Grâce à Lanèfle, j’ai lu le texte de Berthomeau (qui ne veut pas dire que la mère de Charlemagne était née à Lesbos – oliv, si tu trouves, j’ai un cadeau pour toi) et cela m’a donné, ce soir, l’envie de me lâcher.
Pas dans le genre logorrhée, mais dans le sens : je m’lâche.
Alors, zyva Audouze.
Bien évidemment, c’est du vécu, et au moment où je rédige, j’ai une bouteille de 75 cl de 13° dans le compteur.
J’aime la vitesse. Ayant eu la chance de pouvoir m’offrir des bolides, j’ai éprouvé l’adrénaline en moto, puis en voiture, avec de petits bolides jusqu’à la Formule 1 version couillon qui paie, car il faut admettre que je suis capable de payer mais pas d’être pilote. Mais les sensations sont là. Une évolution des mœurs, furieusement commandée par le politiquement correct a voulu que la vitesse sur route soit stigmatisée (car permettre qu’un pilote des 24 heures du Mans fasse du 350 km/h sur une route, alors que le pékin lambda sur la même route ne peut pas dépasser 90 km/h ressemble furieusement à un code). La seule façon d’assumer son amour de la vitesse, c’est sur l’eau. Et je me suis pris d’un amour pour le jet-ski. Quand à trois kilomètres à la ronde il n’y a pas âme qui vive, et quand on glisse sur l’eau à plus de 100 kilomètres/heures, il y a une jouissance qui est celle du dernier espace de liberté. Je m’éclate à fendre les eaux avec l’impression que ma liberté n’a pas de limite.
Mais il y a la loi. Et la loi est là. Et comme dirait Raymond Devos, la loi oit ce que la loi oit. Que Port Cros soit interdit aux jets, je n’ai rien à dire, puisqu’il y a une réserve naturelle. Mais quand j’ai vu que Porquerolles interdisait la navigation côtière aux jets-skis, je me suis dit que c’était une atteinte aux droits inviolables de FA. Alors, j’ai commandé un promène-couillon, nom donné par les voilistes aux bateaux à moteur.
Le bateau m’a été livré ce jour. Je l’ai reçu et j’ai fait ce que font tous les promène-couillons, je me suis promené.
Un nouvel achat ne se conçoit pas sans arrosage (en français : ça s’arrose). Alors, j’ai pris dans mon réfrigérateur une bouteille à la tête sympathique. Je sais que c’est Salon, mais je ne sais pas l’année, car le papier qui enveloppait la bouteille s’est collé sur l’étiquette, cachant l’année. J’ouvre la bouteille, et le bouchon m’indique 1980. Comme il n’y a jamais eu de 1980 en Salon, je suis le seul au monde à boire Salon 1980. Je demande à ma femme de contrôler et elle me dit avec certitude : 1980. En fait, il y a des striures verticales qui ont fermé un 3 écrasé et le champagne est
Salon 1983.
La couleur est déjà d’un ambre délicat. C’est encore jaune, mais coloré de thé. La bulle n’est pas explosive, mais elle a la densité que j’aime : ça picote délicieusement. En bouche, on entre dans le monde de l’étrange. Le vin est fumé. Il n’y a quasiment pas de fruit. Et tout est étrange. Je ne reconnais pas Salon. Le champagne est dévié, c’est sûr, mais il mérite l’intérêt. Et c’est maintenant qu’une disposition d’esprit fondamentale va intervenir, et c’est souvent la mienne : quand on est embarqué avec un vin dévié, soit on l’ignore, soit on va chercher ce qu’il pourrait raconter.
Imaginez un champagne à la bulle polie, au piquant joli agrémenté d’un poivre fort, qui ressemble à du thé au poivre. Il y a un peu de bois d’un navire du 17ème siècle, mariné dans des mers hostiles, mais surtout ce thé poivré.
Sur un délicieux foie gras, le champagne fait bonne figure, car son poivre picote le foie gras.
Ce qui est prévu ensuite, car aucun vin n’était au programme, c’est une laitue avec quelques câpres. L’association Salon 1983 et câpre, ça arrache. Ça me fait penser aux Tontons Flingueurs, et à la grande Lulu, car ça arrache, et tout d’un coup, le poivre de l’un et le vinaigre de l’autre se confondent dans une sensation violente. Et j’adore.
Comme je voulais voir jusqu’où irait ce Salon, je l’ai essayé sur des abricots peu mûrs, espérant que l’acidité des jeunes abricots piquerait le Salon, mais ça ne cause pas.
En revanche, une pêche blanche à peine mûre a provoqué un déclic dans le Salon, car dans l’ADN de Salon, il y a de la pêche blanche. Et là, j’ai aimé.
Au bout du compte, Salon 1983 est un des plus faibles Salon qui existe, mais c’est Salon, et avec l’âge, qui ne l’a pas vraiment arrangé, j’ai voulu l’aimer, et il me suffit de quelques bribes d’amour de sa part pour que je sois heureux.
Sans philosopher à la Berthomeau, je dirais qu’un vin peut être aimable quand on a envie de l’aimer. Et les circonstances, comme aujourd’hui une journée en mer avec mon nouveau promène-couillons, influent sur notre capacité à aimer.
C’était la minute nécessaire et philosophique de François Audouze, alimentée par un taux d’alcoolémie qui n’est pas forcément supérieur à celui de Berthomeau quand il a écrit.
J’espère que vous comprendrez qu’il s’agissait d’un exercice de style, fondé, bien sûr, sur du vécu.