Trois flacons ont été retenus pour le réveillon et agrémenté le repas suivant : deux classiques ligériens (Domaine Lamé-Delisle Boucard, Bourgueil, cuvée Prestige, 1976 ; Domaine Huet, Vouvray, Le Haut-Lieu 1947 ) et un inconnu (Maison Chauvenet, Côtes du Rhône, 1945).
Leur ouverture 1 h 30 avant le début du repas n'a posé aucun problème, un modeste sommelier et un peu de patience aidant.
Le premier jour, le Bourgueil a brillé par son nez de fruits rouges, de cassis et de pruneau, joliment complexe agréablement relevé par une bouche charnue, fraîche - mentholée, persistante où les tannins se fondaient harmonieusement, ni le vin, ni les mets (chapon à la figue, pâté en croûte, Sainte-Maure-de-Touraine) ne prenant l'ascendant. Alerte compagnon de table, il m'a moins convaincu que ses précédentes prestations. Le souvenir vibrant d'un 1959 du même domaine a probablement desservi ce vin qui a pris la relève du Côtes du Rhône aussi séduisant au nez que dissocié au palais ce soir-là.
La fougue du 1947 a tout balayé ce soir-là : étincelant de fruits exotiques, d'une liqueur qui serait vigoureuse jusqu'à l'excès si une non-moins robuste acidité ne venait lui apporter un contrepoint bienvenu. Cet ouragan gustatif représente en lui-même une expérience inoubliable. Ouvert le 24, il offrait le 26 le même visage. Le mythe et le vin se rejoignent, la couleur ambrée jusqu'à l'extrême évoquant la chaleur torréfiée de l'été 1947, le bouquet évoquant l'effort patient pour dompter tant bien que mal la charge du botrytis.
Ayant subi les outrages d'un carafage vigoureux (sans espoir autre que l'évier) le soir du 24, le Côtes-du-Rhône 1945, époustouflant Phénix, a bénéficié d'un traitement aussi cavalier. Rond, charmeur, il tapisse le palais et donne la réplique au chapon sans faillir. Véritable vin de méditation, sa robe grenat aux rebords tuilés précède une bouche gourmande et complexe, s'étirant langoureusement. Que dire sinon savourer le moment ?