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Le vin et la littérature

  • Fred-eric
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Le vin et la littérature a été créé par Fred-eric

Bonsoir à tous,

les rapports entre le vin et l'écrit ne se limitent pas aux guides, aux "beaux livres" ou aux magazines. Il existe une authentique tradition littéraire en rapport avec le vin. Ce peut être une saillie, quelques lignes, un chapitre d'un ouvrage, ou bien un livre entièrement consacré au vin. Jules César, Rabelais, Baudelaire, pour ne citer qu'eux, ont écrit sur le vin.
Pour ma part, je n'imagine pas ne pas accompagner la lecture de certaines pages (consacrées ou non au vin), de la dégustation d'un vin.
Je suis même d'avis qu'il existe des accords entre certains livres et certains vins.

Je ne pense pas avoir vu de forum sur ce sujet.

Nos gentils modérateurs seraient ils d'accord pour ouvrir un nouveau forum sur ce thème ?

Je me lance avec ces quelques vers grapillés hier soir:

"A l'heure où la rosée au soleil s'évapore
Tous les volets fermés s'ouvraient à la chaleur,
Pour y laisser entrer, avec la tiède aurore,
Les nocturnes parfums de nos vignes en fleur.
On eut dit que ces murs respiraient comme un être
Des pampres réjouis la jeune exhalaison,
La vie apparaissant, rose à chaque fenêtre,
Sous les beaux traits d'enfants, nichés dans la maison."
"La Vigne et la Maison"
Lamartine - figure tutélaire du Macônnais

Bien à tous

Frédéric

"Le mariage du sol et du cépage c'est ... une conjecture transformée en conjoncture" - Louis Orizet in "La Route du Vin" - Volume "Bourgogne" (Editions "Les Heures Claires")
07 Sep 2010 23:22 #1

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Réponse de Benji sur le sujet Le vin et la littérature

Bonne idée.

Voici un extrait de texte (traduit de Lewis Carroll par AndréHenri Parisot) qui m'inspire parfaitement le début d'une dégustation estivale relaxée...

C'était grilheure ; les slictueux toves,
Sur l'alloïnde gyraient et vriblaient ;
Tout flivoreux vaguaient les borogoves,
Les verchons fourgus bourniflaient.


Benji
07 Sep 2010 23:53 #2

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Réponse de viédou sur le sujet Le vin et la littérature

Tu es sûr que le texte est traduit ? ;)

Jean-Marc
08 Sep 2010 09:39 #3

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Réponse de NL. sur le sujet Le vin et la littérature

Dans un autre style :

"Heureux qui, loin des tourments de la terre,
Baise des petits culs et boit dans un grand verre
Emplit l'un, vide l'autre et passe avec gaieté,
Du cul de la bouteille au cul de la beauté."

Attribué à Ronsard, déjà cité sur LPV, me semble-t-il.

Nicolas
08 Sep 2010 09:52 #4

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Réponse de Benji sur le sujet Le vin et la littérature

Emplit l'un, vide l'autre
Vaut mieux que l'inverse :P
Benji

PS Ronsard, tu es sur ? Utilisait-on des bouteilles à son époque ?
08 Sep 2010 09:57 #5

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Réponse de NL. sur le sujet Le vin et la littérature

Non, Benji, je ne suis pas sûr (cf. "Attribué à Ronsard").

Lorsque l'on tape la citation sur Google, la plupart des liens évoquent Ronsard mais sans certitudes.

Nicolas
08 Sep 2010 11:40 #6

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Réponse de Jérôme Pérez sur le sujet Le vin et la littérature

et oui, on tombe vite dans la gouaille et la ripaille quand on cherche dans la littérature et on est quand même assez loin du raffinement que nous recherchons en dégustation. Sauf à ce que nous ressorte une énième fois les quelques formules heureuses de Colette ou Georges Sand (tiens ! deux femmes).
Je n'ai jamais lu de commentaires littéraires de vins dans un roman. Avez vous des exemples ?

Jérôme Pérez
08 Sep 2010 14:36 #7

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Réponse de chacompte sur le sujet Le vin et la littérature

de nombreuses déclarations d'amour au beaujolais chez Frederic Dard :D

Thierry
08 Sep 2010 16:23 #8

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Réponse de mgtusi sur le sujet Le vin et la littérature

Un morceau de bravoure :

Minnie petite souris puisque souvent tu bois mon vin
Viens boire petite souris cette bonne bouteille de chambertin
Si j'avais pris le chat c'était pour lui couper le cou
Viens trinquer avec moi, petite souris sors de ton trou !

{Si tu veux boire un verre
T'as pas besoin d'un revolver,
eh assassin !


Question littérature, c'est borderline, je vous l'accorde ;)

Michel
08 Sep 2010 16:35 #9

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Réponse de Eric B sur le sujet Le vin et la littérature

de nombreuses déclarations d'amour au beaujolais chez Frederic Dard

... et à Yquem ;)

Eric
Mon blog
08 Sep 2010 16:39 #10

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Réponse de François Audouze sur le sujet Le vin et la littérature

Je suis d'accord avec Jérôme, ce serait dommage de tomber dans le grivois.
Il y a de beaux textes sur le vin comme le livre "Romanée Conti 1935" écrit par un japonais.

Je ne suis pas sûr toutefois que le sujet soit suffisant pour susciter un forum à lui tout seul.

La sensibilité de Frédéric Dard parlant d'Yquem montre ses talents littéraires qui dépassent le ton généralement adopté dans ses écrits.


Cordialement,
François Audouze
08 Sep 2010 18:55 #11

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Réponse de Yves Zermatten sur le sujet Le vin et la littérature

Puisque tu ignores ce que te réserve demain,
efforce-toi d'être heureux aujourd'hui.
Prends une cruche de vin, va t'asseoir au clair de lune,
et bois, en te disant que la lune te cherchera
peut-être vainement, demain.


Omar Khayam

Yves Zermatten
08 Sep 2010 23:02 #12

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Le vin et la littérature

J'étais littéralement fou de cette femme. Pour elle, pour l'étincelance amusée de ses yeux mouillés d'intelligence aiguë, pour sa voix cassée lourde et basse et de luxure assouvie, pour son cul furibond, pour sa culture, pour sa tendresse et pour ses mains, je me sentais jouvenceau fulgurant, prêt à soulever d'impossibles rochers pour y tailler des cathédrales où j'entrerais botté sur un irrésistible alezan fou, lui aussi.
Pour elle, aux soirs d'usure casanière où la routine alourdit les élans familiers en érodant à coeur les envies conjugales, je me voyais avec effroi quittant la mère de mes enfants, mes enfants eux-mêmes, mon chat primordial, et même la cave voûtée humide et pâle qui sent le vieux bois, le liège et le sarment brisé, ma cave indispensable et secrète où je parle à mon vin quand ma tête est malade, et qu'on n'éclaire qu'à la bougie, pour le respect frileux des traditions perdues et de la vie qui court dans les mille flacons aux noms magiques de châteaux occitans et de maisons burgondes.
Pour cette femme à la quarantaine émouvante que trois ridules égratignent à peine, trois paillettes autour de ses rires de petite fille encore, pour ce fruit mûr à coeur et pas encore tombé, pour son nid victorien et le canapé noir où nous comprenions Dieu en écoutant Mozart, pour le Guerlain velours aux abords de sa peau, pour la fermeté lisse de sa démarche Dior et de soie noire aussi, pour sa virilité dans le maintien de la Gauloise et pour ses seins arrogants toujours debout, même au plus périlleux des moins avouables révérences, pour cette femme infiniment inhabituelle, je me sentais au bord de renier mes pantoufles. Je dis qu'elle était infiniment inhabituelle. Par exemple : elle me parlait souvent en latin par réaction farouche contre le laisser-aller du langage de chez nous que l'anglomanie écorché à mort. Nos dialogues étaient fous :
- Quo vadis domine ?
- Etoilla matelus ?
En sa présence, il n'était pas rare que je gaudriolasse ainsi sans finesse, dans l'espoir flou d'abriter sous mon nez rouge de clown l'émoi profond d'être avec elle. Elle avait souvent la bonté d'en rire, exhibant soudain ses clinquantes canines dans un éclair blanc suraigu qui me mordait le coeur. J'en étais fou, vous dis-je.
Ce 16 octobre. Ce jour-là je l'emmenais déjeuner dans l'antre bordelais d'un truculent saucier qui ne sert que six tables, au fond d'une impasse endormie du XVe ou j'ai mes habitudes. Je nous revois, dégustant de moelleux bolets noirs en célébrant l'automne, romantiques et graves, d'une gravité d'amants crépusculaires. Elle me regardait, pâle et sereine comme cette enfant scandinave que j'avais entrevue penchée sur la tombe de Stravinsky, par un matin froid de Venise.
J'étais au bord de dire des choses à l'eau de rose, quand le sommelier est arrivé. J'avais commandé un Figeac 71, mon Saint-Emilion préféré, introuvable, sublime, rouge et doré comme peu de couchers de soleil. Profond comme un la mineur de contrebasse. Éclatant en orgasme au soleil. Plus long en bouche qu'un final de Verdi. Un vin si grand que Dieu existe à sa seule vue.
Elle a mis de l'eau dedans. Je ne l'ai plus jamais aimée.


Pierre Desproges - L'aquaphile - Chroniques de la haine ordinaire
08 Sep 2010 23:43 #13

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Réponse de Fabiano sur le sujet Le vin et la littérature

Dans la même émission, Pierre Desproges a fait quelques temps plus tard, une chronique nommée Figeac. Ça parle de pots-de-vin, de grands pots de grands vins, bien entendu.

Att.

Fabien.
09 Sep 2010 00:29 #14

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Réponse de Altau sur le sujet Le vin et la littérature

Vraiment magnifique ce texte de Desproges.

Un grand écrivin, vraiment.
09 Sep 2010 09:47 #15

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  • Fred-eric
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Réponse de Fred-eric sur le sujet Le vin et la littérature

Oui, vraiment superbe, Desproges... mais la passion du vin peut apporter de sacrées désillusions en amour ...

Pour revenir à l'idée du fil, c'est d'abord à travers les mots que l'on exprime ses sensations de dégustation. Voici par exemple une façon d'évoquer et d'expliquer l'amour pour le vin de Bourgogne (mais aussi de manière plus large les vins "septentrionaux") qui me parle:

"La vigne, dit-on communément, est fille du soleil. Sans doute, mais point trop n'en faut. Le poète nous a prévenu :
Les chants désespérés sont les chants les plus beaux,
J'en connais d'immortels qui sont de purs sanglots
. (Musset)
Voyez le Champagne, l'Alsace, le vin de Moselle (ndla : bon pour ce dernier ça se discute ...). Voyez le Bourgogne qui "survit" sous un climat considéré comme limite pour la culture de la vigne. Dans cette conjoncture de souffrance, le Pinot invente ses plus émouvants parfums". (Louis Orizet in "La Route du Bourgogne")

Bien à tous

Frédéric
14 Sep 2010 21:26 #16

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Réponse de Iris sur le sujet Le vin et la littérature

plein d'exemples sur ce blog au nom évocateur: littineraires viniques

des illustrations en image et musique en plus:-).

et pour ceux, qui préfèrent les sources plus classiques, un livre:

Sophie Guermès: Le vin et l'encre. La littérature Francaise et le vin du XIIIe au XXe siècle. Mollat, 1997.
15 Sep 2010 10:10 #17

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Réponse de oliv sur le sujet Le vin et la littérature

plein d'exemples sur ce blog au nom évocateur: littineraires viniques


Un blog à découvrir absolument pour les amateurs de vin qui sont aussi amateurs d'écriture et de style.
Un véritable talent littéraire s'y exprime !

Quand je lis les textes de Christian, je perçois la nette et insondable différence entre avoir une gentille plume... et avoir du talent !

Oliv
15 Sep 2010 18:04 #18

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Réponse de mgtusi sur le sujet Le vin et la littérature

Je crois bien avoir lu quelques uns de ses textes chez Jules-de-Chez-Smith-En-Face.

Ce gars-là est un authentique écrivain !

Michel
15 Sep 2010 19:26 #19

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Réponse de Jean-Bernard sur le sujet Le vin et la littérature

Bonjour Michel,

mais qui appelles-tu donc "Jules-de-Chez-Smith-En-Face"?! :D
Quelqu'un de sympa j'espère?

JB
16 Sep 2010 09:26 #20

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Réponse de mgtusi sur le sujet Le vin et la littérature

Bonjour JB

Il s'agit du forum-d'en-face !

Michel
16 Sep 2010 09:33 #21

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Réponse de François Audouze sur le sujet Le vin et la littérature

Il faut lire Gaston La Gaffe !
Un must absolu.


Cordialement,
François Audouze
17 Sep 2010 17:28 #22

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Réponse de Fred-eric sur le sujet Le vin et la littérature

Iris,

merci pour le lien ... ce n'est pas un écrivain, mais plutôt un torrent.

Frédéric
20 Sep 2010 23:20 #23

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Réponse de Philippipipourrah sur le sujet Le vin et la littérature

Avant que les vendanges de cet automne ne s’achèvent, voici un joli texte qui dépeint la récolte du raisin dans la Beauce des années 1860, avec en prime le récit de la biture d’un âne (et non, y a pas de contrepèterie :D) :

"On était aux premiers jours d’octobre, les vendanges allaient commencer, belle semaine de godaille, où les familles désunies se réconciliaient d’habitude, autour des pots de vin nouveau. (Le petit village de) Rognes puait le raisin pendant huit jours ; on en mangeait tant, que les femmes se troussaient et les hommes posaient culotte, au pied de chaque haie ; et les amoureux, barbouillés, se baisaient à pleine bouche, dans les vignes. Ça finissait par des hommes soûls et des filles grosses.
(…)
Le tambour de Rognes avait battu le ban des vendanges ; et, le lundi matin, tout le pays fut en l’air, car chaque habitant avait sa vigne, pas une famille n’aurait manqué, ce jour-là, d’aller en besogne sur le coteau de l’Aigre.
(…)
Dès l’aube, les voitures partirent pour la côte, chargées chacune de quatre ou cinq grands tonneaux défoncés d’un bout, les gueulebées, comme on les nomme. Il y avait des femmes et des filles, assises dedans, avec leurs paniers ; tandis que les hommes allaient à pied, fouettant les bêtes. Toute une file se suivait, et l’on causait, de voiture à voiture, au milieu de cris et de rires.
(…)
Les voitures s’arrêtaient au bas de la côte, le long du chemin qui suivait l’Aigre. Et, dans chaque petit vignoble, entre les rangées d’échalas, les femmes étaient à l’œuvre, marchant pliées en deux, les fesses hautes, coupant à la serpe les grappes dont s’emplissaient leurs paniers. Quant aux hommes, ils avaient assez à faire, de vider les paniers dans les hottes et de descendre vider les hottes dans les gueulebées. Dès que toutes les gueulebées d’une voiture étaient pleines, elles partaient se décharger dans la cuve, puis revenaient à la charge.
La rosée était si forte, ce matin-là, que tout de suite les robes furent trempées. Heureusement, il faisait un temps superbe, le soleil les sécha. Depuis trois semaines, il n’avait pas plu ; le raisin dont on désespérait, à cause de l’été humide, venait de mûrir et de se sucrer brusquement ; et c’était pourquoi ce beau soleil, si chaud pour la saison, les égayait tous, ricanant, gueulant, lâchant des saletés, qui faisaient se tordre les filles.
(…)
A onze heures, tous s’assirent, on mangea du pain et du fromage. Ce n’était pas qu’on eût appétit, car on se gavait de raisin depuis l’aube, le gosier poissé de sucre, la panse enflée et ronde comme une tonne ; et ça bouillait là-dedans, ça valait une purge : déjà, à chaque minute, une fille était obligée de filer derrière une haie. Naturellement, on en riait, les hommes se levaient et poussaient des oh ! oh ! pour lui faire la conduite. Bref, de la bonne gaieté, quelque chose de sain, qui rafraîchissait.
(…)
Le père Fouan avait pris un siège par terre, comme il disait, las, heureux du beau temps et de la belle vendange. Il ricana en dessous, malicieusement, de ce que la Grande, dont la vigne était voisine, venait lui souhaiter le bonjour : celle-là aussi s’était remise à le considérer, depuis qu’elle lui savait des rentes. Puis, d’un saut, elle le quitta, en voyant de loin son petit-fils Hilarion profiter goulûment de son absence, pour s’empiffrer de raisins ; et elle tomba sur lui à coups de canne : cochon à l’auge qui en gâtait plus qu’il n’en gagnait !
(…)
On vendangea jusqu’à la nuit tombante. Les voitures ne cessaient d’emmener les gueulebées pleines et de les ramener vides. Dans les vignes, dorées par le soleil couchant, sous le grand ciel rose, le va-et-vient des paniers et des hottes s’activait, au milieu de la griserie de tout ce raisin charrié. (…).

La semaine suivante, on fut donc invité à goûter le vin, chez les Buteau. Les Charles, Fouan, Hyacinthe, quatre ou cinq autres, devaient venir à sept heures manger du gigot, des noix et du fromage, un vrai repas. Dans la journée, Buteau avait enfûté son vin, six pièces qui s’étaient emplies à la chantepleure de la cuve. Mais des voisins se trouvaient moins avancés : un, en train de vendanger encore, foulait depuis le matin, tout nu ; un second, armé d’une barre, surveillait la fermentation, enfonçait le chapeau, au milieu des bouillonnements du moût ; un troisième, qui avait un pressoir, serrait le marc, s’en débarrassait dans sa cour, en un tas fumant. Et c’était ainsi dans chaque maison, et de tout ça, des cuves brûlantes, des pressoirs ruisselants, des tonneaux qui débordaient, de Rognes entier, s’épandait l’âme du vin, dont l’odeur forte aurait suffi pour soûler le monde.
Ce jour-là, (...) Fouan, (...) Hyacinthe et la Trouille (...) partirent tous les trois de bonne heure, ils arrivèrent chez les Buteau en même temps que les Charles.
La lune, en son plein, était si large, si nette, qu’elle éclairait comme un vrai soleil ; et Fouan, en entrant dans la cour, remarqua que l’âne, Gédéon, sous le hangar, avait la tête au fond d’un petit baquet. Cela ne l’étonnait point de le trouver libre, car le bougre, plein de malignité, soulevait très bien les loquets avec la bouche ; mais, ce baquet l’intriguant, il s’approcha, il reconnut un baquet de la cave, qu’on avait laissé plein de vin de pressoir, pour achever de remplir les tonneaux. Nom de Dieu de Gédéon ! il le vidait !
— Eh ! Buteau, arrive !… Il en fait un commerce, ton âne !
Buteau parut sur le seuil de la cuisine.
— Quoi donc ?
— Le v’là qu’a tout bu !
Gédéon, au milieu de ces cris, finissait de pomper le liquide avec tranquillité. Peut-être bien qu’il sirotait ainsi depuis un quart d’heure, car le petit baquet contenait aisément une vingtaine de litres. Tout y avait passé, son ventre s’était arrondi comme une outre, à éclater du coup ; et, quand il releva enfin la tête, on vit son nez ruisseler de vin, son nez de pochard, où une raie rouge, sous les yeux, indiquait qu’il l’avait enfoncé jusque-là.
— Ah ! le jean-foutre ! gueula Buteau en accourant. C’est de ses tours ! Y a pas de gueux pareil pour les vices !
Lorsqu’on lui reprochait ses vices, Gédéon, d’habitude, avait l’air de s’en ficher, les oreilles élargies et obliques. Cette fois, étourdi, perdant tout respect, il ricana positivement, il dodelina du râble, pour exprimer la jouissance sans remords de sa débauche ; et, son maître le bousculant, il trébucha.
Fouan avait dû le caler de l’épaule.
— Mais le sacré cochon est soûl à crever !
— Soûl comme une bourrique, c’est le cas de le dire, fit remarquer Hyacinthe, qui le contemplait d’un œil d’admiration fraternelle. Un baquet d’un coup, quel goulot !
Buteau, lui, ne riait guère, pas plus que Lise et que Françoise, accourues au bruit. D’abord, il y avait le vin perdu ; puis, ce n’était pas tant la perte que la confusion où les jetait cette vilaine conduite de leur âne, devant les Charles. Déjà ceux-ci pinçaient les lèvres, à cause d’Élodie. Pour comble de malheur, le hasard voulut que Suzanne et Berthe, qui se promenaient ensemble, rencontrassent l’abbé Madeline, juste devant la porte ; et ils s’étaient arrêtés tous les trois, ils attendaient. Une propre histoire, maintenant, avec tout ce beau monde, les yeux braqués !
— Père, poussez-le, dit Buteau à voix basse. Faut le rentrer vite à l’écurie.
Fouan poussa. Mais Gédéon, heureux, se trouvant bien, refusait de quitter la place, sans méchanceté, en soûlaud bon enfant, l’œil noyé et farceur, la bouche baveuse, retroussée par le rire. Il se faisait lourd, branlait sur ses jambes écartées, se rattrapait à chaque secousse, comme s’il eût jugé la plaisanterie drôle. Et, lorsque Buteau s’en mêla, poussant lui aussi, ce ne fut pas long : l’âne culbuta, les quatre fers en l’air, puis se roula sur le dos et se mit à braire si fort, qu’il semblait se foutre de tous les personnages qui le regardaient.
— Ah ! sale carcasse ! propre à rien ! je vas t’apprendre à te rendre malade ! hurla Buteau, en tombant sur lui à coups de talon.
Plein d’indulgence, Hyacinthe s’interposa.
— Voyons, voyons… Puisqu’il est soûl, faut pas lui demander de la raison. Bien sûr qu’il ne t’entend pas, vaut mieux l’aider à retrouver son chez-lui.
Les Charles s’étaient écartés, absolument choqués de cette bête extravagante et sans conduite ; tandis qu’Élodie, très rouge, comme si elle avait eu à subir un spectacle indécent, détournait la tête. A la porte, le groupe du curé, de Suzanne et de Berthe, silencieux, protestait par son attitude. Des voisins arrivaient, commençaient à goguenarder tout haut. Lise et Françoise en auraient pleuré de honte.
Cependant, rentrant sa rage, Buteau, aidé de Fouan et de Hyacinthe, travaillait à remettre Gédéon debout. Ce n’était pas une affaire commode, car le gaillard pesait bien comme les cinq cent mille diables, avec le baquet qui lui roulait dans le ventre. Dès qu’on l’avait redressé d’un bout, il croulait de l’autre. Tous les trois s’épuisaient à l’arc-bouter, à l’étayer de leurs genoux et de leurs coudes. Enfin, ils venaient de le planter sur les quatre pieds, ils l’avaient même fait avancer de quelques pas, lorsque, dans une brusque révérence en arrière, il culbuta de nouveau. Et il y avait toute la cour à traverser, pour gagner l’écurie. Jamais on n’y arriverait. Comment faire ?
— Nom de Dieu de nom de Dieu ! juraient les trois hommes, en le regardant sous toutes les faces, sans savoir dans quel sens le prendre.
Hyacinthe eut l’idée de l’accoter au mur du hangar ; de là, on ferait le tour, en suivant le mur de la maison, jusqu’à l’écurie. Ça marcha d’abord, bien que l’âne s’écorchât contre le plâtre. Le malheur fut que ce frottement lui devint sans doute insupportable. Tout d’un coup, se débarrassant des mains qui le collaient à la muraille, il rua, il gambada.
Le père avait failli s’étaler, les deux frères criaient :
— Arrêtez-le, arrêtez-le !
Alors, sous la blancheur éclatante de la lune, on vit Gédéon battant la cour, en un zigzag frénétique, avec ses deux grandes oreilles échevelées. On lui avait trop remué le ventre, il en était malade. Un premier haut-le-cœur l’arrêta, tout chavirait. Il voulut repartir, il retomba planté sur ses jambes raidies. Son cou s’allongeait, une houle terrible agitait ses côtes. Et, dans un tangage d’ivrogne qui se soulage, piquant la tête en avant à chaque effort, il dégueula comme un homme.
Un rire énorme avait éclaté à la porte, parmi les paysans amassés, pendant que l’abbé Madeline, faible d’estomac, pâlissait, entre Suzanne et Berthe, qui l’emmenèrent avec des mots d’indignation. Mais l’attitude offensée des Charles disait surtout combien l’exhibition d’un âne dans un état pareil, était contraire aux bonnes mœurs, même à la simple politesse qu’on doit aux passants. Élodie, éperdue, pleurante, s’était jetée au cou de sa grand-mère, en demandant s’il allait mourir. Et M. Charles avait beau crier : « Assez ! assez ! » de son ancienne voix impérieuse de patron obéi, le bougre continuait, la cour en était pleine, des lâchures furieuses d’écluse, un vrai ruisseau rouge qui coulait dans la mare. Puis il glissa, se vautra là-dedans, les cuisses ouvertes, si peu convenable, que jamais soûlard, étalé en travers d’une rue, n’a dégoûté à ce point les gens. On aurait dit que ce misérable le faisait exprès, pour jeter le déshonneur sur ses maîtres. C’en était trop. Lise et Françoise, les mains sur les yeux, s’enfuirent, se réfugièrent au fond de la maison.
— Assez donc ! emportez-le !
En effet, il n’y avait pas d’autre parti à prendre, car Gédéon, devenu plus mou qu’une chiffe, alourdi de sommeil, s’endormait. Buteau courut chercher une civière, six hommes l’aidèrent à y charger l’âne. On l’emporta, les membres abandonnés, la tête ballante, ronflant déjà d’un tel cœur qu’il avait l’air de braire et de se foutre encore du monde."


(Émile Zola : La Terre, quatrième Partie, chapitre IV)

:), Philippe
21 Sep 2010 21:20 #24

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Réponse de Jean-Bernard sur le sujet Le vin et la littérature

(tu) merci Philippe, quelle bonne idée!
Trop longtemps que je n'ai pas mis le nez dans Zola...

JB
22 Sep 2010 08:35 #25

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Réponse de RaymondM sur le sujet Le vin et la littérature

Comment ne pas penser à la célèbre (et déjà ancienne ) pièce de Robert de Flers et Francis de Croisset :"Les vignes du seigneur "

avec une scène d'ivresse inoubliable interprétée notamment par Victor Boucher, Fernandel ou Jean Lefebvre ?

[size=x-small]Si Oliv trouve un lien pour cette scene[/size] :)
22 Sep 2010 09:37 #26

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Réponse de Jean-Bernard sur le sujet Le vin et la littérature

Une vision populaire, et souvent drôle du vin chez René Fallet, notamment dans "la soupe au chou" et "le beaujolais nouveau est arrivé"... où le contenu du verre est souvent moins important que la personne avec qui on le partage (enfin je crois avoir retenu ça, les lectures que j'en ai fait datent un peu desormais).

JB
22 Sep 2010 10:06 #27

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Réponse de pierrecrouet sur le sujet Le vin et la littérature

Pour ma part, ce sera Beaudelaire et les fleurs du Mal

L'Ame du Vin

Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles:
«Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité!

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j'éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content;

J'allumerai les yeux de ta femme ravie;
À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l'éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur!»

— Charles Baudelaire

Ou bien encore, une strophe de l'Hymne à la beauté:

Viens-tu du ciel profond ou sors tu de l'abîme?
Ô beauté! Ton regard infernal et divin
Verse confusément le bienfait et le crime
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
22 Sep 2010 15:15 #28

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Réponse de bulgalsa sur le sujet Le vin et la littérature

"Profondes joies du vin, qui ne vous a connues? Quiconque a eu un remords à apaiser, un souvenir à évoquer, une douleur à noyer, un château en Espagne à bâtir, tous enfin vous ont invoqué, dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne. Qu'ils sont grands, les spectacles du vin, illuminés par le soleil intérieur! Qu'elle est vraie et brûlante cette seconde jeunesse que l'homme puise en lui! Mais combien sont redoutables aussi ses voluptés foudroyantes et ses enchantements énervants. Et cependant dites, en votre âme et conscience, juges, législateurs, hommes du monde, vous tous que le bonheur rend doux, à qui la fortune rend la vertu et la santé faciles, dites, qui de vous aura le courage impitoyable de condamner l'homme qui boit du génie?
D'ailleurs le vin n'est pas toujours ce terrible lutteur sûr de sa victoire et ayant juré de n'avoir ni pitié ni merci. Le vin est semblable à l'homme: on ne saura jamais jusqu'à quel point on peut l'estimer et le mépriser, l'aimer et le haïr, ni de combien d'actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est capable. Ne soyons donc pas plus cruels envers lui qu'envers nous-mêmes.

Il me semble parfois que j'entends dire au vin - Il parle avec son âme, avec cette voix des esprits qui n'est entendue que des esprits. - "Homme, mon bien-aimé, je veux pousser vers toi, en dépit de ma prison de verre et de mes verrous de liège, un chant plein de fraternité, un chant plein de joie, de lumière et d'espérance. Je ne suis point ingrat: je sais que je te dois la vie. Je sais ce qu'il t'en a coûté de labeur et de soleil sur les épaules. Tu m'as donné la vie, je t'en récompenserai. Je te payerai largement ma dette; car j'éprouve une joie extraordinaire quand je tombe au fond d'un gosier altéré par le travail. La poitrine d'un honnête homme est un séjour qui me plaît bien mieux que ces caves mélancoliques et insensibles. C'est une tombe joyeuse où j'accomplis ma destinée avec enthousiasme. Je fais dans l'estomac du travailleur un grand remue-ménage, et de là par des escaliers invisibles je monte dans son cerveau où j'exécute ma danse suprême."


Baudelaire, Extraits de "Du vin et du hachisch", 1851
13 Aoû 2012 15:53 #29

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Réponse de amadeusmaldoror sur le sujet Le vin et la littérature

Sur les grands terroirs de Bourgogne, Bernard (Cheesecake) m'a fait connaître une réédition des textes de Gaston Roupnel, une référence en la matière sur la description des "métiers" et du quotidien autour du vin...J'en citerai quelques passages à l'occase...

"Vins, vignes & gastronomie bourguignonne selon Gaston Roupnel " Editions Terre en vues.
16 Aoû 2012 12:57 #30

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