver : pas plus de 5°C. Pas facile de déguster les vins dans ces conditions, donc mes impressions sont à nuancer.
Les blancs 2003 furent ramassés entre 13% et 17%vol., car Eric Nicolas a décidé d'atteindre la maturité phénolique sur ce millésime très sec et chaud. D'où des blancs qui iront de secs tendres à demi-secs voire des moelleux. Les vins sont encore en fermentation et le seront encore probablement jusqu'à juillet/août. Eric a décidé d'élever plus longuement les Vieilles Vignes Eparses, car il souhaite leur donner plus de « patine » et la matière semble s'y prêter. Le reste sera mis en bouteille plus tôt pour préserver la fraîcheur et le fruit.
- Jasnières les Rosiers (provenant d'une vigne plantée en 96 puis 98 et 99, les raisins furent récoltés à 15% pot.) : les fruits blancs, la pomme fraîche, voire au four et la menthe fraîche rendent le nez de ce vin fort agréable. On retrouve une belle fraîcheur et surtout la longueur du vin laisse présager un joli flacon.
- Les Renaudes : terroir de 30 ares. Jeunes vignes de 25 à 30 ans en moy., donc entrera dans la composition du coteau du Loir « Effraie ». Nez plus fruité, sur la poire par rapport au précédent, trame assez souple, très accessible dès maintenant, mais possède aussi une belle acidité, conférée par un peu de botrytis qui a permis de concentrer les sucres tout comme les acides, en particulier l'acide citrique (qui comporte trois fonctions acide, à comparer à l'acide malique, biacide).
- Vieilles Vignes Rasné : en coteau du Loir, entrera dans les Vieilles Vignes Eparses (VVE). La vigne est située sur la commune de Chahaignes, à l'ouest de Jasnières, exposée est/sud-est. Joli terroir selon E.N. Belle finesse, je retrouve des notes de poires juteuses et cuites, grande longueur.
- On continue la dégustation sur une barrique rassemblant des terroirs de Marçon et de Dissay-sur-Courcillon, deux communes situées au sud du Loir, sur des silex plus ou moins altérés et entrant dans les VVE. Les notes fruitées sont plus en retrait, plus de réserve et surtout vin plus minéral. Les raisins furent parmi les premiers ramassés sur le domaine et ont conservé beaucoup de fraîcheur, ce que montre une finale finement citronnée. Cette barrique est complémentaire de la précédente, ce qui devrait équilibrer les VVE et apporter beaucoup de complexité.
- On change de caveau pour se diriger vers l'une des barriques contenant les derniers raisins vendangés : malgré cela et les 45g de sr environ, ce vin issu du terroir de Jasnières et provenant de vieilles vignes, possède une très jolie fraîcheur. Ce futur moelleux qui entrera dans la composition de la cuvée Calligramme (sélection des plus vieilles vignes sur Jasnières), devrait engendrer de magnifiques bouteilles. Miam !
Passons désormais au caveau contenant une partie des coteaux du Loir rouges. Les malos ne sont pas encore enclenchées, elles se font naturellement et durent souvent jusqu'en septembre, alors que le passage à l'agrément exige que la malo soit faite entièrement en juillet, date où les échantillons sont prélevés. D'où une interrogation voire une certaine angoisse (il m'a semblé) chez Eric Nicolas, qui m'a pudiquement répondu que ce serait dommage de ne pas avoir l'agrément… pourtant, il n'aurait aucun problème à vendre son vin même en vin de table, mais il apparaît fortement attaché à l'appellation quand même. Il souhaiterait aussi prolonger l'élevage de 12 à 18 mois pour patiner et affiner encore les vins.
- Rouge Gorge : 13,7% à 14,8% pot. : nez sur les fruits rouges et les épices, où l'on retrouve le poivre, note typique du pineau d'Aunis. Pourtant, il m'a évoqué en premier le gamay… qui entre seulement à 3% dans cette cuvée ! Belle longueur en bouche, souplesse et soyeux des tanins, bien que la malo ne soit pas encore faite, qui donne l'impression de croquer à pleine bouche des fruits à noyaux, en particulier la griotte.
- Hommage à Louis Derré : sulfitage récent à 1g. Splendeur au nez, très bel élevage, beaucoup plus racé et complexe par rapport au précédent. Grande finesse des tanins, superbe structure ! futur grand vin qui semble marquer la réussite des rouges du domaine en 2003.
Je suis tout-à -fait étonné que les vins avant malo se goûtent si bien, avec des tanins soyeux et bien mûrs. J'espère que cette dernière étape ne fera pas trop perdre de fraîcheur aux rouges et préservera l'équilibre.
Merci à Eric Nicolas d'avoir consacré plus de deux heures à converser et à me faire découvrir ses vins et son domaine. Bravo pour ses vins et pour l'approche de son métier : (de mémoire) « je place à égalité, mon amour de la vigne et du vin, avec l'idée que le vin doit être convivial, synonyme de partage et d'échange. Je mets un point d'honneur à recevoir mes clients comme il se doit. »
Je confirme amplement ses propos : j'étais tout seul, il avait du travail à la vigne, et pourtant il a pris le temps de répondre à mes questions, de m'expliquer son travail et de me faire déguster ses vins. Malgré sa médiatisation, voilà un vigneron qui sait garder les pieds sur terre… et dans la vigne !
Pour conclure, je reprends volontiers la devise d'Epictète mise en exergue par le domaine : « Si tu veux t'améliorer, sois content qu'on te prenne pour un fou ou un imbécile »