A la table de Saint Pierre, quelques minutes d’éternité.
Nous nous étions pourtant promis de faire simple. La seule idée de descendre de Dijon vers Beaune était en soi la promesse d’un beau voyage même si nous avions décidé de faire preuve de retenue et de mesure dans nos étapes dominicales.
Pour les uns, cet immersion relevait d’un voyage initiatique. Pour les autres, d’une étape incontournable dans l’itinéraire que nous traçons depuis la création de LPV Haute-Normandie. Pour tous, la promesse d’un bon moment et, secret espoir, de belles rencontres.
En cette fin de mois de novembre, la Haute-Normandie est enveloppée d’un voile gris. Le temps maussade ne donne franchement pas envie de sortir. Mais le grand jour est arrivé ! Et nous en profiterons d’autant plus que nous avons eu quelques difficultés pour trouver un lieu d’accueil. En effet, peu de restaurants sont enclins à ouvrir une salle à quelques passionnés qui ne consommeront pas de vin. Pas leurs vins.
Aussi, Pierre, toujours généreux, a-t-il spontanément proposé de recevoir le groupe et de cuisiner le plat principal. Au terme de quelques échanges, nous avons décidé que ce serait un bœuf Bourguignon. L’entrée sera composée de charcuteries diverses. Un magnifique plateau de fromages patiemment affinés succédera au plat principal et un douillon aux pommes parachèvera le menu.
Dans ces conditions, seul un ouragan de la force de Katrina pourrait nous empêcher de nous réunir.
Amadeus et moi arrivons alors que toute la petite bande est réunie : pour les contributeurs LPViens, Pierre, RZAC23, Gildas, FGSuperfred, Amadeusmaldoror et votre serviteur. Pour les lecteurs : Christian, Jean-François, Marc et Benoît. Les compagnes de Pierre et Franck illuminent de leur présence la grisaille automnale.
L’entrée de la maison de Pierre ferait pâlir d’envie n’importe quel négociant de la place de Bordeaux. Partout, des caisses, des cartons, des discussions. La passion du vin nous anime et nous dévore. Que de promesses de bons moments à venir dans la valse des bouteilles échangées, remises, données, commentées ! Un groupe est définitivement né et son acte de naissance est frappé du sceau de l’amitié.
Il est temps de passer à table. Benoît manque à l’appel. Il nous rejoindra après avoir raccompagné chez eux les jeunes footballeurs qu’il encadre.
Les premiers vins sont servis avec une entrée de pâtés divers. Nous avons pris cette option car nous avions peur que nos pinots ne souffrissent (joli !
) face à des mets plus… élaborés. Mention spéciale à Christian qui, non content d’être un excellent dégustateur, est assurément doué pour la cuisine. Son pâté de veau au piment d’Espelette vaut, à lui seul, le déplacement.
1ère confrontation: Morey Saint Denis 2000 du Domaine Dujac face au Beaune 1er Cru Clos des Mouches 98 de Drouhin.
Le Morey s'annonce dans une robe grenat limpide, pas très dense alors que la robe du Clos des Mouches est plus évoluée et plus dense. Avantage Beaune.
Le Morey présente un nez très classe même s'il paraît un peu plus vert que celui du Beaune. L'évolution à la dégustation le fait apparaître un peu moins précis que le Beaune. Le Morey évolue vers des notes plus animales, giboyeuses, alors que le Beaune offre du café, un cassis remarquablement mûr, une bouche longue et épicée, très équilibrée.
Même si la finale est un peu courte, avantage au Beaune.
Les fins de verre sont classieuses et distinguées.
La dégustation commence très, très fort et la discussion est lancée.
Le
Gevrey Chambertin 1er Cru Bel Air 1995 du Domaine Taupenot Merme est confronté au
Vosne-Romanée Aux Réas 2002 d'Anne Françoise Gros.
Le nez du Gevrey est, somme toute, assez discret. J'en attendais beaucoup plus, même si les odeurs de venaison transpercent. En bouche, les tanins sont patinés et les notes tertiaires prédominent. Un peu déçu par son manque d'éclat, je lui trouve tout de même une longueur correcte. Le Vosne est beaucoup plus classique. Il pinote bien et révèle une bouche plus corpulente, plus tannique, avec une matière bien présente. Je trouve néanmoins sa finale plus courte que celle du Gevrey. Avantage au Vosne.
La dégustation parallèle du
Vosne-Romanée 1er Cru "Les Beaux Monts" Michel Noëllat avec le
Gevrey Chambertin 1993 Denis Mortet "En Motrot" est passionnante :
Le nez du Vosne est très joli, sur le fruit avec quelques notes vanillées, mais je lui reproche un style un peu en dehors des « canons » bourguignons. La couleur est très belle. En bouche, c'est très accessible, équilibré. Les tanins sont fondus. C'est une bien jolie bouteille, dans un style moderne. J'aime beaucoup et je pense que ma femme s'en serait, elle aussi, régalée.
Face à elle, le Gevrey de Mortet s'annonce par un nez peu avenant, une couleur presque marron et une robe opaque. Le vin est bloqué, muet. Sa température de service, un peu trop fraîche, ne lui permet pas de s'exprimer. En bouche, je perçois une grosse matière, avec des tanins encore fermes. Des notes fumées, peu courantes, m'interrogent. Cette bouteille présente assurément le plus gros potentiel de ce que nous avons dégusté jusqu'à présent. Mais comment la juger en l'état ? Nous choisissons de laisser du temps au vin et de l'accompagner avec le boeuf bourguignon. Un quart d'heure plus tard, réchauffé, le vin révèle enfin un nez très fin, remarquablement construit entre le fruit et l'animal. Très intéressant. Mais lequel choisir ? Allez ! Avantage à Mortet, qui correspond plus à l'idée que je me fais de la Bourgogne.
Le bœuf bourguignon est annoncéX(. A la vue du plat, c’est la 8e merveille du monde qui apparaît:
. Rarement ce monument de la cuisine française ne m’aura enthousiasmé de la sorte. Il faut dire que Pierre y a mis plus que du temps. Il y a mis de l’amour et ce bœuf en a le goût.
La viande, choisie chez le boucher, a été longuement mitonnée dans… 8 litres de vin et 1,5 l de fond de veau ! Les oignons ont réduit dans un sirop qui les a confit tout en conservant leur saveur. De leur côté, les lardons fumés prennent leur rôle d’accompagnateur très au sérieux. Enfin, cuits à part, les petits champignons de Paris délivrent la touche automnale de circonstance. C’est simple ? Pas autant que ça…
Le secret de fabrication réside dans la sauce, proprement hallucinante. Un nappage noir, dense et suave, qui entoure de volupté les autres ingrédients. Une réduction qui aura pris tout son temps pour se livrer : pas moins de 8 heures de cuisson furent nécessaire pour parvenir à ce résultat d’une finesse et d’une saveur superlatives ! Pour avoir une idée de ce qu’est vraiment
le p’tit Jésus en culotte de v’lours, il fallait avoir la chance, le bonheur ! que dis-je... le privilège ! de goûter la sauce de ce Bourguignon.
Les pommes de terre du jardin, servies en robe des champs, ne connaissent pas leur chance. J’aurais tout donné pour prendre un bain dans cette sauce !
Tiens ! En parlant de patates : en servant le bœuf, Gildas a créé une animation digne du
plus grand cabernet cabaret du monde. D’un geste assuré, mais totalement imprévu, il laisse tomber une pomme de terre sur le buvant d’un Spiegelau. Et ô miracle ! La patate tombe sur son exact centre de gravité, sans que le verre de bouge d’un poil ! Ni que le vin ne soit gâté !
Commentaire d’un convive :
"Oh ! quelle cuisson !"
Moi qui suis également un peu magicien à mes heures, j’ai été proprement estomaqué par la prestation. Je ne vous ai pas dit que j’avais des talents de prestidigitateur ?
Donnez-moi un verre de bourgogne, je le fais disparaître en moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire ! Je suis une sorte de David Copperfield de la bouteille…
la femme en moins…
Entre sur le ring le
Nuits Saint Georges 1er Cru 2003 "Clos des Porrets Saint Georges" d'Henri Gouge. Il sera opposé au
Marsannay Les Saint Jacques 2005 du Domaine Bart.
Le NSG s'annonce dans des atours plutôt jeunes. Au nez, un fruit délicat fait son apparition. La bouche, tannique, révèle des épices douces très délicates. Bien que jeune, c'est très agréable et, surtout, accessible. Du potentiel.
De son côté, le Marsannay me paraît moyen. A l'olfaction, une petite verdeur fait son apparition et me bloque un peu. Mais cette note n'est pas du tout confirmée en bouche où un fruit bien mûr fait son apparition. La finale, un peu viandée, est très jolie. Je passe plusieurs minutes sur ce vin est révise finalement mon jugement. Mais je laisse l'avantage au Gouge.
Le 9e vin est, lui aussi, très jeune. Tannique, avec un beau fruit (fraise des bois), il manque néanmoins de complexité et présente une légère amertume que je juge rédhibitoire. Comme l'a dit Frank, il paraît anodin au regard de ses prédécesseurs. Le
Bourgogne 2006 du domaine Méo Camuzet ne m'emballe pas plus que ça, mais reste néanmoins meilleur que le
Côtes de Nuits Villages 2005 Vieilles Vignes du domaine Naudin Ferrand. La bouteille est mal jugée par l'ensemble de l'assemblée. En dépit d'un nez peu flatteur, marqué par des notes éthérées, je lui trouve une bouche plutôt sympa et une finale correcte. Un peu plus de finesse que le bourgogne générique. Je pense à un 2006, c'est un 2005. Sur ce match, force est de reconnaître la suprématie, toute modeste, de Méo Camuzet.
Nous achevons la série avec un joli duel : entrent en scène le
Chambolle-Musigny 2005 du Domaine Dujac et le
Fixin 2005 Champs des Charmes de Jérôme Galeyrand. Le nez du Fixin est remarquablement suave et fin. Il délivre de délicates odeurs de cacao, de café, des notes toastées soutenues par des petits fruits noirs.
En bouche, c'est soyeux - joyeux allais-je écrire - très gourmand et bien équilibré. Malgré son style un peu Too Much, ce Fixin est une vraie découverte ! Je m'interroge néanmoins sur une éventuelle garde. A quoi bon puisque c'est déjà bon ?
Le Chambolle de Dujac est un peu dans le même style tout en étant différent : du fruit, de la matière, du volume. C'est moderne, avec un élevage encore présent. Néanmoins, le vin paraît un peu fermé. La finale révèle une note viandée. C'est très bon, mais je ne retrouve pas ce que j'aime dans le pinot : une finesse toute féminine.
Au terme de cette dégustation, nous sommes tous d'accord. C'est la première fois que nous sommes confrontés à une dégustation de ce niveau, tant dans la qualité des vins que de leur relative homogénéité. Même les plus réticents, les chantres du cabernet et du merlot, les héraults du braucol finissent par faire une génuflexion devant la magie du pinot.
Il ne nous reste plus qu'à passer aux fromages. RZAC23 et sa compagne nous ont concocté un plateau des plus avenant(tu). Remarquablement affinés, tous sont de véritables gourmandises qui mettent nos papilles en émoi : brie, époisses, bleu d'auvergne et bien d'autres encore. Tous meilleurs les uns que les autres !
J'adresse toutes mes excuses à Marc : occupé par le service, j'en ai oublié de noter mes impressions, plutôt favorables, sur le
Santenay blanc 2001 "en bievau" du Domaine Bart.
De son côté, Pierre, ayant fini l'apéritif, décide que le moment est venu de s'amuser. Commence alors un voyage dans une autre dimension.
Sa majesté le
Chambertin 1999 du Domaine Tortochot entre en scène accompagné du
Grand Echézeaux 2002 du Domaine Coquard Loison Fleurot.
Le Chambertin s'annonce par un nez très délicat, mais timide. La bouche est puissante et très équilibrée. Beaucoup de volume, des fruits noirs confits, aux parfums complexes mais délicats. C'est très harmonieux, c'est très long, c'est superbe.
Il faudrait faire goûter un Chambertin à tous les mecs qui sont agressifs, qui ont envie de se battre.
« Tiens mon gars ! Bois ça ! Quoi ? T'en veux plus ou tu me casses la gueule ? OK, OK, ne te fâche pas..."
Le Grand Echézeaux révèle un nez plus masculin, sur des notes de venaison et de fruits noirs. La bouche est curieuse : J'ai l'impression de boire des fruits noirs grillés. Une étrange note de châtaigne grillée, évoquée par Pierre, fait son apparition. La bouche se distingue par son volume et sa matière. Moins complexe que le vin précédent, cette bouteille provient assurément d'un noble climat. Un Grands Echézeaux complètement différent de celui que nous avions goûté au printemps, mais très beau néanmoins.
Que peut-on découvrir de meilleur après ces flacons ? Il est toujours possible de monter d'un cran, mais pourrons-nous, ignares et incultes que nous sommes, après avoir ingurgité ce pantagruellique plat rustique, apprécier à leur juste valeur les merveilles qui vont suivre ?
Le
Musigny 2000 de Jacques Frédéric Mugnier est immédiatement plus accessible que les deux vins précédents. Le nez est envoûtant, très floral, sur la rose, la violette, d'une extraordinaire finesse. En bouche, c'est d'une sensualité incroyable. Oui ! Ce vin est sensuel, fin, ciselé. La finale est magnifique, éternelle. Quel Vin ! Quelle Bouteille !
Ce Musigny, c'est la tour lanterne de l'abbaye de saint Ouen : un élan vers les cieux, la promesse du paradis !
Pour finir, le
Clos de Tart 2001 est servi en toute décontraction. Quelle faute de goût ! Un Clos de Tart ouvert comme ça, sans decorum ni déférence ? On aura tout vu ! Eh oui... Que voulez-vous ? Les jeunes, ça ne respecte plus rien ma bonne dame ! Tenez ! Moi, d'mon temps...
Le nez n'est pas très locace, mais la bouche est extraordinairement délicate et puissante. C'est un vin en devenir qui n'a encore rien dit en dépit d'une bouche très complexe bâtie sur les petits fruits noirs rôtis, mûrs, des notes de moka onctueux, finement toasté. C'est soyeux, précis, raffiné, ample et comprimé à la fois. C'est magique, c'est Divin, c'est au delà de tout ce que j'ai bu jusqu'à présent.
Clos de Tart, c'est comme Méduse et les sirènes réunies : Tu le goûtes et tu ne peux plus résister, tu en bois et tu restes pétrifié.
Et pour finir,
Tirecul 2001, toujours égal à lui-même :
Magnifique couleur dorée intense, brillante,
Superbe nez ample et riche, sur le safran, le miel de bruyère, la cire d'abeille, le coing, l'abricot, l'ananas, le sucre candy. Très noble botrytis, lumineux, précis.
Une acidité aérienne fait oublier la présence du sucre et rend cette bouteille vibrante d'énergie. C'est très long, très concentré. C'est magnifique.
Bilan : Comment rendre à notre ami ce qu'il nous a permis de vivre ? Comment remercier quelqu'un qui vous accueille, se met en quatre pour vous faire plaisir et qui, non content de cela, vous offre de telles émotions ? Peut-être en étant à son image, simple, curieux, passionné et... loin des conventions. A charge de revanche, fais nous confiance !