Bonjour à tous,
Je me permets d'intervenir sur votre fil ayant été nommément cité concernant Fukuoka.
Je n'ai ni le temps ni la patience de débattre sur ce sujet (sur aucun d'ailleurs, ancien iacchossien et ayant participé à des forums anglophones sur Prodigy, Wldg..., mon enthousiasme forumeur s'est passablement émoussé), mais j'aimerais corriger une ou deux erreurs qui sont faites sur mon compte et celui de M Fukuoka.
Je mène aujourd'hui un peu moins d'1 ha en agriculture naturelle (c'est le terme qu'ont choisi les traducteurs de M. Fukuoka en français).
A ce jour, c'est une parcelle expérimentale sur laquelle je ne revendique aucune AOC, et pour cause : rien ne me permet d'affirmer que ce type d'agriculture (qui n'autorise pas de forte densité de plantation à l'ha) permettra de donner une image fidèle, ou plus exactement traditionnelle du terroir sur lequel elle est implantée.
Je mène cette expérience parce que 8 années de viticulture de type bio, ne m'ont pas convaincu du bienfondé de cette approche :
si le travail du sol permet de se passer de cette saloperie de glyphosate (nom générique du Roundup) et s'il existe bien des moyens de se passer d'insecticides organo-chlorés (confusion sexuelle, bacillus thuringiensis, abeilles,...) l'abandon de molécule de synthèse de type folpel, dithane et al pour retourner vers le cuivre sous quelque forme que ce soit me dérange énormément.
Le cuivre est un polluant d'une rémanence et d'une toxicité exceptionnelle pour l'environnement et ne devrait d'ailleurs pas tarder à être interdit en agriculture conventionnelle comme bio!...
Sans compter la multiplication des passages au tracteur pour conserver une couverture sanitaire convenable : les consommations de carburants fossilles s'envolent vite...
Dans tous les cas, la plante cultivée reste totalement sous perfusion de l'homme.
Tout ceci me dérange sur un plan éthique et citoyen. Peut on justifier qu'une production aussi peu indispensable à l'humanité provoque la mort biologique de sols dont on pourrait avoir un jour besoin pour des besoins vitaux. Rassurez vous, je n'y mets pas la Côte d'Or, mais honnêtement, quel est le pourcentage des terres viticoles qui produisent des vins dignes d'intérêt culturel et gastronomique à l'échelle mondiale?
Voilà mon idée stupide : moins la production est vitale pour l'humanité ou la planète, et moins son impact sur l'environnement devrait être important. Encore une fois, et bien qu'étant un passionné de longue date et tentant d'en tirer un revenu pour faire vivre ma famille, je ne mets pas le vin au rang des absolues nécessités pour la vie, n'en déplaise à Platon.
Après la seconde guerre mondiale, dans un Japon manquant de tout, M. Fukuoka, biologiste spécialiste du végétal de son état, a développé une agriculture très frugale en moyens aussi bien chimiques que mécaniques et énergétiques.
Cette agriculture est basée sur une posture éthique : intervenir sur les symptômes apparaissant dans un système trop complexe pour qu'on le comprenne dans son intégralité, peut conduire à des dégâts considérables sur ce système, même si les symptômes initiaux ont disparu. Une sorte de théorie du chaos appliquée à l'écologie agricole, en quelque sorte.
M. Fukuoka a mis au point et appliqué cette méthode sur sa propre ferme, étant issu d'une famille de paysans.
Il y a cultivé du riz et produit des fruits pendant plus de 50 ans jusqu'à sa mort l'an dernier.
Sa méthode est très simple :
Pas de labour
Pas de compost ou de d'engrais de quelque sorte
Pas d'intrant (produits de traitement)
Pas de désherbage.
Pour préciser un peu, on va occuper le terrain avec un couvert végétal très dense (en trèfle blanc par exemple), au départ artificiel mais progressivement mi exogène mi endogène. En gros, on va faire sa culture dans un très joli pré auquel on ne touche pas, si ce n'est pour l'entretenir, un peu à la manière d'un fairway ou d'un green de golf : tonte, roulage, aération...Ça, c'est pour pas de labour et pas de désherbage.
Pour pas d'engrais (fertilisation) ni de compost (fertilisation et structuration) : on va semer différentes plantes (en France une céréale rustique pour le printemps et un blé d'hiver) à différents moments de l'année. Plantes qu'on ne récoltera pas mais qu'on couchera ou coupera lorsqu'elles deviendront gênantes pour la culture principale.
On introduit également des plantes à mycorhize de type oignon ail et poireau sauvages, pour favoriser une vie biologique des sols très intense.
En fait, on crée un biotope assez équilibré et autonome dans lequel on va tenter d'introduire une culture...
C'est long, ça demande pas mal de travail et de réflexion...
Je crains que le poil dans la main ne soit de trop pour quelqu'un qui voudrait s'y mettre...
Bien entendu toutes ces explications sont très partielles. Il faut aller loin dans le détail pour réellement comprendre la méthode.
L'homme (agriculteur et chercheur) qui a adapté cette méthode en France dans les années 1970 est Marc Bonfils.
Il y a aujourd'hui plusieurs centaines d'hectare de céréales en Beauce qui sont conduits selon ces principes souvent appelés par les technos "agriculture biologique sous couvert végétal permanent".
Un programme de l'ONU basé sur les résultats de Fukuoka est toujours très actif en Amérique du Sud et en Afrique pour mettre en culture des zones aujourd'hui incultes. Le Brésil compte plusieurs milliers d'hectares de céréales dans le Nordeste menés de la sorte.
On est assez loin de Steiner et de Goethe...
Pour ce qui me concerne, mes tentatives de convertir un vignoble existant ce sont soldés par de cuisants échecs. La vigne n'arrive pas à s'habituer à une concurrence aussi forte et brutale. Les rendements chutent à un point ridicule, la mortalité augmente aussi vite que les rendements ont chuté. Pas terrible.
J'ai ensuite essayé d'établir une nouvelle vigne à partir de plants greffés dans un terrain préparé pendant une saison complète : couvert de trèfle + rotation de céréale + mychorization. Je précise que j'ai planté à un équivalent de 5000 pieds/ha.
Mieux mais là encore, pas mal de problème de croissance et de mortalité. Par contre, une vie sensationnelle et 0 mildiou, les 2 premières années et un tout petit peu sur feuilles uniquement en 2007 et 2008. SANS CUIVRE.
En 2005 rencontre avec un vieux de la vieille qui me fait remarquer que si ça tire trop (en roulant les rrrr) sur les plants, il faut planter les sauvages (le porte greffe) puis greffer en place après 2 ou 3 ans, le temps pour le porte greffe de bien s'implanter.
Et j'ai mis en pratique les techniques de densification progressives que les permaculteurs néozélandais ont mis au point pour les kiwis.
On résume : on fait un champ de trèfle. On y fait 2 cultures dans l'année pour la biomasse (fertilisation et structure). On y plante progressivement des porte-greffes (2 x 500/ha/ans) pendant 2 ans peut être trois. On court la campagne pour y récupérer des poireaux et de l'ail sauvage, dont on fait une pépinière en aéroponie (bio SVP) pour accélérer la production.
On greffe en place le ou les cépages dont on a récupéré les sarments chez les potes (merci à Elian Da Ros, Mathieu Cosse, Ciprien Arlaud et Didier Barouillet pour leur contribution), en massale bio sur des vieilles vignes.
On ne palisse pas. Et oui, tout sur échalas pour pouvoir croiser les passages au tracteur. On appelle les copains apiculteurs pour qu'ils apportent leur ruches au printemps.
Voilà. 5 ans de boulot pour établir une nouvelle vigne... Si Mr Bizeul s'est autant cassé le fion que moi pour planter 1 ha de vigne il comprendra ma surprise de voir ses commentaires sur une méthode qu'il n'a même pas pris le temps d'étudier 5 mn avant de l'agresser sur le plan du travail fourni. La plume leste de l'ancien journaliste peut être?
Au demeurant je le remercie pour son reportage sur son chantier de surgreffage en fente qui m'a été fort utile.
Voilà. 2008 est ma première vraie vendange sur environ 1000 pieds de vigne, conduits sans aucun traitement ni aucune fertilisation.
Une belle année de merde pour une première vendange. Nous avons récolté 1 tonne de raisins avec très peu de perte due au mildiou. Ces raisins étaient murs et sains. Pour une deuxième feuille cette récolte me parait honorable. Il faudra voir la suite.
Maintenant, ma revendication principale.
JE NE FAIS PAS CA PARCE QUE JE CROIS QUE MON VIN SERA MEILLEUR QUE LES AUTRES.
Voilà c'est dit. En plus je ne le vends même pas, mais on le picole en copains.
Pour moi il n'y a pas de corrélation entre méthode culturale et expression du terroir ou qualité intrinsèque du vin.
Un terroir de merde reste un terroir de merde même en bio ou en Fukuoka.
Mais je suis heureux et passionné par cette aventure certes agricole mais surtout humaine dans laquelle je me suis balancé un peu inconsciemment.
Je continuerai ma viticulture en bio matinée de biodynamie (surtout la 500p la 501 et les cycles lunaires) à Brézème. Mais mes prochaines replantations ou nouvelles parcelles seront au moins partiellement conduites en agriculture naturelle, au moins pour voir si des densités de plantation de 2 ou 3000 pieds/ha permettent d'exprimer le terroir comme le font aujourd'hui leur grandes sœurs à 6000.
Je continuerai aussi l'achat de vendange et le négoce pur et dur, parce que j'en besoin pour nourrir ma famille, qu'il n'y a pas que des geeks qui boivent du vin et que 10 euros dans une quille ça fait déjà mal à pas mal de nos concitoyens et pas uniquement parce qu'ils préfèrent le tiercé au pinard.
Il y a aussi l'immense, et crucial au sens de Masanobu Fukuoka , problème de la gestion des ressources foliaires. Dans cette agriculture, la seule source d'énergie mise en oeuvre est l'énergie solaire. Le seul capteur dont on (les plantes, en fait) dispose sont les feuilles. Tout part et repose là dessus. Gérer la surface et l'efficacité foliaire de toutes les cultures qui entrent en jeu.
Ce qui revient à explorer un monde quasi inconnu de symbioses mystérieuses et d'enzymes diverses et variées.
Un peu de boulot en perspective apparemment.
A oui, j'ai oublié : je taille (gobelet), contrairement aux recommandations de Mr Fukuoka qui, au demeurant, n'ont jamais porté sur la vigne.
Cordialement
Eric Texier
PS Ce sera ma seule intervention sur ce forum, mais je répondrai dans la mesure de mes disponibilités et de mes connaissances à vos questions par MP @
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Ou venez causer un brin pendant
décourvertes en vallée du rhone
ou
haut les vins
A lire :
Agriculture naturelle
(M. Fukuoka)