Jmm,
Mon "stupide" est peut-être un peu radical. Mais qu'on prenne la discussion par n'importe quel bout, je ne vois, en pratique, toujours aucun argument en faveur d'une notation "relative". La discussion a sans doute déjà été menée mille fois, mais permets moi d'essayer d'être plus clair, pour ne pas en rester au stade de l'avis péremptoire.
La mise en pratique de cette notation censément relative devrait déjà la disqualifier : aucun guide n'est foutu d'expliquer clairement à
quoi la note est relative. Dans la dernière édition du B&D que je possède (2009), il y a un seul passage clair à ce propos - dans l'édito - où l'on peut lire que la note est "un indice de préférence dans un ensemble qui réunirait tous les vins de la même région dans le même millésime". Cette position là semble claire : la note est purement relative, et elle l’est à deux choses : millésime et région. Par ailleurs, la note est un concept strictement ordinal (elle se contente de classer les vins). Le problème est que le reste de l'éditorial est un laborieux exercice pour noyer le poisson, en martelant que de toute façon, les perceptions du dégustateur sont relatives, elles aussi, au type de verre, à la température de service, et à l'environnement de dégustation [size=x-small](comme si le travail du professionnel ne consistait pas, justement, à neutraliser l'influence de ces paramètres là. A se demander pourquoi ils notent, au final. Mais bref.)[/size]
... et les auteurs finissent immanquablement pas se contredire : on lit ainsi plus loin que « la note tient compte en partie du millésime et du potentiel du
terroir mais se veut aussi universelle que possible, dans la mesure où elle prend en charge la dimension de plaisir que tout vin de qualité doit posséder ». Hum.
C’est moins clair, cette fois ci. Il y a toujours deux critères. Le millésime, certes. Mais on est passé de la région au terroir, ce qui est très différent, car beaucoup plus précis. Et de tout cela, il n’est désormais plus tenu compte qu’"en partie", car la note est dans le même temps "universelle".
Si ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, force est de constater que la conception des auteurs de la notation relative est tout sauf claire. Lorsqu'on ajoute à cela la surprenante confession de Thierry Meyer sur le fait que la notation cesse d'être relative au-delà de 17/20 (je n'ai aucune idée de la façon dont il faut le comprendre, tant cela ne me semble avoir aucun sens, mais c'est écrit noir sur blanc par celui qui note une région importante du guide B&D...), ce mode de notation finit d'être incompréhensible.
Mais oublions cela. La question plus fondamentale reste : que cherche-t-on à isoler lorsque l'on cherche à raisonner à millésime et à terroir égal? La qualité du vigneron, sa capacité à tirer le meilleur de ses vignes sur un millésime et un terroir donné, a priori. C'est une donnée importante, qui intéresse l'amateur, mais qui a pour conséquence que la note ne peut être comprise que si l’on connaît la qualité du millésime et la qualité du terroir. Or cette qualité du terroir pose plusieurs problèmes : comment la connaître, lorsque l’on ne dispose pas d’une hiérarchisation bien établie? La Grange des Pères, c’est un grand terroir, ou c’est que Vaillé sait en tirer plus que ne le feraient d’autres ? Et même lorsque l’on dispose d’appellations bien définies, jusqu’où va-t-on ? Jusqu’au terroir, le lieu concret, celui qu'exploite le vigneron, vraiment ?
Si l'on note deux Clos Vougeot, de parcelles parmi les plus qualitatives et parmi les moins qualitatives, à qualité du vin égale, va-ton accorder une meilleure note à celui qui vient de la partie la plus ingrate du Clos ? C’est ce qu’une notation véritablement relative impliquerait. Mais, outre que cela demande une quantité d'informations phénoménales à celui qui goûte (et que cela impose de ne pas goûter à l'aveugle), comment le lecteur peut-il savoir pourquoi la note est plus élevée? Si la note d'un vin est un peu plus basse de celle qu'un autre, est-ce parce que le terroir est meilleur, ou parce que le vin est moins bon?
Comment le savoir? Sur quelle hiérarchie des terroirs celui qui note se base-t-il? Et prend-on en compte le matériel végétal ? Si l'on note deux vins de deux producteurs voisins, dont l'un possède des vignes centenaires, et l'autre de jeunes vignes, faut-il baisser la note de celui qui possède les plus vieilles vignes ?
Pour passer d’une notation basée sur des éléments objectifs (tel que l’on noterait à l’aveugle, par exemple) à cette notation « relative », il faut donc pouvoir définir la qualité du millésime et du terroir. Et pour que le lecteur comprenne cette note et soit capable de comprendre ce que cela implique pour la qualité du vin (qui est quelque chose comme la note * la qualité du millésime * la qualité du terroir), il faut qu’il connaisse cette échelle de millésimes et de terroirs. Cela semble totalement irréaliste. [size=x-small]On passera sur un autre type de problèmes, qui est l’interaction entre qualité du millésime et qualités du terroir (un terroir frais pourra constituer un atout en millésime chaud, et se transformer en désavantage en millésime froid). En toute rigueur, l’existence d’une interaction entre qualité du millésime et qualité du terroir devrait empêcher que la note soit relative à ces deux éléments à la fois.[/size]
Tout ceci explique peut-être pourquoi, au final, cette notation relative n’est en fait jamais appliquée. Si la note est relative à la qualité du terroir, pourquoi les vins issus des terroirs les plus qualitatifs sont-ils toujours les mieux notés ? Par ailleurs, la notation relative au millésime possède une implication encore plus claire : la moyenne et la distribution des notes devrait être, pour un terroir donné, la même dans tous les millésimes. C’est loin d’être le cas, les meilleurs millésimes étant toujours mieux notés en moyenne. Alors, comment comprendre la note ? A-t-il été tenu compte de la qualité du millésime - auquel cas les bons millésimes devraient avoir des notes absolues encore plus hautes ? Un peu ? Beaucoup ? Comment savoir ?
Si cette notation relative n’est pas comprise des lecteurs, ce n’est pas qu’ils sont distraits, ou insuffisamment connaisseurs pour la comprendre. C’est que le lecteur
ne peut pas posséder l’information nécessaire pour comprendre la note. Or tout cet effort de relativisation des notes est entrepris pour isoler l’influence du vigneron sur la qualité du vin, alors même que la plupart des lecteurs cherchent simplement à avoir une note sur le vin lui-même, car ils achètent du vin, pas un vigneron. C’est certes une belle quête intellectuelle, qui nous amène à réfléchir à ce qui fait un bon vin, mais c’est une quête inutile et impossible, au cours de laquelle chacun finit par se perdre…
(désolé d'avoir été un peu long...)
Mathieu