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Un jour, j’irai là-bas[/size]
On reprend : …
… un jou……
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Mas Amiel appartient à l’histoire de ma passion sans doute comme il appartient à celles de beaucoup d’autres que moi. Il est évident que la découverte de ce goût Vintage, exacerbant ce fruit grenache, il y a des dizaines d’années, a été un révélateur, voire un exhausteur de curiosité pour de nombreuses personnes. Ce vintage emblématique a permis aussi de plonger dans la complexité du monde de l’oxydatif avec l’approche des 15 ans et des hors d’âge ; Des découvertes qui en ont permis beaucoup d’autres.
Et puis finalement le temps passe, le mythe reste et sans doute la timidité empêche de demander un rendez-vous. Et la vie qui va, qui va, le temps qui passe, qui passe, même si on se dit parfois en y pensant : « un jour, j’irai là-bas ».
Ce jour, c’est une opportunité, un besoin d’échapper, de s’évader, les copains qui sont libres et qui ont cette même envie : alors bingo, c’est parti. Pas besoin de GPS : cap au sud et le viseur sur Quéribus.
L’ennui s’invite presque en terre trop connue le long de cette route même si l’impatience est bien là, comme une excitation de gamin qui sait qu’il va découvrir une surprise. Mais finalement en regardant par la fenêtre, on trouve de quoi s’occuper l’esprit, en s’imaginant Don Quichotte des temps modernes partant à l’assaut des géants blancs, nombreux sur cette trajectoire cervantesque.
Au seuil de Naurouze, on bascule dans le domaine méditerranéen et du ciel plus bleu, du sol plus sec. Au passage, on observe cette grande dame Carcassonne, sorte de vaisseau posé là depuis des siècles, intemporel et fascinant et on peste de ne pouvoir s’arrêter pour observer, admirer, sur cette fichue autoroute où tout va si vite quand le temps, à côté, semble figé.
La sauvagerie de la montagne d’Alaric est un formidable passage vers ce monde aride pour d’un coup basculer vers la mer au pied de ces ridicules chevaliers cathares qui pleurent lentement … ils le peuvent, en effet.
Il suffit alors de longer la mer et de se laisser glisser vers l’Espagne. Mais la frontière est d’abord régionale après ce château de Salse qui semble posé là par quelques géants qui voulaient faire des pâtés de sable. Les Corbières arides à droite, les étangs salés à gauche, et les neiges du Canigou en droite ligne devant, comme un objectif, l’œil est finalement attiré par ce reste Cathare tout en haut des rochers : c’est là qu’il faut aller. Et comme une revanche sur l’histoire, encore un bout de Languedoc, sans doute pour honorer les parfaits qui ont été pourchassés jusqu’ici il y a plus de 700 ans – Enclave occitane en terre et en culture catalanes.
Autant le dire tout de suite, on ne débarque pas chez les pauvres : ça respire les moyens investis ici en 1999 par Olivier Decelle - mais qui s’en plaindrait finalement ? - d’autant que la construction du renouveau du Mas Amiel s’est faite dans le respect de son histoire et de son style. Mais c’est bien de renouveau dont il faut parler, puisque des nouveaux bâtiments ont vu le jour, à côté de ceux, historiques et vénérables, conservés ; un outil de travail de très grande qualité pour Nicolas Raffy qui peut composer ainsi les vins du Mas Amiel dans une gamme très élargie et qui fait large part aux vins secs qui représentent aujourd’hui la moitié de la production.
On ne peut en effet ne pas évoquer cet homme qui signe les vins du Mas Amiel d’aujourd’hui ; Nicolas Raffy a la confiance d’Olivier Decelle qui lui donne les moyens de faire des vins de terroir ; c’est sa volonté, dans un usage modéré du bois neuf qu’il n’aime guère.
[size=small]Nicolas Raffy, l'homme qui se cache derrière les bouteilles du Mas Amiel[/size]
Le Mas Amiel est une formidable mosaïque de terroirs, plus de 120 parcelles le composent et toutes sont vinifiées séparément : l’arsenal de cuves d’inox et de béton permet cette individualisation extrême. Nous sommes bien loin de l’ostentation des chais bordelais : la cave est conçue de façon à faire les meilleurs vins possibles dans les meilleures conditions et cela passe avant tout par le contrôle des températures sous ces latitudes méridionales, ce que ces chais permettent. Bien entendu, sans beaux raisins point de beaux vins : ici on pratique une agriculture responsable, soucieuse de l’environnement, sans utilisation de produits de synthèse. La biodynamie pure a été abandonnée mais si le label « agriculture biologique » n’est pas revendiqué, c’est bien cette pratique qui est utilisée.
[size=small]le calcoschiste du Mas Amiel, signature du terroir[/size]
Bien entendu sur ce sol de calcoschistes, le grenache est roi, mais il s’associe à la syrah, au carignan. On trouve encore du lladonner dans certaines zones.
Pour les blancs, les grenaches gris et blancs se mêlent au macabeu et les souches de ces variétés blanches sont le plus souvent en foule, éparses dans les vignes de cépages rouges.
On aurait tort de croire que la Mas Amiel hésite entre tradition et modernité : les nouveaux hommes du Mas perpétuent et développent. Ils ont reçu un héritage qui n’est pas seulement celui du sol. Des foudres contiennent des vins encore qui s’ils ont été élaborés il y a très longtemps, pour certains, depuis plus de 50 ans sont embouteillés aujourd’hui sous les nouveaux labels : quelle plus juste illustration de ce qu’est le Mas Amiel de nos jours ?
Sans doute les nostalgiques du Vintage classique regrettent-il le niveau de la cuvée d’antan. Mais pour autant, la qualité du Vintage Réserve et de la cuvée Charles Dupuy la surpasse de beaucoup. Nous sommes là, face à de très beaux vins, voire grands pour la dernière.
Pour ce qui est des vins oxydatifs, au rancio noble, la liaison se fait plus en douceur et dans cette région ou la soléra n’est pas coutumière, on peut quand même imaginer que les vieux vins encore en foudre font l’éducation des vins à venir, sinon par mélange, au moins dans le style et par imprégnation de ceux qui ont à les faire.
Les touries veillent devant les chais, elles sont un peu les gardiens du temple.
[size=large]Les vins :[/size]
Altaïr 2011 :
Parcelles mêlées. 70 % de grenache gris, macabeu et grenache blanc.
Le nez développe des arômes de fleurs blanches mêlées à des senteurs d’hydrocarbure à la manière d’un riesling. Le vin en bouche montre une belle structure, un élevage bien maîtrisé, une belle tension et explose sur une finale longue et minérale. J’ai beaucoup aimé.
Vers le Nord 2012 :
Grenache avec de la syrah (8%) d’une parcelle de deux hectares exposés au nord, élevage cuve.
La robe est dense, très colorée, sombre et le vin exhale des notes de fruits rouges et noirs, avec une pointe de menthol et des notes florales qui apparaissent à l’aération. En bouche la structure très marquée surprend plus qu’elle ne séduit d’abord avec des tanins marqués presque sévères. Mais on se fait à cette rigueur et à ce bel exercice de style d’un vin qu’il faut absolument attendre.
Altitude 433 :
Vin issu de 2.5 hectares en altitude complantés de lladonner et de grenache noir, orientés Est.
La robe est sombre, assez dense. Le nez est très séducteur sur des notes florales, de fruits rouges également. Mais c’est la bouche qui ravit le plus avec une rondeur et une suavité vraiment rare, avec des tanins tout en rondeur. Du velours en bouche et jusqu’en finale, avec un équilibre d’une grande fraîcheur. Un très grand plaisir que ce vin suave, long et très élégant. Un coup de cœur !
Légende 2012 :
Grenache noir et carignan issus d’une vigne issus d’une vieille parcelle plantée en 1949.
La robe est très dense, avec des reflets violines. Le nez est très ouvert sur une expression classique méditerranéenne où l’on sent bien l’empreinte du carignan : fruits noirs et épices. Le vin en bouche montre qu’il est encore fougueux, un jus qui demande à se fondre encore, mais d’une belle matière ample, avec des tanins marqués et une belle fraîcheur. La finale est en suspens entre beaux amers, fruits et bonne fraîcheur. C’est un vin très friand, pur, authentique. Simple sans être simpliste.
Carérades 2009 :
Grenache, syrah et carignan.
Beau nez très méditerranéen avec des épices (poivre/ pain d’épices), des notes de fumée.
La matière est dense, il s’agit d’un vin puissant, riche, ferme encore avec un côté solaire indéniable et quelques amers qui semblent un peu dominants pour l’heure sur la finale. A attendre ou à carafer longuement. Vin sérieux et puissant qui manque peut-être un peu d’élégance.
Vintage blanc 2010 :
Des notes de fleurs blanches avec cette touche minérale pétrolée s’échappent du verre. La bouche est bien soyeuse, riche sans que les sucres n’écrasent l’ensemble. Les belles notes d’hydrocarbure sont bien présentes en bouche pour ce vin à la fois long et gourmand au très bel équilibre. Très bien.
Plénitude blanc 2012 :
Vin naturellement doux (sans mutage) issu de macabeu. Les grappes ont passerillé sur le schiste une fois coupées.
Des notes de coing, de pomme, un peu simple pour mon goût pour ce vin très bien fait qui manque d’une pointe de complexité pour ravir tout à fait. Mais c’est très gourmand et bien équilibré.
Charles Dupuy 2008 :
Robe d’encre pour ce vin qui exhale des arômes complexes de fruits noirs, de goudron et d’épices. La bouche est large sur des saveurs fruitées et épicées : du pain d’épices à foison, le tout au travers d’une matière soyeuse. L’équilibre est parfait et à aucun moment on ne sent trop de sucre ou trop d’alcool. La longueur est celle d’un grand vin en devenir. Excellent.
30 ans :
La robe est acajou, vraiment très belle. Le nez est clairement sur le rancio, très marqué, noble et caractéristique avec des notes de noix, de pruneaux, de tabac. La bouche est sur un équilibre demi sec plus que doux, voire se goûte sèche tant les sucres sont gommés par la richesse de saveur, l’acidité et l’amertume. Tout est en place pour ce beau vin qui dispense des saveurs d’orange amère et de goudron. Très grande longueur : à tomber !
1969 :
Deuxième rencontre avec ce vin qui surprend une fois de plus par sa grande délicatesse. Des notes de figue sèche, mâtinée d’épices douces, une belle présence en bouche, ciselée par une grande fraîcheur : un moment unique de délicatesse avec une longueur exceptionnelle. Autant le vin précédent était puissant et viril et excellait dans ce style, autant ce vin joue sur une registre fin et élégant : excellent, lui aussi mais très différent.
1954 :
Ce vin a été mis en bouteille dans les années 60/65. La robe est acajou, avec une certaine turpitude. Il exhale des arômes d’encaustique : c’est riche, mais moins complexe à l’ouverture que les vins précédents : sur la gourmandise assurément mais sans la complexité d’un rancio abouti avec des sucres un peu dominants. Mais une belle émotion de découvrir un vin de cet âge qui possède encore de bien belles qualités.