Le millésime 2018 et le travail de porte-greffe par Anne-Marie et Jean-Marc Vincent
Ce n'est pas parce qu'un passage au domaine est devenu une coutume que notre enthousiasme a faibli. Au contraire, c'est avec un plaisir réitéré que nous nous présentons rue Sainte Agathe à Santenay. Cette année, c'est une Anne-Marie un peu fatiguée qui nous reçoit. La saison et le contexte ont été à l'évidence un peu plus usant. Il faut également dire que nous sommes dans la région à une période plus tardive qu'habituellement. Notre hôte ne consacrera cependant pas moins de son précieux temps à nous accueillir alors qu'elle attend des convives plus tard en soirée.
- Bonjour. La vigne est plutôt en avance cette année. Vous avez peut-être revu un peu votre organisation?
- La vigne ne s'est pas arrêtée pendant le confinement. Nous avons embauché un permanent en plus. C'est un jeune qui était déjà intervenu plusieurs fois chez nous. Il a fallu fournir un véhicule à chacun pour qu'ils puissent venir travailler.
- Vos enfants vous viennent peut-être en aide?
- Notre fille fait son BTS viti oeno à Reims. Elle fait son alternance avec nous et elle ira vinifier dans d'autres endroits. C'est bien qu'elle puisse voir ce qui se fait ailleurs.
- Vos confrères racontent qu'avec le déconfinement plusieurs marchés se précipitent pour avoir du vin.
- Oui, oui. Je viens d'expédier l'Australie. Après les transports ont fini par bien fonctionner pendant la période. Nous avons pris toutes les précautions nécessaires.
- On lit que plusieurs établissements gastronomiques, importateurs/exportateurs sont en difficultés face à la baisse de la consommation. Qu'en est-il pour vous?
- Et bien nous avons de la chance. Il n'y a eu aucune annulation. L'export se porte bien. Nous vendons aux professionnels qui vendent à leur tour aux particuliers, pas aux pro. Et l'Angleterre a beaucoup consommé pendant le confinement
. Jean-Marc est parti poudré contre l'oïdium, il nous rejoindra tout à l'heure.
Bourgogne blanc
Une sacrée tension d'emblée. Le fond se goûte bien rapidement; sur la poire, l'amande fraîche. Le grip crayeux est épais. C'est net et très propre. Je ne me rappelle pas l'avoir goûté à ce niveau.
B.
Entretenir, planter et replanter ses vignes
- Vous nous aviez partagé la vidéo sur le rognage. Et nous avions échangé sur ce qui pouvait se faire dans d'autres régions. Où en êtes-vous désormais?
- Nous tressons toujours plus de parcelles. L'intégralité des Pinots Noirs le sont. On effeuille aussi à la main.
- C'est une charge de travail considérable ! Depuis le début de notre séjour, il nous arrive d'apercevoir des feuilles jaunes tant sur Nuits que sur Beaune. A quoi est-ce dû?
- La Chlorose. Il y a moins de raisins, voire pas.
Santenay village Haute Densité
"C'est la première année que nous le faisons. C'est la 4ème année des vignes, la 3ème feuille."
Un accès plus arrondi que le précédent. L'acidité vient rehausser dans un second cette attaque confortable. La matière paraît moins épaisse.
B-.
- Vous nous aviez montré l'an passé quelques secteurs où vous alliez planter. En avez-vous eu d'autres?
- Passetemps a été arraché en partie juste après les vendanges. Nous n'y avions plus la vigueur attendue, notamment comparativement à notre parcelle de Gravières. Il n'y en aura par conséquent pas beaucoup sur 2019. Les Prarons ont été replanté le 1er Avril et ils seront assemblés avec l'autre "Prarons" blanc pour étoffer la cuvée "Santenay Les Vignes Denses".
- Toujours en haute densité l'an?
- Oui, tous les 40 cms par endroits.
- Début Avril correspond au moment où il y a eu du gel.
- Nous ne l'avions pas vu venir. Les jeunes pieds sont effectivement fragiles. Après, il a surtout fortement gelé sur les Potets.
- D'autres vignes ont-elles été renouvelées?f
- Auxey a été planté l'an passé.
Santenay 1er cru Beaurepaire
On regagne ici en netteté. Il existe un côté soyeux. C'est assez surprenant puisque c'est un terme que j'utilise plus usuellement sur les rouges. Une pincée d'épices et de sel vient mettre en évidence un petit côté de poire Williams, sans son côté chaleureux. Les notes salines sont les bienvenues ici puisqu'en l'absence de notes d'agrume, elles rendent le vin très digeste.
TB-.
Jean-Marc revient de son traitement à ce moment-là, revêtu d'une combinaison blanche.
- La dernière fois que nous étions venu, vous nous aviez parlé de possibles changements sur la futaille. Qu'avez-vous finalement changé?
- Nous n'avons presque plus de fûts neufs. On teste des 300l. Et on va recourir à un nouveau tonnelier. Nous avons également changé notre bouchage. Nous prenons désormais des Diams bio pour les blancs. La colle est désormais plus naturelle, à base de ricin. Et la cire d'abeille procure plus d'élasticité. Seul le silicone autour n'est pas bio. Nous conservons le liège pour les rouges.
- L'un de vos confrères et ami n'a pas nécessairement décidé de traiter au regard de la faible poussée d'oïdium. Qu'est-ce qui vous pousse à le faire?
- J'ai beaucoup étudié la phyto. Même avec 5% d'oïdium, ça peut changer vite. Il y a toujours le "On ne sait jamais". La différence avec le confrère que vous évoquez est qu'il possède des rouges plus précoces. D'ailleurs, la phyto bio, c'est un des enjeux futurs. On commence à avoir des choses intéressantes maintenant. Beloukha est un vieil herbicide de contact bio à base d'acide citrique et d'acide gras. Il a un effet desséchant. J'aimerais bien qu'il y ait davantage d'investissement sur le sujet.
- Pour parler 2018, le millésime a plutôt été généreux dans la région. Qu'en est-il pour vous?
- Le rendement est normal. Sur la haute densité, nous faisons 25hl. Pour le reste, 38hl en rouge et 40-45hl en blanc. Nous avons le même nombre de bouteilles qu'en 2017. On rogne haut, du coup ça tire et ça fait de petits raisins. En 2019 on a un peu plus.
- Les acidités sont plutôt basses en 2018.
- On a moins de 2g de malique. Sur le Pinot, il a fallu aller chercher 14 car il y a eu un blocage dans la maturité phénolique à un moment.
L'importance d'adapter le matériel végétal à chaque terroir
- Et si l'on revient sur 2019, à quel moment vendangez-vous? Il a fait plutôt chaud et sec.
- Les vendanges ont débuté le 9 Septembre. Le problème avec les hausses de température et la sécheresse, c'est de parvenir à garder des sols aérés. Plus il fait sec, plus le sol est compacté et moins il y a de rendement. Le terroir ne retient que jusqu'à 200 ml d'eau lorsqu'il en faut 450 par an. Et puis on ne parle pas assez du vent. Il provoque un stress hydrique.
Santenay 1er cru Beaurepaire
C'est floral, frais, sur des notes de violette. Les tanins sont polis sur leur pourtour, fins en leur corps. La presque mâche est dense et élégante à la fois. Une petite note de zan/réglisse rappelle subtilement le millésime. La toute finale rappelle un élevage encore jeune et la patience dont il faudra se munir pour mieux apprécier l'ensemble.
B+/TB-
- J'imagine que vous avez pris l'opportunité des replantations pour améliorer certaines choses.
- On refait toutes les greffes en anglaise. C'est mieux assimilé et ça pousse mieux. On choisit également le porte-greffe selon la parcelle où il devra pousser, selon la réserve hydrique. Si on prend un porte-greffe destiné à un sol maigre sur un endroit avec de l'eau, il sera très/trop vigoureux. Avoir le recul suffisant sur la bonne adéquation porte-greffe/greffon va me prendre une dizaine d'années. Je choisis traditionnellement du 5C sur les sols maigres. En plaine, j'utilise plutôt du 3309. Je tâche d'éviter le matériel trop faible. Sur les terrains calcaires et maigres, des 333 EM. Et sur les terrains calcaires mais plus riches, du Fercal. Je teste aussi quelques porte-greffes du Sud. Le 110 Richter est vigoureux sur les terrains très maigres.
NDLR: Jean-Marc me pardonnera par avance si d'aventure je n'ai pas correctement noté une des nombreuses références qu'il a partagées .
- J'imagine que vous faîtes des sélections massales des greffons?
- Avant la reproduction se faisait par voie sexuée. Les pépins mutent facilement et à la sortie il y avait donc beaucoup de différences. Avec la sélection massale, on choisit les branches pour la reproduction végétative. Le choix d'un groupe fait la sélection massale. J'ai 200 chardonnays en collection lorsqu'il en faudrait une trentaine. Avant de former une sélection massale, il faut surveiller si la maladie est présente ou pas. On marque et démarque ainsi les pieds. Et bien entendu, on cherche à sauver ceux de 70-80 ans.
Anne-Marie passe alors une tête pour se faire gardienne du temps. Son époux aurait sinon passé son après-midi à nous partager plus encore son savoir et son expérience. Jean-Marc est un puit de connaissance. Une visite à nouveau remarquable en dépit des conditions et de la période inhabituelles et des 2018 à encaver. On en redemande. Quand on vous dit que le vin est une passion.
Edit: précisions du domaine. Et pour information complémentaire: les vendanges ont commencé le 24 Août 2020 pour ce millésime.