Il y a plusieurs points sur lesquels je pourrais réagir, tout en restant lisible... j'espère
D’abord, je suis d’accord avec Patrick que la part des décisions par croyance ou conviction est incroyable. Et cela se double d’une méfiance/méconnaissance du travail des oenologues et des université en terme de recherche oenologique. Alors, c’est vrai que ça n’est pas poétique et que cette attitude n’est pas non plus générale, mais le nombre de fois où j’entends des vignerons tenir leur joli discours sur les racines des vignes, les densités de plantation ou les terroirs naturellement si exceptionnels (on pourra parler de la façon dont un Clos de Vougeot ou la Romanée Conti ont été en leur temps amendés et travaillés pour en faire de bonne ou meilleures terres à vigne) ou les levures… on se dit que quand même, il y a un manque de transmission de connaissance. Attention, je ne dise pas qu’il faille boire comme vérité absolue le discours des chercheurs. Mais il y a des choses sacrément intéressantes, documentées et parfois prouvées dedans.
Le fait est qu’il suffit de parler avec certains tenants de la biodynamie ou des vins natures (c’est encore plus marqué) pour constater l’absence de rationalité des choix. Ou à l’inverse pour ne pas choquer les tenants de l’un ou de l’autre, parler des bouchages à des tenants de la vis : on a souvent des réponses de principe, de croyance (cf. un grand domaine de Loire, pour le moins véhément sur la question).
D’autre part, le problème, qui existe, est largement nié par les vignerons, ou en tout cas, minimisé (et c'est un peu l'impression que j'ai à la lecture des derniers commentaires). Compte tenu de cette absence de documentation, il est difficile d’en tirer des conclusions et de résoudre la question. Ca me fait un peu penser à cette rencontre avec des expérimentateurs de cultures de la vigne en Finlande, où chacun redécouvrait l’eau chaude car personne ne communiquait sur ses découvertes ou ses simples observations. Ici, il en va de même, personne ne dit ce qui se passe, personne ne communique, donc on a du mal à trouver où se situe le problème.
Selon moi, cependant, il est nécessaire d’examiner la chose et on peut en tirer certaines conclusions.
1- le problème n’est pas réglé, contrairement à ce qu’on nous disait. Ou a minima, il a ressurgi.
2- le bouchon, ce facile responsable : le bouchon est à mon avis un faux coupable et je m’explique. C’est vrai qu’on a aucun problème d’oxydation sur les vins bouché à vis. Mais ça ne veut pas dire que le jus n’a pas de problème. Ca veut simplement dire que la vis a effet curatif au sens où elle est totalement étanche. De fait, que le jus ait un souci de sensibilité à l’air ou non, il ne se manifestera pas en absence d’échange.
Et sur ce point, il faut dire de manière claire que le bouchon liège, même de qualité supérieure n’est pas étanche (en tout cas pas la première année). Après 6 mois à 1 an, si on est sur une très bonne qualité de bouchon, il sera en effet totalement étanche, mais il y a cet effet tampon. Donc on a bien, quel que soit la qualité de liège, une exposition à l’air au moins durant ce laps de temps. Si le jus a une faiblesse, elle sera exposée. Comme le bouchon n’est pas régulier en terme de porosité, on a donc des différences entre bouteilles d’un même lot.
Il faut donc comparer avec d’autres régions bouchant liège pour avoir une idée du risque d’oxydation. Mais comme personne n’en parle et ne documente… c’est difficile.
A mon échelle, je constate une proportion beaucoup plus importante d’oxydation sur la Bourgogne. Mais j’ai aussi eu des cas sur d’autres régions, évidemment, beaucoup moins réguliers (la proportion de Bourgognes blancs dans les vins que j’ai constaté oxydés prématurément est hallucinante rapportée au volume consommé).
Vu le fait que dans un même lot, tous les jus ne sont pas affectés, on a fait porter le chapeau au bouchon. Cependant, je pense que c’est une erreur. Les bouchons sont de meilleures qualités maintenant qu’ils n’ont jamais été. Les bouchons utilisés en Bourgogne sont de meilleure qualité que dans les autres régions (Bordeaux excepté) puisque ces marchés de référence ont toujours eu la primeur des bouchonniers. Donc il n’est pas logique que ça se manifeste plus dans cette région. Comme je l’ai dit plus haut, le bouchon ne fait seulement et sûrement qu’accentuer une faiblesse générale du jus. Ca serait assez facile à mettre en évidence en utilisant délibérément de mauvais bouchons (type synthèse) ou des vis à joint poreux.
3- Si je reprends, le problème ne se résout pas depuis la fin des années 1990. Il ne se manifeste pas vraiment dans d’autres région avec une telle proportion sur des vins à la capacité de garde réputée comme la Bourgogne. Donc le problème réside certainement dans des pratiques spécifiques à la Bourgogne et qui se sont développée dans les dernières années. Et si ça n’a pas été résolu, outre la question du manque de données, c’est que c’est certainement complexe. Id est : ça implique plusieurs facteurs (il y avait eu une analyse intéressante il y a quelques années par un domaine qui justement… n’a pas résolu le problème
). Et encore une fois, il me semble sain d’exclure le bouchon de la problématique, sinon, l’excès de vins oxydés, on en aurait entendu parler bien avant (encore que, on peut penser que l’explosion du partage des connaissances et expérience via internet favorise la remontée d’information : d’où la nécessité de remonter même les mauvaises expériences de dégustation), en tout cas, on en entendrait parler ailleurs (avec beaucoup, beaucoup de précaution, vu que les premox sur des vins à 100€ sont plus choquantes que sur des vins à 15€, de fait, on en parlera moins dans ce cas).
En tout cas, on ne peut pas simplement en parler légèrement, ou secondairement. Le problème existe, il est important et il n’est pas traité.
Alors quoi ? Manifestement la façon de faire les vins actuelle est en cause, n’en déplaise aux explications de Patrick sur la précision du travail et l’attention prêtée aux maturités. Pour moi, si on sort un jus qui ne supporte pas le passage en bouteille, ça signifie que ce travail n’a pas d’utilité avant que le reste soit réglé. Pis, on peut même se demander si ce travail n’accentue pas le problème.
Quelles sont les pistes, d’après mes faibles connaissances mais sans préjugés ? Le travail sur la réduction peut en être une. Plus les jus sont protégés pour préserver les arômes primaires, plus on prend le risque de ne pas ménager un contact à l’air limité mais peut-être nécessaire. La baisse de l’usage du soufre, peut-être sur des phases critiques qu’on n’a pas identifié est une autre piste évidente. Doublé de l’obsession de la réduction, on peut arriver à un cocktail détonnant où le vin va s’effondrer au premier contact un peu prolongé avec l’air. La récolte de raisins trop mûrs physiologiquement, qui diminuerait la présence de composés le protégeant de l’oxydation est une autre piste (notamment autour du rôle des acides). La production de vins toujours plus secs pourrait aussi en être une (avec la problématique liée qu’un vin avec un peu de SR est forcément plus protégé en soufre). La clarification trop poussée des jus avant vinification est aussi à examiner.
On ne résoudra certainement pas le problème ici, mais si on part de l’idée que ça frappe surtout les Bourgognes, alors il faut bien reconnaître que quelque chose est fait de travers là-bas et donc se focaliser sur les spécificités du vignoble. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut quand même poser les points sur les i, c'est bien beau de dire qu'on réfléchis à ce qu'on fait, mais l'histoire commence à durer 10 ou 15 ans.
Et pour revenir au presque point de départ. On a manifestement une solution curative : le bouchon à vis ou en verre. A défaut de savoir résoudre le problème sur les jus produits, il serait peut-être rationnel d’expérimenter de manière avancée des bouchages alternatifs. Pour ma part, je me tamponne du bouchon sur un Meursault à 60 ou 70€, par contre, si un vin de 2008 est oxydé, là je trouve ça inadmissible. Si on avait expérimenté dès les premiers millésimes à problème (1996, disons, donc au moins vers 2000), on aurait déjà presque 20 ans de recul pour constater et les différences, et la capacité à se bonifier sous verre et vis plutôt que verre et liège. Est-ce que ça a été fait autrement que marginalement ?
Evidement, on retombe alors sur le point 1 : le bouchon liège est une question de croyance (des consommateurs peut-être autant que des vignerons), donc on n’a pas considéré cette possibilité dégradante et trop prosaique. Certes… mais pourquoi nous bassiner avec le travail fait, la précision du suivi des parcelles, des vins etc… alors que finalement, en attendant de comprendre ce qui ne va pas, on a une probable solution depuis le départ. Changer ce p…. de bouchon. Une fois encore, je ferai appel à ma très limitée expérience. J’ai beaucoup de vins bouchés vis et certain même sous les deux formats. Et si en rouge, je ne juge pas ça pertinent, en blanc, c’est une évidence absolue, d’autant que ça n’entrave pas le vieillissement des vins (en tout cas à 10 ans).