C’est à une dégustation très didactique que nous avons eu droit grâce à Delphine Laborde, une des œnologues de la Maison Veuve Cliquot, en charge notamment de la communication.
Tout en conservant son rôle d’œnologue, par sa participation aux choix des assemblages, Delphine s’est spécialisée dans la communication avec les différents marchés internationaux et les clubs de dégustation. Sa simplicité, ses connaissances et son expérience lui ont permis de captiver l’attention et de susciter de très nombreuses questions, sans doute d’un nombre inégalé.
Mais c’est dans le choix du programme de la dégustation qu’elle a excellé ! Jugez de sa précision diabolique :
- Une première partie avec des vins de base : un de chaque cépage, sur le millésime 2016 et sur un terroir bien représentatif, puis l’assemblage avant mise en bouteille qui a servi à la réalisation du Carte Jaune basé sur 2016.
- Une deuxième partie avec les Champagne de la Maison selon une montée en gamme irréprochable : Carte jaune, Rosé, Vintage et Grande Dame !
C’est pour ma part la première fois que j’ai l’occasion et la chance de déguster des vins de base : cela m’a permis de confirmer les typicités des cépages, encore plus exacerbées à ce stade d’élaboration que dans un Champagne, fut-il monocépage.
Les trois vins de base de 2016 ont eu une fermentation en cuve inox en visant 11° d’alcool, pour arriver ensuite entre 12° et 12,5 ° après deuxième fermentation en bouteille.
Chardonnay – Oger – 2016
Robe excessivement claire (j’ai rarement observé une robe aussi claire) et assez trouble (la seule filtration n’interviendra que plus tard).
Nez très expressif, au fruité éclatant et presque explosif. Les arômes élégants virevoltent des fruits blancs (poire) et d’agrumes à des fleurs blanches et des notes mentholées bien présentes.
La bouche paraît assez fluide (peu d’alcool) et d’une forte acidité structurante. L’ensemble est fin, droit et long, moins aromatique qu’au nez, avec beaucoup de peps en finale.
La finesse emblématique du chardonnay ressort bien sur ce grand terroir de la Côte des Blancs.
Meunier – Soilly – 2016
Delphine nous apprend que l’on utilise maintenant officiellement le nom de « meunier » pour désigner le « pinot meunier », dénomination qui est toutefois toujours largement employée.
Robe paille très claire, moins que celle du chardonnay, assez trouble.
Nez très intense d’un très beau fruité dominant, teinté de notes anisées.
L’attaque en bouche est assez ronde, puis l’acidité reprend le dessus sans atteindre le niveau du vin précédent. Le fruité s’estompe également par rapport à ce que le nez laissait présager et la finale est moins traçante, tout en présentant un joli côté crayeux.
Le fruité caractéristique du meunier de la Vallée de la Marne est bien ressenti au nez et s’exprime sous forme de rondeur en bouche.
Pinot noir – Bouzy et Ambonnay – 2016
Robe d’une couleur paille assez intense, aux reflets rosés, légèrement trouble.
Nez très intense, où quelques touches de fruits rouges (cerise) se mêlent à ceux plus classiques de fruits blancs (pêche).
La densité en bouche impressionne, donnant une impression de vinosité, de fruité généreux et même de tanins, certes souples. La bonne allonge fait ressortir une bonne acidité en finale.
La vinosité spécifique du pinot noir est très sensible dans cet assemblage de grands crus de la Montagne de Reims.
Assemblage du Carte Jaune à base de 2016
Et maintenant on assemble les trois bases dégustées précédemment ! Non, ce n’est pas aussi simple car il faut en fait assembler environ 400 vins de ce type pour former les 60 % de cette cuvée, le reste étant constitué de vins de réserve, là aussi goûtés et regoûtés, des millésimes 2015, 2014, 2013, 2012, 2010 et 2004. Le résultat est ce qui correspond le mieux au Carte Jaune, en tout cas dans son stade d’élaboration avant prise de mousse.
Robe de couleur paille nettement plus intense, et presque limpide. Les vins de réserve sont naturellement à l’origine de ces deux caractéristiques.
Nez bien ouvert où les arômes grillés et toastés sont les premiers à apparaître : ils proviennent des vins de réserve mais vont s’effacer à l’aération derrière les fruits blancs, les agrumes et les notes anisées.
La bouche s’avère nettement plus ronde que celle des trois vins de base, grâce à l’apport des vins de réserve qui ont pu s’adoucir avec le temps. L’acidité est bien présente mais plus fondue, la persistance appréciable jusqu’à une finale salivante.
Il s’agit bien d’une synthèse, à la fois des trois cépages, mais surtout de plusieurs millésimes, l’ensemble étant plus cohérent et ressemblant à plus à un vin pouvant être bu… sans les bulles ! Mais ne nous y trompons pas : cela ne veut pas dire que les vins de réserve sont de meilleurs millésimes, même si cela peut être vrai pour certains d’entre eux ; c’est simplement leur vieillissement prolongé en cuve qui leur a apporté ce caractère plus abouti. Gageons que les 2016 acquerront ces mêmes qualités dans quelques années.
Après cette expérience très didactique et enrichissante, passons aux Champagne !
Champagne – Veuve Clicquot – Carte Jaune
Il s’agit d’une base 2013 (tirage en 2014) et composé d’environ 55 % de pinot noir, de 30 % de chardonnay et de 15 % de meunier.
Mes commentaires se feront en partie en comparant ce vin à l’assemblage avant deuxième fermentation en bouteille bu juste auparavant. En effet, même s’il y a trois ans de décalage sur les vins composant ces assemblages, la recherche de la plus grande constance permet d’effacer ces trois années : on peut alors bien cerner l’influence de la prise de mousse et de l’élevage sur lattes.
Robe paille claire : c’est la prise de mousse qui a éclairci le vin.
Le nez intense présente un fruité plus « pointu » que dans le vin tranquille : j’entends par là plus d’agrumes et de fruits secs, moins de fruits blancs. Des notes grillées et briochées classiques apparaissent grâce à l’élevage et viennent apporter un peu de complexité.
La bouche présente un équilibre tirant un peu plus du côté de la puissance que de la finesse. Une rondeur toute relative apparaît : elle provient des 9 à 10 g de SR ajoutés par la liqueur de dosage. Le toucher de bulle (voilà encore une différence : l’apparition de bulles !
) est fin, la longueur et la fraîcheur intéressantes.
Un Champagne BSA bien fait, qui peut être apprécié plutôt à table mais également en apéritif par qui aime les Champagne assez corsés.
Bien +(+)
Champagne – Veuve Clicquot – Rosé
Il s’agit du même assemblage que celui de la cuvée Carte Jaune, avec un appoint de 12 % de vins rouges de réserve, de 4 à 5 ans, à base de pinot noir.
Robe d’un rosé très clair tirant sur le cuivré (couleur expliquée par l’âge des rouges de réserve).
Le nez, d’abord peu expressif, gagne beaucoup à l'aération dans le verre pour offrir une aromatique élégante et avenante de petits fruits rouges (fraise, cerise).
Friande, charnue et très ronde, la bouche charme également par sa bulle caressante. La fraîcheur n’est pas en reste, l’ensemble se ponctuant sur une chouette finale salivante au beau retour fruité.
Une grande découverte pour moi. Je like !
Je le placerais volontiers en apéritif avec des bouchées d'inspiration asiatique.
Très Bien (+)
Champagne – Veuve Clicquot – Vintage – 2008
Assemblage de 61 % de pinot noir, de 30 % de chardonnay et de 9 % de meunier, provenant uniquement de grands crus et de premiers crus.
5% du vin a été élevé dans des foudres quasiment neufs de 5000 et 7000 l. Dégorgement en février 2016.
Robe se situant entre paille et or.
Le nez très ouvert présente une belle complexité, une certaine richesse, une grande finesse et développe des senteurs de fruits blancs (pomme, poire) et de fruits secs, qui s’associent à des notes grillées et de pâtisserie.
L’attaque en bouche étonne par son gras, le milieu de bouche par son ampleur et, en même temps et surtout, sa grande tension confinant à de la minéralité. La grande finesse de bulle accompagne bien le vin dans toute sa persistance jusqu’à la finale épurée et saline.
Un grand Champagne qui n’a pas encore atteint son apogée, que je conseille d’attendre au moins cinq ans pour encore plus de complexité, et beaucoup plus pour les amateurs de Champagne fins, traçants et évolués.
Très Bien ++ en l’état
Champagne – Veuve Clicquot – Grande Dame – 2006
Assemblage d’environ 60 % de pinot noir et de 40 % de chardonnay, provenant uniquement de grands crus de huit villages « historiques » pour la Maison.
Bouteille dégorgée en février 2016.
Robe d’un or clair.
Riche, élégant et très intense, le nez met en exergue un fruité pur et franc : moins de pomme, plus de pêche, quelques notes exotiques et d’autres briochées. Cela paraît moins complexe que le Vintage 2008 mais la plénitude du fruit impressionne.
Très ronde, presque sphérique, la bouche est accomplie et enjôleuse. Elle ne manque pas de distinction, bien au contraire, ni de soutien acide. La bulle sait se faire oublier pas sa légèreté.
Un profil très différent de celui du Vintage 2008, avec moins de minéralité et plus de fruit ; la différence vient sans doute plus du millésime que des cépages, terroirs ou caractéristiques d’élevage. Cette cuvée peut d’après moi se boire dès à présent et ira moins loin que sa consœur.
Très Bien ++
Je rêve d’une Grande Dame 2008… mais les bouteilles continuent leur vieillissement dans les crayères… Il faudra donc attendre 2018.
Les discussions seront encore longues à l’issue de la dégustation…
Un grand merci à Delphine Laborde qui a su nous faire partager sa passion pour les Champagne en général et le style « Veuve Cliquot » en particulier. Cette séance a été un must de pédagogie et elle devrait être imposée comme un module de toutes les formations œnologiques, ce qu’elle doit déjà être, mais également dans tous les clubs de LPV !
Amitiés œnophiles,
Jean-Loup