Dégustation Château Léoville Las Cases, Caves Legrand, mardi 27 novembre 2018.
Les vins sont présentés par
Antoine Gimbert, directeur commercial Outre-Atlantique des domaines Delon. La cuisine élaborée par
Lucie Boursier-Mougenot, chef de cuisine aux caves Legrand.
Certaines informations sont reprises d'une brochure éditée pour l'occasion. Mes souvenirs ici retranscrits ne sont pas exempts d'imprécisions et d'erreurs.
Alors qu'à cette période de l'automne les assemblages sont réalisés, ils sont encore en suspens cette année 2018 pour cause de fermentation malolactique incomplète.
Magret de canard mi-cuit, coulis de betterave et poudre de framboise.
Château Potensac 2005.
Situé à Ordonnac, berceau familial de la famille Delon (actuel propriétaire Jean-Hubert), des vignes presque d'un seul tenant, deux croupes argilo-graveleuses jusqu'à 35m d'altitude. Un assemblage pour cinquième de cabernet franc et le principal moitié cabernet sauvignon, moitié merlot avec des vignes jusqu'à 90 ans d'âge qui donnent une rondeur à l'ensemble. L'acidité, la fraîcheur, la longévité sont recherchées; à l'inverse, l'ostentatoire, le bois, l'alcool sont évités pour obtenir une structure tannique medocaine droite et longue. La vinification est faite en cuves béton. Une particularité des domaines Delon : l'assemblage (novembre/decembre) précède la mise en barriques, ce qui accroît la durée de l'élevage, médium en 15 à 16 mois pour 35 à 40% de barriques neuves fournies par dix tonnelleries sur vingt-cinq chauffes de bois différentes.
Robe rubis en densité, nez fruits noirs, en bouche c'est fruité avec de l'acidité, le bois de chêne présent. Si ce vin n'offre pas volume et ampleur comparables à Léoville, la précision du fruit, le corps de qualité, sont bien là aussi. Chaque domaine a son œnologue en charge de la gestion au quotidien, et Pierre Graffin, Michael Georges, enfin l'implication du propriétaire.
Crème de Céleri, foie-gras à la flamme et fève de cacao.
Château Léoville Las Cases 2013. Evocation éclair du démembrement/remembrement révolutionnaire de 1789 qui aboutit à 3/5èmes Léoville Las Cases origine de l'ensemble de la propriété, et le mur; 2/5èmes Poyferré; 1/5ème Hugh Barton. Le vin est réalisé sur un assemblage de cabernet sauvignon en bon équilibre. Pour 2013 "année difficile (...) un printemps frais et humide a favorisé le développement des maladies et une floraison hétérogène" (74CS 14CF 12M).
Un nez fruité, gourmand et ouvert, les fruits rouges prenant le pas sur les fruits noirs. Une bouche en finesse et légèreté, une acidité impeccable. De la première série de quatre vins c'est mon préféré. Evocation de la disparition du petit verdot dans les assemblages avec la maîtrise des maturités du cabernet sauvignon toutes années confondues.
Le Clos du Marquis, postérieur au fameux classement puisqu'il date de 1884, avec Théophile Skawinsky. Une terre noire et acide, le caractère fossile des sols pour une typicité des vignes, aux terrains gagnés sur la forêt. La création d'un terroir voisin mais différent que nous ne goûterons pas ce soir là.
Le grand vin est défini par un indice IPT (polyphénols) élevé, charge tannique conséquente, des notes poivrées et de torréfaction; la recherche d'un équilibre autour d'un assemblage principal de cabernet sauvignon, une vigilance à ne pas surjouer un millésime, pas d'attente en barriques ou d'extraction exagérées.
Poulpe grillé, jus de viande corsé, mousseline de carotte à l'orange et ventrèche de porc gascon.
Château Léoville Las Cases 2003. (66CS 24M 10CF). "Année exceptionnelle (...) premières feuilles début mars, suivie par la floraison dès la fin mai laissaient présager un millésime très précoce (...) remarquables de finesse et de concentration, assurément taillés pour la garde."
Le nez en amplitude, très confituré. En bouche la force prend le pas sur la complexité. Volume probant. Pour le service les vins sont légèrement rafraîchis (16°) décantés une ou deux heures. Si nécessaire double décantage. On parle de laisser au vin du temps d'évolution pour apprécier les arômes délicats et fugaces, et le caractère en réduction qui se dissipe mais peut aussi se savourer. Avec ce troisième vin, on parle du millésime 2003 comme marqué par la chaleur (à l'instar de 2006 et 2011) ce qui est encore différent d'une année "solaire". Lorsque les températures sont élevées, la difficulté est d'assurer une tension au vin, de conserver une bonne acidité au fruit. Alors qu'on s'apprête à servir un autre millésime je regoûte avec attention.
La robe est dense, très noire, signes d'évolution imperceptibles. Le nez fruité. La température de service module sensiblement le ressenti de l'acidité (les vins sont goûtés sur toute la durée du dîner). Avec le vin suivant, nous goûtons un vin "solaire" du millésime 2005.
Château Léoville Las Cases 2005. (88CS 7M 5CF). "(...) millésime d'exception (...) La maturation des baies a été lente, une caractéristique des grandes années de Bordeaux. (...)".
Robe dense, grenat encre. Le nez est plus fermé, pointe terreuse, du corps annoncé. En bouche tannique, du corps, bois sensible. Les cuviers ne se visitent pas. Les trois matériaux bois, ciment et inox peuvent être utilisés. Tries et pré-pressurages. Importance du travail sur chapeau de marc en cuvaison aménagée, horizontalement haut et bas du chapeau, verticalement milieu du chapeau pour deux vins de presse différenciés. "2005, croquant du fruit" (j'y suis moins sensible) acidité, équilibre. Accord avec les poissons à chair blanche. Avec le gras du poulpe s'accorde un vin sans coutures, aux tanins fondus. Pour cette première série de vins encore en jeunesse, 2003 jus croquant, équilibre fruit et structure; 2005 très tannique, moins prêt que 2003 (et 2013 très aimable selon ma modeste personne de buveur amateur). "Eclat du fruit" pour 2005. Je songe au caractère très personnel des appréciations, changeant en qualité et au ressenti à un instant précis.
Joue de porc confite, champignons sauvages et rose de pomme de terre.
Château Léoville Las Cases 1999. (62CS 19M 19CF). "(...) précoce (...) Seules quelques pluies vinrent perturber les vendanges qui se sont déroulées du 22 au 5 octobre."
Jeunesse de robe. Attaque fraîche et fruitée. Très belle longueur, fruits rouges et noirs. Un millésime occulté par 2000. Plaisanterie de la Place bordelaise qui vante à chaque décade pas moins de dix fois le millésime de la décennie, cinq fois le millésime du siècle et deux fois le millésime du millénaire. "Mûre, poivron, cerise noire. Encore timide, fermé, tendu. Un vin en fraîcheur, élégance, jeunesse."
Château Léoville Las Cases 1989. (65CS 19M 13 CF 3PV). "(...) records de rendements. (...) vendanges précoces (...) tannins veloutés."
En contraste la robe prend des reflets jaunes. Dépôt. Fruit en force, noyau de cerise, confiture. Le boisé est sensible sur un aspect évolué du meilleur effet, cêdre. La touche du petit verdot. "Frais, confituré, élégance, patine." Analogie des millésimes 2004, 2000, 1996 (typiques) versus millésimes 2005, 1998, 1995 (classiques). Des vins concentrés, étirés. J'imagine que c'est à cette première catégorie que ce vin se rattache. Chaque bouteille est un produit vivant. Alchimie d'un produit agricole. "Féminin, élégant, rondeur _typique_ 1989 (à la différence de 1990 plus Pauillac _classique_), poivre, graphite, Saint Julien."
Château Léoville Las Cases 1979. (65CS 19M 13CF 3PV). "Un millésime hétérogène où, malgré un été frais et sec, la récolte a été la plus importante depuis 1934. (...)"
De l'usure à la robe mais rien de très marqué, tuile avec de la densité et du carmin. Le vin est tout à fait vaillant avec une épaisseur solide et un fruit qui cède encore bien peu aux champignons et poussière. "Arômes fermentaires, croûte de fromage" (seul de la série à être ouvert juste avant dégustation), des notes lactées, équilibre, sucrosité, fruit, souplesse, pot-pourri, fleurs séchées, épices douces." Cette série de trois impressionnante, des vins qui donnent le sentiment d'un accomplissement, parfaitement magnifiés par une cuisine adéquate.
Léoville Las Cases conserve de longue date une partie significative de sa production à chaque millésime (ce qui n'est pas fréquent dans la région). On évoque le reconditionnement (après trente années), les bouteilles tiré-bouché sont goûtées à l'unité, les déviantes détruites, les meilleures utilisées pour refaire les niveaux du stock millésimé.
Au chai, ce sont quatre générations d'une même famille passées en opération pour la vinification, Bruno Rolland. L'importance du savoir faire et de l'expérience.
Ganache chocolat, orange et feuillantine.
Château Nenin 2005. (100%Merlot). Un pomerol en dessert et avec du chocolat?
Le vin brille et séduit, corps, concentration et fruit, gageure de passer à la suite de 'grands vins',
en bouche fruits rouges en volume, nouvelle et brillante réussite. "Graphite, pointe de crayon, salinité (marqueur pas toujours présent)". Expression avant tout d'un équilibre et non d'un millésime (ou d'un 'terroir'). Rachat en 1997 à des cousins Despujols, restauration d'une chapelle, 32ha, multiplicité des sols (et illustres voisins Trotanoy, Vieux Château Certan, L'Evangile). Aujourd'hui le vin est un assemblage de merlot et cabernet franc (pour un quart), une sélection massalle avec un clonage origine Saint-Julien. "Trop, épaisseur, précision, fraîcheur, élégance, enjôleur, crémeux, moka, fraîcheur, acidité."
On parle de viticulture avec molécules conventionnelles, les principes de la biodynamie, l'enherbement choisi. Importance de la vigueur de l'herbe pour concentrer le raisin, tempérer le rendement. Et tapis d'isolation thermique, même après fauchage. Les techniques sont ancestrales, la technologie n'apporte que des preuves de leur efficience avec pour finalité la qualité.
Une soirée mémorable, comblé par l'excellence d'une cuisine, et par cela heureusement distrait pour partie de la découverte des vins (trop rarement abordés, abordables).