Noël anticipé entre colocs, édition 2022
On prend (presque) les mêmes et on recommence, deux ans plus tards.
Chacun y va de sa contribution en cuisine dans une ambiance idéale mais c'est à moi seul qu'échoit la tâche de mettre sur pied un fil vinique qu'on espère cohérent et jouissif.
On peut dire in fine que la mission a été accomplie, à tous les niveaux, voilà qui lance superbement la saison
On commence sur des amuse-gueules variés en apéritif, avec notamment des feuilletés chèvre-oignon confit et des rillettes de truite aux câpres.
Je décide de partir sur une valeur sûre en effervescent :
Domaine Stéphane Coquillette, Champagne Grand Cru Chouilly "Cuvée Diane", Blanc de blancs - base 2019
Si ce champagne s'avérera une fois de plus très agréable, digeste et fin, il faut admettre que sur les deux premières bouteilles de ma caisse base 2019 je n'ai pas retrouvé la magie aromatique saisissante que proposait la base 2018, dont je n'avais qu'une seule bouteille, et qui m'avait scotché. Pour autant, ça reste très bon, avec une bulle vraiment fine et pas surabondante, une belle aromatique élancée sur les fleurs blanches, le citron discret, les minéraux, avec à l'aération enfin des touches de champignon frais et de massepain qui viennent apporter un début de complexité tant attendue. Peut-être est-ce simplement une question de patience, en l'état c'est très bien mais pas l'excellence de son ainée d'un an.
Très bien / 16/20
Il faut cependant bien avouer que la bulle qui suivra, un Ruffus Chardonnay Brut (effervescent belge très connu), lui servira de faire-valoir : en comparaison, le dosage y parait un peu criard, la bulle grossière, et l'aromatique sans grande finesse. Et c'est un Belge qui vous le dit !
On enchaine ensuite sur l'entrée, un merveilleux carpaccio de Saint-Jacques à l'huile de pistache (il faut tenter !) avec éclats de pistaches torréfiées et juste réhaussé d'un soupçon de zeste de citron vert.
Après quelques hésitations entre Chablis et Sancerre je décide de partir à Sancerre sur quelque chose de pur et tranchant, et l'accord sera absolument parfait :
Domaine du Pré Semelé, Sancerre "La Montée de Saint-Romble" 2019
Là, on a une sacrée cartouche. La réputation montante de ce domaine et de cette cuvée (qui remplace Zeste) n'est clairement pas usurpée. Le nez est d'une grande finesse, élancé et svelte, laissant entrevoir des filaments de citron, de main de bouddha, de craie, d'ortie, de shiso et d'eucalyptus dans une démarche pointilliste. La bouche est absolument dingue, dès l'entrée le vin vous agrippe par le col et on tombe sous la coupe d'une minéralité simplement extraordinaire, c'est bien simple ça doit être le vin le plus minéral que j'ai bu à ce jour, ça explose de calcaire, de craie, de fumée légère, de journaux mouillés, c'est diablement sec et à l'acidité haut perchée mais qui sait s'arrêter juste avant le too much, le vin trace droit et est d'une superbe longueur, la seconde partie de bouche puis la finale révélant pour boucler la boucle les aspects aromatiques plus "accessibles" précédemment suggérés : menthe, citron, pamplemousse, et une rétro étonnamment très fruitée, comme si le vin cherchait à faire pardonner son exigence initiale.
Magnifique porte-étendard de ce que Sancerre peut (/ doit ? qui suis-je pour le dire ...) être, vin de pureté et d'intensité qui en plus réalise un accord majeur avec le plat dont la texture huileuse est ainsi parfaitement tranchée.
Très bien + / Excellent - / 17/20
C'est au tour de la gigue de biche sauce maison (déglaçage et réduction des sucs au vin rouge, cognac et fond puis crémage et légère montée au beurre manié) de faire son entrée en scène.
Deux très beaux rouges accompagneront fidèlement le plat d'un classicisme d'école.
On commence par un vin qui avait été un de mes coups de coeur absolus sur ce millésime au restaurant récemment.
Chateau Les Roches Blanches, Saint-Émilion Grand Cru, 2014
Je retrouve bien ce que j'avais adoré précédemment même si un peu moins vibrant peut-être. Quand le Saint-Émilion pinoterait presque ... en tout cas la robe translucide mène déjà sur cette piste. Puis l'aromatique absolument unique surprend une fois de plus, on a un vin construit autour des agrumes et des épices, presque dans l'esprit d'un excellent vermouth rouge voire d'un Negroni si vous voulez, c'est assez bluffant et il faut aimer l'amertume mais c'est le cas de la tablée et on tombe sous le charme de cet objet vinique non-identifié. Je n'ai jamais gouté un rive droit comme ça. L'orange sanguine et le pamplemousse amer se livrent bataille pendant que le romarin, le sel et le calcaire s'occupent de la colone vertébrale. Pratiquement plus de tanins mais une longueur néanmoins conséquente.
Une sorte d'anti-Pomerol, ceux cherchant le Merlot voluptueux s'y casseront les dents.
Très bien / 16/20
Le second rouge apportera un contraste intéressant sur tous les plans : âge, concentration, aromatique, mais l'accord fonctionnera tout aussi bien et on continuera à prendre notre pied :
Domaine Pierre Gaillard, Saint-Joseph "Clos de Cuminaille" 2019
On touche du doigt la grande Syrah du Rhône Nord, indubitablement. Pourra voire devra encore attendre, mais ce 2019 s'approche déjà bien sous réserve d'un peu de patience. Cette dernière vous récompensera par une formidable intensité aromatique sur la mûre, la myrtille, le graphite très marqué, le sel fumé, le granit, la fourrure, la réglisse, le haschich, la violette. Là où la différence se fait par rapport au simple Saint-Joseph outre déjà cette aromatique moins solaire je trouve (pas d'olive noire, peu de notes giboyeuses) c'est surtout en bouche, où on trouve une fraicheur assez inattendue, il y a une jutosité extrême et une acidité bienvenue avec une dominante de myrtilles bien mûres, de violette, mais la minéralité noire est toujours là et porte loin le vin. Très peu alcooleux et finalement pas si tannique.
Très bien + / Excellent - (déjà) et encore plus en devenir sans doute / 17/20
On finit avec un beau Roquefort et un peu de Morbier puis sur un cheesecake maison au coulis de framboise.
Je décide d'ouvrir ma première bouteille d'une célèbre cuvée qui me fait de l'oeil depuis un bon bout de temps. Une fois encore, bien m'en prendra.
Domaine Camin Larredya, Jurançon "Au Capceu" 2019
Magnifique cloture apportée par ce vin a la belle robe légèrement orangée. Le nez est d'une grande expressivité et change très rapidement dans le verre, on bascule de la tarte tatin aux mirabelles fraiches (à ce stade on pourrait sans problème se croire en chenin liquoreux) puis à l'aération on trouve son identité très clairement dans un exotisme affirmé mais néanmoins jamais pâtaud, sur la mangue trop mûre, le clou de giroffle, le rhum brun arrangé à l'ananas. La bouche est un modèle d'équilibre et illustre bien ce que l'amateur vient spécifiquement chercher à Jurançon : certes l'entrée se fait sur un sucre assumé mais ensuite, mâchez messieurs dames, et regardez l'acidité monter, monter, comme un avion qui décolle ! C'est assez jouissif, il y a un goût de reviens-y diabolique également provoqué par une finale qui part dans une autre (encore) dimension aromatique sur le cigare, très étonnant mais pourquoi pas. Le fond de verre est sur le bonbon aux fruits rouges.
Très beau Jurançon qui assume son expressivité en mode carnaval de Rio, et dont l'acidité graduellement ressentie en bouche lui donne une terrible relance. C'est par contre typiquement le genre de vin dont on peut "passer à côter" si on se contente de le "boire" en l'avalant sitôt en bouche.
Très bien + / Excellent - / 17/20
Magnifique soirée donc comme vous l'aurez compris, où tant la cuisine que les vins que (surtout) l'ambiance générale auront été de haut niveau.
Tous ces vins par ailleurs présentent vraiment des rapports qualité-prix franchement recommandables.
À remettre sans faute !
Joyeuses fêtes à tous par avance