Me voilà devant la grille du Château Latour. En cette matinée de Décembre, le temps vire au gris avec un soleil qui tente désespérément de percer. La vigne prend des allures de petite sÅ“ur des pauvres par son aspect humble et dépouillé. Les couleurs de l'automne sont belles, flamboyante par endroits. Un petit vent frais souffle depuis la Gironde, toujours aussi boueuse et que l'on aperçoit au loin, en contrebas. Pichon Comtesse se trouve tout de suite sur la gauche, Léoville Las Cases délimite la frontière à droite et Pichon Longueville trône majestueux, droit devant et juste en face. Nous sommes bien là au cÅ“ur des grands Pauillac. C'est magique! Et devant moi, Château Latour. La belle bâtisse, entourée des vignes et de son jardinet, n'a rien en commun avec la magnificence pompeuse d'un Pichon Baron ou Comtesse, d'un Lafitte ou encore d'un Beychevelle mais cette demeure de la grande bourgeoisie possède quelque chose d'irréel, de sublime qui, à l'instar de l'architecture simple de Château Margaux ou Château Palmer, nous transporte dans une autre dimension.
Fermé depuis plus de 2 ans pour travaux, ce 1er CC de Pauillac ouvre enfin à nouveau ses portes aux visiteurs. C'est une bonne chose car j'ai envie de visiter. Ca tombe bien non?
Lors d'un premier contact au mois de Mai pour tester les possibilités, la réponse de l'époque était qu'une prise de RDV 2 mois à l'avance était l'usage. Là , nous sommes Lundi date de l'appel téléphonique pour un RDV le jeudi! Y ont fait des progrès! Tant mieux pour moi. Qui plus est, comme lors des 5 précédentes visites effectuées ces 2 jours, je serai seul! Super!
Revenons maintenant devant les grilles. Elles s'ouvrent. Premier constat: Se repérer n'est pas simple car l'absence de panneaux et de fléchage me fait déambuler avec un bonheur tout jubilatoire entre les ceps quelques bonnes minutes. Le domaine est immense, je vous l'assure. Enfin, avec l'aide d'un des ouvriers du site, je repère les lieux et me dirige vers les bureaux. Une petite attente de quelques minutes dans un salon vraiment très «cosy» me permet de me réchauffer en douceur et dans le calme. En 2 ans, François Pinault, propriétaire de ce bout de légende, a investit plusieurs millions d'euros (+ de 120 de mémoire. Merci le Crédit Lyonnais! (aaa)) dans la réfection des locaux. Tout y est passé! Les Chais, les bureaux, le cuvier, les locaux techniques et le matériel....etc...Tout sauf le château! Le résultat est stupéfiant! Un luxe discret mais bien réel. Ah! Mais voilà mon guide qui arrive. Une demoiselle (charmante, bien sûr (aaa)) se propose de me faire découvrir les lieux. Je la suivrai donc à la découverte de Latour.
Notre première étape nous conduit dans une salle de projection où plusieurs fauteuils en cuir nous attendent ainsi qu'un écran géant au plasma. Quand je vous disais que l'investissement était important! Un petit film d'une quinzaine de mn nous transporte dans le temps puis dans les vignes. Un petit film plutôt bien fait et narré avec un soin méticuleux. J'apprécie le moment, la tiédeur des lieux et le confort des sièges. Après m'être assoupi (aaa), il est temps de nous rendre au cuvier.
Dans celui-ci trônent 68 cuves inox et 1 grosse cuve d'assemblage de 2200 hectolitres. Ce nombre de cuves correspond à une ou deux unités près au nombre de parcelles de vignes que compte le Château. La vigne, justement, parlons en!
47 hectares ( à majorité Cabernet sauvignon mais aussi Merlot, Cabernet Franc et Petit Verdots) d'un seul tenant sur la propriété (pour Latour et Les Forts de Latour). A cela il faut ajouter 12 hectares de Cabernet sauvignon et 3 hectares de Merlot situés à l'Ouest, entre les Châteaux Batailley, Pichon Comtesse et Talbot (pour Les Forts de Latour) plus 4 hectares à l'Est dédiés à l'élaboration du Pauillac générique du Château Latour.
Chaque année et en moyenne, 300 000 bouteilles sont produites. 50 000 pour le Pauillac, 140 000 pour Les Forts et 175 000 pour le grand vin. En 2002, suite à la baisse des rendements de 50/55 hecto à 30/35 hecto (24 hecto/ha pour le grand vin Latour), le nombre de bouteilles atteindra difficilement le nombre de 200 000. En 2003, même punition: même rendements, même production.
Nous laissons derrière nous le cuvier et pénétrons dans le chai ou se repose le 2003. Alors! Et ce 2003, il s'annonce comment?
«Grandiose!»
«Oui, mais encore. Que pensez-vous de la faible acidité et de l'équilibre de ce millésime?»
«Pas d'acidification! Nous sommes proche de la Gironde et notre sol n'a pas manqué d'eau. Le millésime sera superbe! Mais, je vais poser la question tout de même»
Nous rejoignons un membre de l'équipe présente dans le chai. De toute évidence un interlocuteur privilégié de ma jeune (et charmante) accompagnatrice. Il possède quelques arpents sur Pauillac et produit lui même son vin. Celui-ci (l'employé) est franc et direct: Le Château Latour a procédé à une légère acidification sur le millésime 2003. De plus, pour lui, 2003 va manquer d'équilibre, dominé par la puissance alcoolique au détriment de la finesse du fruit. Cette année, une dérogation autorise les vins à monter à 13,5° et c'est heureux mais 2003 ne sera pas un très grand millésime pour Latour!
Boum boum badaboum!
«Mais pourtant ce millésime est encensé par la critique et la presse?? Je ne comprends pas!»
Ahhh! Ces critiques! Cette presse! Comme toujours, il y a à boire et à manger. C'est comme dans la vigne, il faut plusieurs tries pour obtenir un bon résultat!
Alors, passons sous silence les pleurs et les atermoiements et intéressons nous à ce chai. Ces chais en fait car, en dessous, positionné à l'identique, c'est le 2002 qui sommeille. Ils sont sobres, ultramodernes, propres et bien étudiés. Climatisés of course et contiennent environ 800 fûts chacun, neufs cela va sans dire. Et bien non! Le grand vin a droit à 90% de fûts neuf et 10% de fûts de 1 vin. Pour Les Forts de Latour, c'est 50/50! Bien sûr, c'est le millésime qui détermine en priorité le pourcentage. 10 fabriquants se partagent la galette. Le bois vient de l'allier. Départ des chais et passage par la chaîne d'étiquetage. Plusieurs racks métalliques accueillent les bouteilles en attente d'étiquetages et d'encapsulage. Pour préserver les bouchons, une enveloppe de plastique (polyéthane?) est positionnée en lieu et place de la capsule. C'est assez novateur. La chaîne d'embouteillage est très complète. Seuls les double magnums sont étiquetés à la main et la pose du papier de soie est elle aussi manuelle. Un soin tout particulier est apporté à cette opération car il est nécessaire que l'armoirie de l'étiquette sur la bouteille ainsi que celle présente sur le papier se superpose. Quel soucis du détail!
C'était notre dernière étape avant la dégustation. Nous nous rendons donc dans cette grande et superbe salle qui offre une vue magnifique sur les vignes alentours. La dégustation se porte sur le Pauillac générique 2002, Les Forts de Latour 2002 et Latour 2002. Les 3 vins proposés sont positionnés dans leurs verres, les uns à côté des autres et cela permet d'ores et déjà un premier comparatif de couleur. Et cela va crescendo même si c'est assez difficilement perceptible au premier coup d'Å“il. D'un rouge sombre pour le premier à une opacité lumineuse pour le dernier.
Château Latour. Pauillac 2002: 55% Cabernet et 45% Merlot. La robe est rouge rubis, écarlate et d'une belle profondeur. Le nez très fruité. En bouche, la cerise, la myrtille dominent. Le vin est très souple, d'une belle ampleur mais manque un peu de finesse. Les tannins du bois, présents, ne sont pas excessifs. La matière est correcte, sans plus. C'est une cuvée simple, assez bien équilibrée, un peu rustre tout de même mais qui dévoile un certain potentiel pour les 5/6 ans à venir.
Château Latour. Les Forts de Latour 2002: 82% Cabernet et 18% Merlot. La robe s'assombrit. Des reflets violine marquent le disque. Le nez est très prononcé sur des notes grillées et les fruits noirs. En bouche, la démonstration de puissance est instantanée. Les tannins sont rudes, massifs mais laissent une fort agréable sensation de souplesse. Les arômes de fruits noirs resurgissent, sur le cassis, la cerise noire. Il y a du corps, du volume et une certaine finesse se dégage derrière cette apparente austérité des tannins. La finale est d'une belle longueur, très fruité elle aussi et dégage, en toute fin, une légère pointe d'amertume.
Château Latour 2002: 74% Cabernet, 25% Merlot et 1% Cabernet Franc et Petits Verdots. La robe est presque opaque, sombre, éclatante dans sa noirceur avec des tons carmin et rubis. Le nez s'ouvre lentement, difficilement mais peu à peu dégage des notes puissantes de fruits noirs, d'épices et de cuir. La première sensation dès que je porte le verre à mes lèvres, c'est une perception d'une finesse intense. Le vin est d'une onctuosité incroyable avec des tannins puissants et bien enrobés, nobles. Des tannins bien présents sans être le moins du monde agressifs. Le fruité est superbe. Le cassis, les petits fruits des bois, myrtille, mure, des notes confiturés mais aussi bien sûr les épices, le thym, la vanille, la cannelle. Quel bouquet! Un vin magnifique dans sa complexité, sa structure et son équilibre avec une superbe mâche. Le vin est charnu. On le mange presque parfois, plus qu'on ne le boit. La persistance des sensations est énorme et la finale fruité interminable. Et puis, un retour sur les fruits stupéfiant de force et d'élégance. Un vin de très grande classe!
Et voilà ! C'est l'heure de partir. J'aurai bien emporté un peu de ce nectar chez moi mais le tonneau ne rentrait pas dans le coffre de ma voiture (aaa).
Message edité (06-12-2003 01:33)