J'avais envie de faire plus ample connaissance avec ce domaine en progrès constants depuis quelques années et dont quelques vins m'avaient particulièrement plu.
Chose faite lors de mon dernier voyage en Autriche en compagnie de Torsten Aumüller, export manager, qui m'a réservé un accueil compétent et amical.

[size=large]Bref cadre historique[/size]

Si l’histoire de la vigne remonte bien loin dans le temps à cet endroit précis, bien avant la construction du château baroque actuel et de ses dépendances d’exploitation, le sursaut qualitatif de la production de vin sous ce nom est très récent. Certes, le domaine fit un temps figure de précurseur en vendant directement son vin à sa clientèle. A l’époque, le Burgenland ne produisait guère que du vin blanc et celui du Château était de fort bon niveau. Mais le scandale du glycol en 1985 passa par là et réduisit à néant pas mal de débouchés, en Autriche et ailleurs. La réaction des viticulteurs de l’endroit, s’appuyant sur quelques fortes personnalités, fut à la mesure du désastre : on entreprit de réformer drastiquement les pratiques viti-vinicoles en s’appuyant cette fois sur des cépages rouges et des élevages sous bois assez appuyés, à la mode bordelaise. Il est clair que le Schloss Halbturn, malgré une qualité de vin stable, n’était pas armé pour suivre cette tendance d’autant que les progrès des domaines émergents furent vite suffisamment patents pour provoquer un essor important du vin rouge et rendre quelque peu désuète la production traditionnelle des blancs non liquoreux. En 2001, le château se trouvait devient une alternative simple : investir massivement ou mourir…



Les propriétaires se résolurent à lancer de grandes réformes : remodelage complet de l’encépagement (seules les quelques vieilles vignes de cépages rouges des années 60’s ont été gardées), réduction drastique des rendements (la moyenne actuelle tourne autour des 30 Hl /ha), vendanges extrêment sélectives, construction d’un nouveau chais et rénovation d’une partie du matériel de vinification, élevage sous bois de qualité presque systématique (seule l’entrée de gamme est élevée en cuve inox), renouvellement de l’équipe de production et de commercialisation, bref la totale.



Sur base de ce que j’ai pu déguster, le projet est bien parti et commence à porter de beaux fruits. C’est aussi l’impression de plusieurs professionnels qui reconnaissent les progrès constants du domaine techniquement conduit par un maître de chais d’origine bordelaise, François-Xavier Gaboriaud. Selon son équipe, on percevrait assez bien la « patte » française dans une stylistique des vins axée sur l’élégance et la fraîcheur et l’adaptation aux cépages autochtones s’est produite progressivement avec souplesse et engagement.

[size=large]Le vignoble[/size]

Les raisins vinifiés au domaine proviennent de trois secteurs bien différents.



La propriété historique, mentionnée dès 1214, se trouve à Jois au Ried « Jungenberg ». Le vignoble compte 8 ha complantés en pinot noir, blaufränkisch, cabernet, merlot et un peu de riesling. Les sols sont typiques de cette zone périphérique du Neusiedlersee : pauvres et caillouteux, à dominante de calcaire coquillier avec des poches de schistes et de quartz et une forte proportion d’argile. Les expositions sont variées en fonction des différentes parcelles mais à dominante sud-est, orientée vers le lac qui joue un rôle de régulateur thermique. Ce secteur donne des vins de caractère, élancés et concentrés.




En 1960, le château planta ensuite 40 Ha presque d’un seul tenant au lieu dit « Wittmannshof » à Halbturn sur des terres agricoles où l’on cultive plutôt le maïs. On se trouve ici au bout du talus qui fait la jonction entre la Parndorfer Platte, vaste plateau venteux dominant le lac de Neusiedl au nord- est et les rives de celui-ci, là où il vient quasi à se confondre avec la plaine avec une pente proche de l’horizontale. Néanmoins, on retrouve peu ou prou les mêmes conditions géologiques que dans le talus même, très réputé pour les rouges, avec un sol qui se compose globalement de trois couches superposées : terres brunes à forte densité d’humus en surface, puis graviers d’alluvions grossiers et enfin sédiments et cailloutis calcaires. Vu la topographie plane du lieu, l’exposition ne joue pas de rôle particulier ; en revanche, le vignoble subit encore l’influence du lac contrebalançant les flux chauds de la plaine pannonique. Le vignoble a été en grande partie restructuré en 2001 par l’arrachage des anciens plants de cépages à vin blanc pour les remplacer par des cépages rouges (zweigelt, blaufränkisch, pinot noir, sankt laurent, cabernet et merlot) et modifier la taille qui passe du guyot double au guyot simple. Il y reste malgré tout un peu de chardonnay. Les vins montrent un profil plus rond et charnu avec beaucoup de fruit.




Enfin, la matière première destinée aux vins blancs fait l’objet contrat de culture et d’achat de raisins à quelques producteurs locaux, disposant de vignes sur les communes de Kleinhöflein et Eisenstadt, dépendant de la région viticole voisine du Neusiedlersee-Hügelland (Leithaberg). Ces parcelles, couvrant environ 3,5 Ha, sont sises principalement en léger coteau, d’exposition sud-est et en bord de forêt ; elles sont plus fraîches et conviennent parfaitement aux chardonnay, sauvignon et grüner veltliner qui y sont cultivés. Les sols, de nature essentiellement cristallines, sont complexes et toujours très caillouteux : gneiss, mica-schistes, calcaires coquillier tertiaires compacts (« Leithakalk ») y prévalent.



[size=large]La cave[/size]

Le premier objectif reste bien entendu de vinifier des raisins mûrs et parfaitement sains. Malgré une première sélection effectuée à la vigne où les raisins sont récoltés en caissettes de 15 kg, des efforts importants sont consacrés chaque année à trier manuellement les grappes à leur rentrée aux chais. La vendange est ensuite égrappée, puis subit une macération à froid avant la fermentation qui se déroule soit en cuve inox soit en cuve bois tronconique selon les cépages et la destination finale des jus. Dans le premier cas, il est procédé à des remontages réguliers, dans le second, c’est la technique du pigeage manuel qui est utilisée. La température est maintenue sous les 30°.



Suivant la gamme et le type des vins à élaborer, l’élevage se fait en cuve, en foudres, ou, en grande majorité, en barriques (à noter que le domaine utilise à la fois des pièces bourguignonnes et des barriques bordelaises). L’origine des fûts est exclusivement française et provient de plusieurs grandes maisons. Quelques essais ont été réalisés avec des bois hongrois et croates mais ils ne furent pas suffisamment concluants pour être poursuivis. Les chauffes sont medium ou medium plus. La proportion de bois neuf tout comme la durée des élevages varie évidemment selon les crus mais la politique du domaine est de garder énormément de mesure sur ce plan en privilégiant l’expression directe du fruit.



[size=large]Les vins[/size]

A l’analyse, on se rend parfaitement compte que le projet repose sur une vision assez précise de ce que le Schloss Halbturn peut et veut proposer comme type de vins. Rien n’est vraiment laissé au hasard et la déclinaison de la gamme en trois segments spécifiques, tout comme le profil stylistique des crus proposés, sont parfaitement en ligne avec les prémisses de départ. A vrai dire, les mots d’ordre « Klasse statt Masse » ou « Kompromisslose Qualität » pourraient ne plus vouloir dire grand-chose à force d’être rabâchés mais on perçoit un véritable engagement de l’équipe pour leur conférer une signification concrète et la dégustation des vins atteste d’une réussite certaine dans ce sens même s’il reste encore du chemin à parcourir pour arriver, sur l’ensemble de la production, au niveau de personnalité, de caractère et de vecteur d’émotion des tout meilleurs crus du Burgenland.
Il est clair que le domaine ne cherche pas à élaborer des vins de concours, colorés, puissants, sur-concentrés et … « tape-à-l’œil ». Au contraire, l’objectif est plutôt de tabler sur le côté élégant et digeste. Sans être explicitement énoncé, le focus se porte davantage sur la gastronomie que sur la dégustation pure.

La ligne « Königsegg » constitue le premier segment mettant à l’honneur les cépages locaux avec une une optique de proposer des vins de plaisir qui ne manquent ni de fond ni d’ampleur. La catégorie « Classic », comprend les vins de soif plus simples élevés en cuve; la catégorie « Premium » où apparaît l’élevage en barrique, témoigne avec excellence du profil aromatique et de la structure propre des différents cépages autrichiens avec en outre une cuvée d’assemblage d’un très beau niveau.


La ligne « Impérial », déclinée en blanc et en rouge, se donne volontairement, par contraste, un profil plus international avec un positionnement adapté et des exigences qualitatives plus élevées. Les vins sont un rien plus concentrés, plus structurés,
plus « élevés » aussi.


Sous l’étiquette du château « Schloss Halbturn » sont mis en bouteilles les crus de pointe du domaine, témoins de leur terroir spécifique, et dont le caractère plus affirmé doit mettre en avant l’expression du fruit, la finesse, la densité de matière et le potentiel de garde.
A noter également qu’une cuvée parcellaire du Jungenberg est élaborée en très petite quantité, avec une composition variable, si le millésime le permet et le justifie. La dernière en date est un 2006 assemblant cabernet et merlot.
Le domaine élabore également un vin doux ou liquoreux avec un prädikat et un assemblage variable selon les possibilités du millésime.


La dégustation des différents vins confirmera ou infirmera ces différents objectifs.

[size=large]La dégustation[/size]

Königsegg Premium

Zweigelt Reserve 2008

Origine : Wittmannshof / Rendement 35 hl/ha / Elevage en barriques sans bois neuf.
On pourrait citer cette bouteille comme illustration de ce que peut donner le cépage avec son fruité caractéristique de prune et de cerise noire bien mûres, une bouche charnue et juteuse et une finale de persistance très moyenne mais qui évite les arômes de surmaturation que l’on perçoit fréquemment dans ce type de vin. Les tanins sont imperceptibles et l’élevage s’est fait oublier. Un vin sans génie particulier mais qui procure un plaisir immédiat.
14,50 EUR

Blaufränkisch 2008

Origine : Wittmannshof / Rendement 35 hl/ha / Elevage en barriques sans bois neuf.
Là aussi, la typicité de ce cépage saute directement au nez comme il se manifeste de manière insistante en bouche. Les notes épicées sont bien présentes et se partagent le bouquet avec des arômes de petits fruits et quelques nuances plus sombres. Au palais, c’est élancé, plein de fraîcheur et de substance malgré un demi-corps. Les tanins sont finement ciselés et doivent encore se fondre. Raffiné et digeste, il se pose un peu en contrepied du zweigelt et me séduit davantage que le précité (mais ce fut l’inverse lors d’une précédente dégustation). Bonne longueur.
14,50 EUR

Pinot Noir 2008

Origine : Wittmannshof / Rendement 30 hl/ha / Elevage en barriques sans bois neuf.
Malgré les faibles rendements annoncés, le cru présente une structure très allégée avec une matière fine dont la relative fluidité est renforcée par la faible acidité perçue. C’est glissant avec un fruit très mûr et une aromatique assez intense mêlant les fruits rouges (fraise, cerise) et des notes fumées tirant vers le bois brûlé et le lard. Bonne longueur et finale élégante de pinot sans complexité.
14,50 EUR

Cuvée Rot 2007

Origine : Wittmannshof / Rendement 35 hl/ha / Elevage en barriques sans bois neuf.
Assemblage de blaufränkisch (40%), zweigelt (40%) et sankt laurent (20%).
Cette cuvée arrive à fusionner les caractéristiques de chaque cépage avec un très bel équilibre d’ensemble. On y retrouve l’élégance et les épices du blaufränkisch, la rondeur fruitée et l’amplitude du zweigelt et le fondant charnu du sankt laurent avec une pointe de minéralité supplémentaire. On y retrouve puissance, finesse et fruit avec une matière aérée et des tanins juteux. Belle persistance finale. Vin de plaisir et parfait compagnon de table.
14,50 EUR

Imperial

Weiss 2008

Origine : Leithaberg / Rendement 35 hl/ha / Assemblage de 70% de chardonnay (malos et élevage de 9 mois en pièces bourguignonnes avec très peu de bois neuf) et 30% de sauvignon vinifié en cuve inox (sans malo).
Cuvée très amusante par le jeu de cache-cache entre les deux cépages. Le bouquet frappe par son élégance et sa maturité, oscillant entre les fruits blancs à noyau, la pomme mûre et l’abricot pour s’orienter ensuite vers un côté plus floral avec un soupçon de bois. A l’aération, on perçoit des notes plus fraîchement végétales. La bouche est ample et fruitée, avec une acidité vivante et une belle tenue de bouche. C’est tout en allonge plutôt qu’en largeur, avec une belle longueur et un magnifique équilibre d’ensemble qui compense largement un relatif manque de complexité et de densité de matière. Parfait à table. Personnellement j’aime beaucoup cette cuvée.
19,00 EUR

Rot 2008

Origine : Wittmannshof / Rendement 30 hl/ha / Elevage en barriques en grande partie neuves pendant 14 mois.
Assemblage de blaufränkisch (40%), cabernet sauvignon (35%), merlot (15%) et cabernet franc (10%).
Avec ses arômes de fruits rouges et noirs et de sous-bois qui sont dominants au premier nez, on pourrait facilement se croire à bordeaux d’autant plus que ceux-ci sont soulignés par un beau boisé qui arrive cependant à se faire assez vite oublier. Ensuite seulement, arrivent les épices et un côté plus sombre mais chaleureux qui rappellent la présence importante de blaufränkisch dans cette cuvée. La bouche est large, structurée, presque un peu sévère malgré des tanins mûrs et juteux. L’aération rendra justice au fruit et à l’étoffe de cette bouteille qui présente une très belle longueur et un profil moins international que prévu. Il manque sans doute un je-ne-sais-quoi de personnalité et de charme pour concurrencer les toutes meilleures cuvées autrichiennes de ce type mais cela reste très très bon à mon goût.
29,00 EUR

Schloss Halbturn

Sankt Laurent 2008

Origine : Wittmannshof / Rendement 25 hl/ha / Elevage en pièces bourguignonnes neuves pendant 12 mois.
J’avoue avoir eu quelques difficultés à « entrer » dans ce vin, marqué par son élevage et délivrant à foison des notes de clou de girofle et de fumée entêtantes. Derrière, on décèle de la profondeur, pas mal d’épices et de fruits noirs avec un côté terreux et un peu sanguin. L’attaque est fine, la suite montre de la fraîcheur et une belle substance où le fruit se cache derrière les épices. Tanins soyeux. En revanche, retour de l’élevage en finale avec des notes plus amères qui limitent aujourd’hui mon plaisir. Assurément un sankt laurent ambitieux mais qui doit prendre de la bouteille.
34,00 EUR

Pinot Noir 2008

Origine : Wittmannshof et Jungenberg / Rendement 25 hl/ha / Elevage en pièces bourguignonnes ( 30% bois neuf) pendant 12 mois.
Voilà incontestablement une cuvée de grand style, conjuguant à merveille élégance et puissance. Le spectre aromatique est complètement différent de la cuvée Königsegg. Le bouquet est très typé, attractif, sur des senteurs douces de cerise mûres, de petits fruits rouges et de prunelle, puis évoluant ensuite vers un peu d’épices et des nuances plus végétales tirant sur la ronce. La bouche est de grande finesse, soyeuse, superbe de jus et de présence et déjà très accessible même s’il gagnera certainement à vieillir. Très belle persistance finale.
38,00 EUR

Pinot Noir 2006

Très beau millésime et grande bouteille qui commence à s’ouvrir. Par rapport à 2008, on conserve la même stylistique avec un plus marqué dans tous les domaines. Densité de matière, ampleur, complexité de fruit, fraîcheur et par-dessus tout un équilibre en bouche magnifique : à mon palais un des meilleurs pinots hors Bourgogne qui soit. Ce n’est pas un vin de dentelle ni d’exubérance aromatique, il a du corps et de la présence plus encore que de complexité mais le charme opère.

[size=large]Conclusion[/size]
Qu'ajouter de plus ? Quelques évidences : Le domaine est assurément en train de réussir son pari et fera (fait déjà pour certains) partie des références de l'Autriche. Les prix sont (volontairement ?) positionnés dans la tranche haute pour ce qui concerne les vins vendus sous l'étiquette du "Schloss Halbturn" sans que cela soit surfait. en revanche, la ligne "Königsegg" est d'un très beau rapport prix plaisir. La dégustation confirme une fois de plus l'excellence des vins autrichiens qui sont, à tort, encore peu connus des amateurs francophones en dehors des liquoreux.

Et subjectivement, d'immenses plaisir et intérêt à déguster tous ces vins délicieux. Que demander de plus.

Désolé d'avoir été un peu long mais je pense que cela en valait la peine.

Pierre.

Magnifique reportage ! Merci

Pas goûté le liquoreux ?

Un grand merci pour ce superbe texte, Pierre !

Sais-tu si le domaine possède un distributeur en France ?
Je n'ai pas réussi à trouver l'information sur le site du domaine .

Oliv

Gaultier;

Je ne suis pas grand fan des liquoreux en général. Le riesling auslese, disponible actuellement, ne m'a pas été proposé à la dégustation et je ne l'ai pas demandé non plus. Je pense que c'est assez anecdotique dans le production du château.

Olivier,
On n'a guère parlé de diffusion avec Torsten Aumüller mais je pense effectivement qu'il n'y a pas de distributeur officiel en France. Si tu veux je peux lui demander...

Pierre

Les liquoreux sur leur terroir précis ne sont pas vraiment adaptés. Pour ça, il faut aller un peu plus au sud.

Bonsoir,

Le Imperial 2002 - Schloss Halbturn se goûtait délicieusement bien fin 2010, un vin très aérien et fin, très floral, sur la poire, dans un registre demi-doux, avec un bel équilibre sucre-acidité. Un très bon vin d'apéritif, j'ai bu mes 4 bouteilles sur deux mois... Je n'ai pas encore touché à mes Auslese LGK 2002 ni à mes Grand Vin 2002 (Trockenbeerenauslese).

Bien amicalement

Vivien