Le long de la ligne de partage des vins / tout ce qui ne tombe pas loin / est bu avec entrain.
Un géographe anonyme.
Le plateau du Lignon, aux confins des Velay et Vivarais, à l'ombre du Mont Mézenc, ce sont des landes, des prairies et des forêts qui suivent la ligne de partage des eaux. En effet le long de la bordure orientale du Massif central, selon un axe nord-sud, les eaux s’écoulent tantôt vers la Méditerranée, tantôt vers l’Atlantique selon qu’elles courent sur tel ou tel versant bordant cette fameuse ligne. Des landes donc… élimées… et qui laissent apparaître une trame rude de granites et de basaltes tel les genoux de Kurt Cobain qui émergent, monotones, de ses jeans troués. C’est une nature revêche où l’Homme aura longtemps trimé pour en tirer une chiche subsistance et y laisser de modestes traces. Lieu de pâtures parsemées d’estables et cernés de bois sombres et immenses de conifères. Terre de retraite, d'ermitage ou d'exil, terre d'accueil donc, où l’occitan s’est disputé à l’auvergnat. Terre de temples et d’églises aux parvis ensanglantés du temps des guerres religieuses… Terre quittée à l’appel des industrieux stéphanois dans un élan résigné vers la subsistance et le Progrès… Quelques guerres plus tard, d’autres générations retrouveront cette terre par la grâce des congés payés acquis si durement, et gagneront ainsi le droit d’être nommés les « Prends-l ’air » , par une population paysanne clairsemée mais néanmoins perspicace. Une génération plus tard , on parle de « néo-ruraux » qui viennent s’installer, et c’est avec ce genre de terme qu’on met fin à toute velléité de poésie, mais je m’égare… Terre aimée donc ! Même si (ou parce que !) trempée, enneigée et embrumée plus souvent qu’à son tour.
Bref, c’est dans ce coin là qu’un jour un couple de jeune marseillais a décidé qu’Ici ce serait le paradis. Au départ, les dieux, dans leur grande mesquinerie, n’avaient pas facilité la chose en faisant naître nos deux oiseaux migrateurs au bord de la Grande Bleue. Or ce duo de pâles bronzés s’étiolent au soleil, l’air marin lui donne de l’asthme, l’isthme l’emmerde. Un permis B et une rencontre plus tard voilà notre attelage de septentrionaux contrariés en mesure de partir à la recherche d’une montagne adoptive. Vous connaissez la suite…
Si je m'enflamme un peu et que je laisse mon inspiration s'ébrouer c'est que le bonheur d’avoir été ensemble perdure… je ne suis désormais plus surpris des bouffées de gratitude qui m’assaille immanquablement au moment de quitter ce couple de généreux. Cela mérite bien un récit. Alors j’écris. Mais attention ! Il s’agit d’autre chose que d’un devoir de scribe, eût égard à de tels hôtes ! Il s’agit de célébrer, Môssieur ! Mais c’est qu’ils vous inspirent nos deux fends-le-Mistral! On est chez Marius et Jeannette alors tout le monde se lève !
Voici donc le récit de deux repas qui ont eu lieu lors de deux soirées consécutives il y a environ six mois (et que je me décide enfin à finaliser!). Autour de la table , nos hôtes + Fred et Pascal venus spécialement de Marseille (coucou les amis!) + votre serviteur. On fait la ola pour Nico qui nous a servi des plats de hauts niveaux, fruits de multiples sous-préparations, juste incroyables:
PREMIER REPAS
Bruschetta Jambon cru, mozzarella di buffala, huile d'olives maturée. Sablé au parmesan. Puis calamars à la romaine.
Perturbé (positivement) par cette bulle qui évoque assez clairement le riesling (agrumes/terpene), mais comme la bouche est joyeuse, élancée mais pleine, aux accents minéraux je pars sur un très beau champagne d’apéritif ! Zut, c’en est pas un!
Markus Molitor, Mosel riesling sekt Prestige 2008
Jamais je n’aurais pensé que les bulles de Molitor fussent à ce niveau ! La bruschetta est divine, les calamars divins, il n’y a pas d’autres mots. La bulle a assuré avec les deux mets.
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Palourdes farcies au parmesan.
Encore tout ébouriffé je me perds dans ce nez qui a des similitudes avec le précédent. La bouche a du volume, des accents solaires. Je pense à un riesling allemand. Il s’agit d’un autrichien, ce côté solaire aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Très bon, un vin de gastronomie qui a bien accompagné ce plat sudiste et délicieux (des palourdes légères en fin de compte). On peut espérer un surcroit de complexité à la garde pour ce
Prager riesling Smaragd 2014.
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Osso bucco de boeuf, gremolatta / Canestri rigate (maison of course)
Pour ce plat hyper gourmand et riche en saveurs Nicolas a choisi de nous servir un vin… hyper gourmand et riche en saveurs. Un nez sur le fruit, mais de dingue : framboise, cerise, bonbon krema et note de rose, de violette. Envoûtant et gourmand. La bouche ne s’illustre pas par sa structure mais le grain de tanins est d’une finesse incroyable. Quand on connait ce vin on y pense tout de suite, quand on ne connait pas on est à mille lieues de penser à un barolo, c’en est pourtant un de
Burlotto : le barolo Monvigliero 2013. Avec le plat on atteint des sommets de gourmandise, on se ressert du plat, du vin…
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Ce n’est pas
un assortiment de fromages locaux qui va nous arrêter, surtout s’ils sont servis avec une bulle fruitée et rafraîchissante !
Celle-ci exprime des notes de poires sur une trame quasi minérale, qui donne beaucoup d’élégance à ce que j’imagine être un cidre au registre très sec, tendu et à la matière presque tannique. Plus classieux que gourmand ce
Maley cidre Matterhorn alpin charmat est très original et peut s’aborder comme un vin. J’ai bu plusieurs fois des cidres de cette maison chez l’ami Nico et tous méritaient d’être commentés.
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Gâteau de polenta au citron, Glace maison mascarpone / cerises amarena
J’ai beaucoup apprécié ce dessert mais je ne me souviens plus du mariage avec les vins suivants et je n’ai plus pris de notes à partir de là :
Chateau Loubens sante-croix-du-mont 1976
Un vin qui fait son âge avec des sucres qui se sont beaucoup estompés et des notes médicinales assez marquées.
Château Rieussec sauternes 2003
Un vin qu’on situera vite à Sauternes, riche, gourmand, peu complexe à ce stade mais ça reste gourmand, et puis c’est gourmand.
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Bon c’est pas tout ça mais là ce n’était que la modeste soirée d’ouverture, la soirée gastronomique c’est pour demain ! Alors au dodo ! Ci dessous le lieux du pique-nique de demain midi!
SECOND REPAS
Sur une lauze : guimauve de parmesan / verrine aubergine-tomate-pesto / tomate cerise farcie / mozzarella di bufalla panée à l’anglaise.
Une bulle sérieuse, assez corsetée et avec quelques amers peu aimables. Ca se boit mais ça manque d’âme comme le dire Pascal.
Champagne Janisson-Baradon Toulette 2008.
Jamais bu un J-B sur ce registre, du coup c’est une déception ! Signalons le boulot sur ces mises en bouche, chacune d’ elle nécessitant a minima deux sous-préparations, pour un résultat délicieux.
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Sardines marinées, brunoise tomates / fenouil / serpolet. Granité Fenouil / Citron / Serpolet
Ce plat fut une tuerie, la texture de la chair de la sardine ! Mama Mia ! Une pommade fondante, franchement superbe. L’accompagnement plein de caractère donne à ce plat une vraie complexité entre la finesse de la texture et le côté méditerranéen/canaille de l’assaisonnement. J’ai mis de côté le granité par contre tant le sardine/brunoise se suffisait à elle-même. Là-dessus un vin plein de personnalité nous est servi. Et quel vin ! C’est volumineux, dense, riche et en même temps c’est tendu, jamais fatigant. L’aromatique incite à pencher vers le sauvignon, mais le sauvignon bien mûr. Un vin excellent, plein de personnalité !
Sancerre de François Cotat « les monts damnés » 2010
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Raviole de jaune d'œuf et parmesan/ Purée d'artichaut au parmesan / Emulsion et pecorino à la truffe
P… on se régale ! Voilà un plat tout en suavité et en gourmandise. J’adore ! Là-dessus on a droit à une nouvelle bulle : nez épanoui, un peu oxydatif (curry, champignon), fruité, très appétissant. La bouche et crémeuse, bulles très très fines et très serrées. Vinosité, équilibre. Une certaine opulence en largeur mais portée par une structure interne verticale. Il y a à la fois du terroir et du savoir-faire, voire un style, reconnaissable : un
champagne GC Extra-brut Ay la côte faron de Jacques Selosse(dégorgée le 7/2/2018, bref un bébé quoi, mais un beau bébé). Un pur moment de gastronomie. Et quand tu croises le regard de Nico fier et content de te faire plaisir tu en chialerais rien qu’en y repensant.
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Spaghetti à l'encre de seiche / Thon mi cuit et tomates cerises au thym / Jus de palourdes à l'estragon
Le plat qui m’a le moins transporté mais il n’a pas été aidé par le vin, un triste vin que ce
meursault-charmes 2005 du Domaine des Comtes Lafon, corseté, étouffé, voire caricatural d’un élevage qui prend le dessus sur tout le reste.
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Saltimbocca sauge, Mozzarella, jambon cru / Arrancini de risotto au cèpes / Cannelloni de céleris au celerisotto / Sauce au parmesan
On revient à la gourmandise italienne, avec moult accompagnements et surprises (l’arrancini a un cœur de mozarella, le cannelloni (une bande de céleri roulée) est farci de céleri taillé « en grain de riz ». L’ensemble est crémeux, gourmand et délicieux. On nous sert ce qui pourrait bien être un pinot, le nez étant assez caractéristique (et superbe) entre cerise, rose et aspect terreux. Très belle bouche, pleine et fraîche, aux tanins superbement travaillés. Des notes d’élevage en rétro enlève un peu de gourmandise.
Markus Molitor pinot noir brauneberger klostergarten *** 2009. Déjà bon mais à suivre avec intérêt.
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Tiramisu "revisité" au citron, limoncello et fraises
Un dessert régressif dans ses gouts mais en fait léger et frais, je pense qu’on aurait pu en siffler un plat chacun. ^^
Je vais tout de même dire deux mots du liquoreux (bu plutôt à la suite du dessert) et bien que je n’ai pas pris de note. Deux mots pour dire qu’on a là à faire un liquoreux d’école, qui combine richesse et énergie de la plus gourmande et de la plus élégante des façons. Franchement superbe ce :
Gewürztraminer Clos Saint Urbain Rangen de Thann (millésime?) du domaine Zind-Humbrecht.
Merci de m'avoir lu