Le millésime 2015 au domaine Guy Roulot
Mes camarades et moi avons pu approcher une partie des blancs de Meursault sur le millésime 2015 en Octobre dernier. Nous avons eu des fruits confits par endroits et des agrumes plus frais et tendu à d'autres. Pendant la préparation de notre périple, je me demandais donc comment Jean-Marc et son équipe avaient géré ce millésime inhabituellement chaud. En parlant de température, le ciel est complètement dégagé, le soleil brille en ce milieu d'après-midi et nous approchons les 20°C. Nous aurions volontiers prolongé ce bain lumineux mais le devoir nous appelle
. Nous enfilons nos vestes et nous descendons. Jean-Marc nous tend les superbes verres gravés au nom du domaine.
- Vous utilisez encore des Zalto. N'avez-vous pas eu de problème de casse?
- Si, un verre cette semaine justement...
- Vu le coût d'une unité, je compatis.
Nous passons le pas de porte de la cave et constatons que les racks usuellement remplis de flacons sont presque vides.
- Cette partie de la cave est bien moins remplie que les fois précédentes.
- Nous sommes en train de réorganiser cette partie. Nous procédons à un rangement sur palette et nous allons remettre autre chose ici.
- La mise du millésime 2015 est peut-être en cours.
- Nous faisons 3 bacs de mise. La prochaine aura lieu le 10 Avril. Nous dégustons à l’aveugle début Décembre et nous décidons l’ordre.
- J’imagine que les Premiers Crus vont faire partie du prochain lot.
- Justement non. Perrières était le plus prêt. Il est déjà en bouteille. Le Bourgogne blanc a été fait il y a 2 semaines.
2016, Annus Horribilis
- Est-ce que l’on ose parle maintenant du millésime qui fâche?
- Ah, 2016 fut terrible, nous répond Jean-Marc dans un demi-soupir. Nous avons plus de 60% de perte
.
- Pour avoir discuté avec quelques uns de vos confrères, il semble que les plaines ont été plus touchées que les coteaux.
- Perrières n’a pas été touché. Pour le reste c’était plutôt aléatoire.
- Et les villages de Nuits tel Chambolle n’ont pas été épargnés non plus…
- On pense que ce peut-être lié au couloir qu’est la sortie de Combes.
- Beaucoup de vignerons ont du abandonner le bio. Ce fut par exemple un véritable déchirement pour Vincent Dureuil.
- Nous avons réussi à le tenir. Nous avons changé pour un meilleur matériel il y a 3 ans. Cela fît la différence. Le sulfatage se faisait avec des tracteurs équipé de soufflerie pour retourner la feuille et l’asperger.
- Quels ont été les dégâts du gel au Printemps 2016?
- Le lendemain matin, je n’avais aucune envie d’aller dans les vignes. Mais il a bien fallu… Le plus dur c’est qu’il y a eu beaucoup de travail pour aucun vin à l’arrivée.
- Il y a-t-il des impacts sur le millésime 2017?
- Oui, il est plus difficile de tailler par exemple. Il faudra voir dans l’ensemble.
- Pour compenser les faibles volumes récurrents, n’avez-vous pas envie de vous développer ailleurs?
- Certains sont allés plus au Sud, d’autres dans le Jura. Je pense que le coin ici n’a pas été assez fouillé, ne serait-ce que sur les Hautes Côtes.
- Continuez-vous votre activité de négoce?
- Nous n’avons eu que de faibles quantités. Je m’interroge d’ailleurs à continuer pour le futur. Sur 2016, j’ai néanmoins acheté du Bourgogne blanc pour remplir les fûts. Je suis allé le chercher dans le Mâconnais. Vous en aurez plein donc sur ce millésime
.
Pour faire la transition, nous commençons d’ailleurs la dégustation du millésime 2015 par cette appellation.
2015, un millésime pour les vins blancs?
Bourgogne blanc
Plus épais qu’à l’accoutumée. Le vin se fait plus chaud, plus solaire. Cela demeure très digeste en dépit d’une matière bien présente. Un bourgogne à emmener plus loin dans les années que ses aînés.
AB
- A quelle date avez-vous vendangé le millésime 2015?
- Nous avons commencé le 27 Août. Ce fut assez rapide. Nous voulions éviter les pluies annoncées début Septembre. Il était important de faire vite. Le 2 Septembre, tous les gros meubles étaient rentrés. Et nous atteignions 13,3-13,4°C.
- Vous vendangez en général assez tôt, notamment avec les Bouchères. La chaleur du millésime a du vous inciter à avancer davantage encore les dates. Ne vous êtes-vous pas retrouvés seuls?
- Pendant longtemps nous étions les premiers à vendanger. Il est vrai qu’il existe un sentiment étrange à se retrouver seuls dans les vignes pendant que tout le monde attend. Ce n’est plus le cas désormais. D’autres tels Michelot, Arnaud Ente ou Boisson Vadot nous précèdent.
Meursault
Un vin salin, fluide, plus floral. Un peu d’amertume. Une rondeur et une sacré matière mais également une trait acidulé qui se manifeste de manière opportune en finale.
B-
- Les peaux étaient épaisses. Un peu de foulage était le bienvenu.
- Certains sont tentés de rapprocher 2015 de 2003.
- Le millésime est solaire comme 2009 mais il possède plus d’énergie pour moi. 2009 a été vendangé dans des dates semblables, avec un début le 1er Septembre. 2015 possède une fraîcheur plus grande au delà de cette matière.
- Pour éviter une lourdeur dans les vins, n’avez-vous pas été tenté d’acidifier pour rétablir un équilibre?
- Oui avec prudence sur les seuls vins où je le jugeais nécessaire, nous répond Jean-Marc avec une totale transparence.
David Croix nous rejoint. Nous le voyons pour la seconde fois de la journée
. Il remplace momentanément notre hôte qui s’est absenté brièvement pour un impératif privé.
Meursault Meix Chavaux
- C’est le Meursault plus large de la gamme dans mon esprit.
- Vous trouvez?(…)
Un filin tendu sur le citrus au milieu d’une épaisseur en pourtour sur le kumquat et le citron vert. Une matière remarquable également. Fichtre! Ce ne me paraît pas aussi large que sur les millésimes antérieurs.
B+
- (…) Vous avez raison. Sur ce que je perçois cette fois-ci. Ce n’est pas si large.
- Le sol en haut des Meix Chavaux est semblable à celui des Vireuils.
- Vous apercevez les bouchons Diams sur les bouteilles de dégustation. Nous n’en utilisons que pour le Bourgogne et les demi-échantillons. Jean-Marc a décidé d’y recourir à partir de 2014. Il n’a pas aimé les évolutions sur les demis.
NDLR: cf. notre visite l’an dernier.
Affiner et tendre ses vins
Meursault Les Luchets
Un soupçon d’acidité en plus comparativement au précédent parcellaire. Le vin est plus diffus et haut en bouche. Les fruits sont moins présents à l’attaque. Ils se manifestent en fin de parcours dans le bas des joues. Un vin aérien avec un fond solaire.
B
- Qu'avez-vous appris depuis votre début ici?
David réfléchit un instant.
- Des expériences nouvelles sur le collage. Je le faisais mais là c’est avec une vision différente. Toujours dans l’objectif d’affiner et tendre le vin. A l'aveugle notamment.
Jean-Marc revient à cet instant et ils répondent conjointement:
- Les différences dans les résultats gustatifs sont impressionnants avec une augmentation du micro collage de seulement 10 g de caséine.
Meursault les Tillets
- Il s’agit du dernier millésime. Les vignes datent des années 70. Nous avons eu beaucoup de volume mais ce n’est plus satisfaisant.
- Combien de temps allez-vous devoir attendre avant d’en produire à nouveau? 5-6 ans? Peut-être plus?
- Il va falloir laisser les sols se reposer pendant 2-3 ans avant de replanter. Puis il nous faudra attendre 3 nouvelles années avant de pouvoir l’appeler les Tillets. Les pieds étaient du SO4 des années 70. Ils ont beaucoup produit au début puis ils ont plongé dans les années 90.
Une belle finesse, une virgule acidulée, des notes salines, de l’ananas et un léger amer. Un vin avec du volume puisqu’il se porte entre la mi-hauteur de bouche et le palais. Dommage qu’il s’agit du dernier millésime :p
TB-
- Filtrez-vous vos vins? La tendance semble être à un retour vers cette étape. Quelques uns de vos confrères à Meursault par exemple le font avec une maille assez « large » pour contribuer à tendre le vin.
- Ah, j’ai toujours filtré mes vins, quand bien même ce n’était pas dans l’ère du temps. Il y a 100 façons de filtrer. L’idée est que le vin passe tout seul, sans le comprimer. Nous le faisons avec du 5 micron, une pompe douce. Il s’agit de dégrossir le vin.
David nous quitte à cet instant de la dégustation. « Merci à vous David ».
Le renouvellement continu et la mise en valeur valeur qualitative des vignes
Meursault A mon plaisir, Clos du Haut Tesson
Plus soyeux au toucher, un velouté fin, de la matière sèche en persistance. Toujours aussi digne d’un premier cru.
TB
- Nous évoquions l’an passé les parcelles qu’il vous fallait arracher et replanter. David nous a mentionné les Tillets cette année. Cela commence à s’accumuler.
- En revenant ici, j’ai hérité de belles vignes. Seul le Bourgogne blanc nécessitait un rafraîchissement. Maintenant les parcelles sont fatiguées. Il faut donc replanter. Nous privilégions la greffe anglaise. L’idéal est de replanter 1/3 d’ha par an. Les Tillets, les Luchets et Porusot ne faisaient plus que 15-20hl. Et les vignes étaient difficiles à travailler. Il est important de transmettre un beau matériel.
Meursault 1er cru Les Porusots
« Il n’y a qu’une des deux vignes, ici les Porusots Dessous. Elle est habituellement assemblée avec le Porusot. »
Nous gagnons ici en matière, en épaisseur et en mâche. Le volume est parfaitement contenu. Un peu de fougère, des épices, du zeste de citron jaune. C’est puissant et long.
TB-
- Même si 2016 n’a pas été des plus favorables, vous avez du accueillir le millésime 2015 avec satisfaction.
- Après 2012, 2013 et 2014, nous sommes effectivement contents de 2015.
- 2015 est en revanche assez chaleureux.
- Je suis plus inquiet des évènements climatiques que du réchauffement.
- Au regard de ces dernières années, nous vous comprenons.
Meursault 1er cru le Clos des Bouchères
Un nez plus large mais un profil tendu en bouche, bien défini et bien délimité. La longueur et la hauteur sont impressionnantes. La largeur sans excès, juste à mon goût. Décidément, depuis 2014, c’est un vin de haute volée.
TB+
- Le sol y est plus pauvre.
- Cela vous fait deux clos. Quels en sont les avantages?
- Clos de mon plaisir était un parc en agrément planté par mon père. C’est un véritable plaisir d’avoir des clos. On y a une plus grande latitude. J’ai acheté des nichoirs pour compléter l’éco-système et créer de la biodiversité. Dans la même veine, nous avons un rang d’arbre au coeur des Bourgognes blancs. Il est géré sous la rogneuse. On vise à ce que la biodiversité participe à réduire les risques de maladie.
Meursault 1er cru Perrières
Des effluves olfactives plus expressives. Un peu de réduction, de fleur blanche. En bouche, on retrouve le floral avec du zeste de citron vert, du kumbawa. C’est plein, tout en matière finement tissée, serrée et soutenu en son ossature par un fil tendu. Un peu de CO2. C’est long, long, persistant (oui je radote un peu
).
TB+/Excellent-
La dynamique du Domaine
- Vous travaillez depuis peu avec David Croix. Pourquoi ce choix?
- Il fallait quelqu’un de plus jeune pour garder la même énergie. Ma soeur consacre moins de temps au domaine et je voulais travailler en binôme, partager mon rapport au métier. Il est toujours constructif d'avoir des échanges, des points de vue différents, complémentaires.
- Comment s’est faite votre rencontre?
- Nous nous sommes connus pendant un voyage. Nous avons découvert que nous avions beaucoup de points communs. En plus de ses compétences, c’est une vraie personnalité. C'est ainsi que m'est venue l'idée d'un binôme. David était mon premier choix dès le départ. Et puis je suis plus âgé que vous ne le pensez. Je n’ai pas envie d’être à 80 ans derrière mon pressoir. Et je vois venir votre question. Il ne s’agit pas d’un départ en retraite.
- Quel est l'avenir du domaine? Vos enfants ne souhaitent-ils pas prendre votre suite?
- La succession au domaine n'est pas encore un sujet d'actualité si c'est ce que vous voulez dire. Je suis encore bien présent. Quant à mes enfants, ils ne sont pas encore dans l’âge ou dans l'envie de reprendre le domaine. A 20 ans, je ne pensais pas revenir ici une seule seconde. Je voulais vivre autre chose. Et ce sont ces expériences en dehors du vin qui m'ont motivé plus que jamais à retourner à Meursault à 32 ans. Nous verrons donc mais je ne les obligerai jamais. Que puis-je vous faire goûter d’autre?… Jean-Marc s’éclipse un moment et revient. Voici une même appellation sur 2 années distinctes, 2014 et 2012. Vous voulez que je vous dise?
- Non, nous allons essayer de deviner.
Vin mystère n°1
Une légère évolution avec un début mellifère. C’est aérien. C’est frais, floral. L’équilibre est haut. Je pense Luchets 2012… Ah c’est 2014… je vais repasser alors
TB
Vin mystère n°2
- C’est un peu réduit.
- Oui. La réduction n’était pas présente à la mise.
Le vin est plus présent, d’une épaisseur plus sensible. Les qualités de finesse et de tension sont bien présentes.
TB+
- Vous avez trouvé?
- Je pense Luchets.
- J’hésite entre Meix Chavaux et Tillets, rebondit mon comparse Alex.
- Il s’agit en effet de Meix Chavaux.
- 2012 est décidément un millésime que j’affectionne. Il y a ces arômes et cette trame que j’apprécie, un fond qui laisse penser que les vins iront loin dans le temps.
Jean-Marc nous l'avait déjà indiqué:
- J'ai eu du mal et j'ai mis du temps à aimer ce millésime. En tant que vigneron, on se rappelle nécessairement l'ensemble des moments difficiles pour faire ce millésime.
- Il demeure remarquable pour moi. Dans la continuité de la dégustation faite ici il y a 3 ans.
Effet de séquence peut-être, les vins m'ont paru moins large que mon souvenir me le rappelle. Nous goûtons à nouveau le 2015 et il est effectivement plus séveux.
Deux, trois de mes camarades ont préféré les dégustations sur les millésimes antérieurs. Avoir fini sur 2014 et 2012 ont participé à souligner les différences. A mes yeux, l’ensemble reste de très grande qualité mais les nuances et l’équilibre délicat ont laissé place à un fond solaire allégé par la tension. Nous n’allons pas non nous plaindre d’avoir des vins reflets de leurs terroirs et année de naissance. Ce que Jean-Marc et son équipe sont parvenus à faire avec la matière première à disposition est plutôt remarquable. Et la majorité a grandement apprécié.
Nous ne remercierons jamais assez Jean-Marc (et David) pour ses explications et sa grande franchise dans des sujets considérés parfois délicats. Le domaine reste dans le haut Murisaltien et il se donne les moyens d’y demeurer.