CAUVIN (PM), Le Marché des réputations, Une sociologie du monde des vins de Bordeaux, Bordeaux, Féret 2010

Un ouvrage qui prend le parti d’appréhender le marché des vins de Bordeaux au travers du prisme des réputations en faisant bien la part des choses entre les réputations officielles tirées des classements (celui de 1855 - 1973, celui de Saint Emilion), des réputations induites par les prix, des réputations liées aux notes avec une place à part et bien vue de la réputation Parker (en montrant d’ailleurs qu’elle est plutôt conformiste). Au moins cet angle de vue permet-il de rompre avec cette sacrossainte loi du marché qui ne serait pas sociologique ni humaine mais purement économique rigoriste, presque mathématique.

Comme c'est le cas pour de nombreux ouvrages dont l'auteur est un pur universitaire, il est dommage que son auteur se croie obligé à la suite de chapitres très clairs de conclure en utilisant un jargon hermétique qui définit ou traduit pourtant des concepts assez simples. Mais c’est aussi une façon d’établir sa propre réputation de chercheur, sans doute !

Je regrette personnellement, en tant qu’amateur de vin, le côté « anonymé » de la restitution : car il y a sans doute des facteurs de compréhension aussi dans les noms quand on connaît les vins.

Un autre grief réside dans l’importance à mon sens trop importante donnée à la question de la réputation de et lié au consultant : comme si aujourd’hui à Bordeaux il n’y avait que des vins de flying winemakers.

Par ailleurs, ce livre date de 2010 : depuis, des événements ont eu lieu (c’est l’année des 1000 euros de la sortie de Lafite), mais il y a eu aussi la fin de l’emprise Parker qui a fait que les équilibres, en terme de style comme de réputation ont un peu bougé.

Il y a des passages très intéressants comme par exemple une enquête fouillée avec force témoignages sur la fixation du prix (de quoi clouer le bec aux tenants de la loi de l’offre et de la demande), mais aussi une histoire détaillée de la révision du classement de 1855 avec des essais manqués avant d’arriver au camouflet de 1973 avec en filigrane la lutte constante de Philippe de Rothschild, usant de toutes les ficelles pour arriver à ses fins.

Un ouvrage sérieux, documenté, intéressant qui peut cependant laisser l’amateur averti un peu sur sa fin.

Mais le gros manque, la quasi faute, puisque l'on parle de réputations, c'est de ne pas avoir pris le soin d'étudier ces réputations auprès des consommateurs. De la part d'un sociologue qui traite de marché, ne pas investiguer ce côté, c'est vraiment très étonnant.

On rêverait aujourd’hui d’un tel travail pour étudier la sociologie du marché Bourguignon (des marchés bourguignons) : il doit bien y avoir quelques points communs dans ces deux histoires-là. (mais aussi des différences)