Nous voici à nouveau, grâce à une dépêche iconoclaste ( pour une fois!) de l'AFP, embarqués dans une discussion passionnée sur un sujet qui nous concerne à juste titre: le prix des grands vins du Bordelais, que nous avons de plus en plus de mal à acquérir!
C'est un sujet complexe sur le plan de l'analyse micro-économique, car ce produit présente à la fois plusieurs typologies:
- c'est un produit de consommation...du moins pour nous, qui l'achetons avec la ferme intention de le déguster à court, moyen ou long terme!
- mais c'est aussi un actif ("asset") stockable et négociable par beaucoup d'intermédiares professionnels et aussi, de plus en plus, par des spéculateurs individuels ou institutionnels,
- ce peut être aussi, marginalement, surtout pour les vins les plus célèbres et dans les vieux millésimes, un objet de collection et de prestige, pour des restaurants ou des particuliers.
Que peut-on prévoir sur l'évolution des prix des Bordaux "prestigieux", that is the question !
Essentiellement, bien sûr, pour les 1er GCC et les "assimilables" ( Petrus, Yquem, Ausone, Cheval Blanc) et, aussi pour les excellents vins entraînés dans leurs sillage haussier des dernières années (LLC, Palmer, Cos, Montrose, Pavie, Climens, Pape Clément...voire des Pontet-Canet, Pavie Macquin, Conseillante, Mission H-B, Angélus, LB, Calon, GPL, etc).
Incontestablement, les prix ont, durant les 15 dernières années et, plus particulièrement, les 7 ou 8 dernières, pris une allure de courbe exponentielle avec ses caractéristiques typiques:
- détachement progressif et cumulatif du "trend" d'évolution globale des produits consommables,
- dissociation complète entre prix de vente et prix de revient,
- stocks de plus en plus importants et de plus en plus "spéculatifs" ( c-a-d sans liaison avec la consommation finale ou les nécessités logistiques) à tous les stades (production , négoce, CHR, particuliers).
Certes, les grands Bordeaux sont un produit de luxe très attrayant pour une clientèle aisée, et il est probable que la tendance long terme de leurs prix se situera désormais nettement au-dessus de ce que l'on connaissait durant la plus grande partie du XXe sècle. Mais le "saut" très important et très rapide que nous venons de connaître
dépasse nettement l'inflexion de tendance probable.
Il y a donc bien eu création d'une "bulle", et il est inévitable que cette bulle éclatera un jour: en effet, l'exponentielle n'existe qu'en mathématiques : dans le monde réel, chaque fois qu'il y a une dérive longue et importante par rapport aux tendances de long terme, la probabilité d'une correction augmente.
Mais cela ne nous dit pas si cet éclatement est pour demain ou pour dans 3, 5 ou 10 ans! Voyez la "bulle" sur l'immobilier et les actions: certains prédisaient son éclatement bien avant qu'il arrive effectivement, et, peut-être sa correction sera-t-elle modérée grâce aux mesures prises par les gouvernements et les autorités monétaires...quitte à ce qu'une autre bulle se reconstitue, et n'éclate, beaucoup plus violemment, dans 5 ou 10 ans ?
Dans le cas qui nous concerne, certains éléments semblent réunis pour une correction à court terme sur les prix des grands Bordeaux:
- l'importance de la hausse des prix des produits les plus spéculatifs sur les 8-10 dernières années, alors qu'ils sont abondants, renouvelables, et donc difficilement "cornérisables" de manière durable par les spéculateurs ( il n'y a pas que les micro-productions d'Yqem ou Pétrus !),
- la coïncidence avec la "crise" sur les autres actifs spéculatifs, qui diminue les disponibilités financières des intermédiaires, des fonds spéculatifs et des clients finaux,
- la pression croissante de la concurrence de produits de remplacement (vins haut de gamme d'autres vignobles mondiaux).
Si cette correction se produit effectivement en 2010-2012, on peut penser qu'elle sera relativement modérée, mais tout de même avec un passage par une phase de prix inférieurs à la tendance de long terme, car il n'y a que de très rares exemples de correction "en douceur" après une phase d'"exubérance".
Il peut aussi arriver que les réserves financières accumulées par la propriété et le négoce leur permettent de résister à la tension actuelle en asséchant plus ou moins le marché : dans ce cas, on pourrair assister, après une période de relative stagnation, à une nouvelle flambée spéculative qui, elle, se terminerait alors par une correction violente et durable.
Nous y verrons plus clair dans un an environ ! En attendant, buvons bien, et modérément,
Claude