Bonjour Yves,
Personne ne semble vouloir répondre à ton message, alors, même si je ne suis pas le mieux placé pour te répondre, je tente quand même de le faire ! C'est un exercice très intéressant que tu nous demandes de faire.
Le chenin est un cépage qui ne tolère aucune médiocrité, aucun à -peu-près, à l'instar du riesling : cueilli à peine mûr, issu de gros rendements, le vin qui en résulte aura une structure acide revêche, des arômes herbacés associés à une amertume désagréable, bref donnera l'impression de boire de l'eau fortement acidulée et amère ! Les vins de chenin issus d'une vendange approximative se repèrent notamment par une maigreur, une fluidité (traduire par manque de gras, de matière) qui nous fait préférer l'eau à ce breuvage insipide ! Passons sur ces mauvais vins qui existent encore malheureusement…
Donc, pour produire un bon ch'nin, e.g. pour un sec ou demi-sec, les conditions sine qua non sont « simplement » (ce qui est vrai aussi pour d'autres cépages) : de beaux raisins mûrs à la vendange, issus de soins très attentifs à la vigne (rendements maîtrisés, taille courte, travaux à la vigne, etc.) et à la cueillette.. Evidemment, il faut aussi que les vinifications respectent et traduisent la beauté des raisins ! et là , il y a autant d'écoles que de vignerons !
On peut toutefois distinguer trois grandes familles :
La première, celle de la tradition, préfère effectuer un élevage court en muids ou demi-muids, pour conserver toute la fraîcheur du cépage et surtout ne pas apporter de goûts boisés. Ne parlons pas d'effectuer une malo, même partielle : sacrilège ! Je citerais volontiers Philippe Foreau à Vouvray, comme étant l'un des meilleurs représentants, le héraut de cette « école ».
La deuxième « école » me semble être celle de Germain (Fesles), d'Antoine Foucault (dom. du Collier à Saumur), voire de Jacky Blot (sa désormais fameuse cuvée Rémus) : élevage en fûts, barriques, parfois neuves. Là , le chenin acquiert une complexité et un charme assez tapageur en jeunesse (ah ! les arômes grillés et vanillés !). Mais quand la matière n'est pas assez forte et mûre pour supporter ce type d'élevage, alors… bonjour les dégâts ! Sur le chenin, ça ne pardonne pas.
La troisième « école », amtha, est constituée de vignerons qui testent, qui recherchent ce qu'il y a de mieux. Un bel exemple est celui d'Eric Morgat, qui s'essaie à des élevages en cuves, en barriques, neuves ou non, de plusieurs origines, avec une fermentation malolactique plus ou moins avancée, bref une attitude d'ouverture passionnante ! Sa quête sur Savennières est un véritable défi, car il cherche à amadouer ses vins dans leur jeunesse (terroir de schistes, qui les rend austères au début de leur vie), tout leur offrant un supplément de gras et de complexité. Un vigneron à suivre !
Passons aux vins à proprement parler :
Les grands secs ou demi-secs offrent, amtha, une pureté d'expression peu ordinaire. La structure acide naturellement présente apporte une belle vivacité et légèreté aux vins. Ce qui les rend souvent très digestes au cours d'un repas, rarement pâteux en bouche. Dès que le chenin est bien maîtrisé, que le raisin est bien mûr, alors la matière prend le dessus et offre une traduction fidèle du « terroir » et une très large palette de saveurs : il y a de très nettes nuances entre les chenins de Touraine et ceux d'Anjou ; sur Vouvray et Montlouis, on pourra faire la différence (pour les dégustateurs confirmés, ce que je ne suis pas encore, sniff !) entre les chenins issus des aubuis (argilo-calcaire), plus austères et puissants en jeunesse, et ceux issus des perruches (sols argilo-siliceux), souvent plus avenants, voire guillerets en jeunesse, avec des notes fumées notamment.
La fameuse colonne vertébrale acide permet de construire un vin riche en grand millésime, qui peut vieillir avec grâce, acquérir un bouquet complexe, préservant une grande fraîcheur à l'ensemble et un équilibre idéal. Je garde un souvenir ému du Vouvray sec 1988 de Ph. Foreau, dégusté grâce au Maestro, en compagnie de Xavier et sa femme : bouquet intense de jus de mandarine, de fleurs blanches, tilleul, verveine, agrumes(etc.), longueur merveilleuse, fraîcheur désaltérante, un modèle de pureté !
Ma première grande émotion me fut donnée par le Rémus 1996 du dom. de la Taille aux Loups : au nez, bouquet d'un grand liquoreux, avec une bouche sans SR, d'une folle longueur, gagnant en complexité à chaque moment de la dégustation : grandiose !
En « petit » millésime pour le chenin, c'est là où le talent du vigneron fait la différence : la structure acide est souvent omniprésente en jeunesse, on est alors plus sur du jus de citron. Puis au vieillissement, le vin acquiert des arômes de citron confit, mais avec une complexité et une fraîcheur impressionnante chez les meilleurs. Par exemple, la discipline et le travail acharné de François Chidaine se traduit par un grand, que dis-je !?!, un superbe Montlouis Clos du Breuil 1994 : un vin à garder encore, issu d'une année où Montlouis a souffert de la grêle (seules env. 1000 bouteilles produites de ce vin !) mais qui offre un bouquet et une longueur prodigieuse (notamment des arômes de truffe blanche après une longue aération), pour un prix très raisonnable.
Je n'ai pas évoqué les moelleux et liquoreux, car plus faciles d'accès, je pense (par les SR) et qui doivent posséder les mêmes atouts que les grands secs avec en prime équilibre entre le sucre, l'acidité, l'alcool et la matière. Au vieillissement, ceci se traduit par la fraîcheur, l'équilibre du vin et la complexité du bouquet. Les différences rencontrées entre les coteaux du Layon, les quelques Savennières moelleux et les moelleux de la Touraine montrent toute l'étendue de la palette d'expression qu'offre ce cépage, sans parler des moelleux issus de raisins passerillés et des Grains Nobles ! Miam ! ! !
Malheureusement, je n'ai pas l'expérience de vieux millésimes (pas au-delà de 85). Je laisse à d'autres le soin de nous émerveiller !
Au final, la faculté de ce cépage à se transcender dès qu'on le maîtrise suffisamment est tout simplement prodigieuse, offrant une perspective de vieillissement hors du commun. La situation géographique et les sols de la Loire offrent par ailleurs un cadre idéal au chenin, qui, lorsqu'il arrive à maturité, possède une finesse et une capacité de traduction minérale du terroir que peu de cépages possèdent, amtha. Je suis d'avis qu'il rejoint à égalité le riesling dans le Panthéon des grands cépages blancs !
Son aspect protéiforme et les prix très raisonnables que l'on rencontre chez les meilleurs producteurs (mis à part quelques exceptions) en font un cépage de référence, pour les amateurs de grands blancs mousseux, secs à liquoreux !
Je suis certain que d'autres passionnés de chenin ne partageront pas ma vision (ô combien subjective et partielle). J'espère que ceci pourra lancer un débat enrichissant.
Cordialement.
Phil