CR LPV75: De retour au domaine Jacques Frédéric Mugnier pour le millésime 2015
Il est toujours un privilège exceptionnel que d’être reçu à un domaine tel celui de Frédéric Mugnier. Comme nombre d’autres de ses confrères réputés sur la Côte de Nuits, il est contraint de refuser les nombreuses requêtes qui lui parviennent. Nous mesurerons plus encore notre chance lorsque nous évoquerons plus loin le sujet. Ayant pu approcher 2015 à plusieurs reprises, la question de savoir si le millésime allait apporter un supplément de matière me trottait à l’esprit.
« Monsieur Mugnier s’excuse. Il est accaparé par ailleurs. Je ferai la dégustation avec vous. »
Nous rejoignons le chai. Nous traversons la première salle pour atteindre la partie arrière.
- Où en êtes-vous du millésime 2015?
- Il est encore en fûts. Nous allons soutirer en Avril/Mai et la mise se fera en Juin. Nous faisons cela en 2 fois. L’équipe au chai est la même que celle dans la vigne. Et la priorité va à cette dernière. La cave est encore froide. Nous attendrons qu’elle soit réchauffée pour embouteiller. Il fait d’ailleurs toujours plus frais dans cette partie. Cela n’est pas l’idéal pour apprécier les vins.
Nous commençons néanmoins avec une joie non dissimulée.
Un village fortement impacté par le gel en 2016
- Chambolle semble avoir été le plus endommagé de la Côte de Nuits par le gel en 2016.
- C’est le cas. Nous faisons une moitié de récolte. -75% sur Musigny et Chambolle. Nous n’avons que 6 pièces au lieu de 22.
- Avez-vous déjà constaté un impact sur le millésime 2017?
- Il est trop tôt encore pour en juger.
- Il faut peut-être attendre la feuille…
- Les effets peuvent parfois durer 2 ans. Nous verrons.
- Nous avons discuté avec quelques uns de vos confrères hier et ils évoquaient la concentration des dégâts autour de la sortie de Combes. Il y avait le mildiou ensuite à beaucoup d’endroits. Avez-vous été concernés?
- Pas trop, heureusement.
- A quel moment avez-vous finalement vendangé?
- Nous avons commencé fin Septembre et terminé en Octobre.
Chambolle Musigny
« L’assemblage de la Combe d’Orveau et des Plantes. Le premier apporte la finesse, le second la structure. Je le trouve un peu difficile depuis 1 mois.»
Aérien, expressif, floral, sur la ronce. Une bouche plus structurée que 2014 dans mon souvenir. Un peu strict en finale.
B-
Le millésime 2015
- 2015 paraît avoir été difficile en terme de rendement également. Peu de jus à la presse.
- Nous avons -30% en volume.
- N’avez-vous pas craint un millésime lourd? Un 2003 bis?
- En 2003, il ne fallait pas vendanger tôt. Ceux qui se garderont ont été vendangés « tard », pour avoir une maturité phénolique suffisante.
- A quelle date avez-vous récolté?
- Le 1er Septembre 2003. 2015 est a certes de la matière mais il a conservé une fraîcheur.
- Les maturités étaient-elles rapprochées au moment des vendanges?
- Nous avons commencé par les blancs puis les rouges 3 jours après.
- Il est vrai que vous avez le Clos la Maréchale en blanc.
- Oui, nous avons 0,6 ha, 10 pièces environ. C’était une partie en fermage en 1950. A la reprise du domaine, il restait quelques blancs de 1943. Ils se goûtaient bien et le potentiel de garde était là. Monsieur Mugnier tenait donc à faire du blanc. Et puis l’appellation autorise du blanc. Nous avons fait appel à des spécialistes pour changer les greffons en sur-greffage. Le 1er millésime est 2005. C’était compliqué au début. Il a fallu beaucoup d’entretien pour que ça prenne.
Chambolle Musigny 1er cru les Fuées
Evanescent, haut, léger. Des tannins procurant une juste épaisseur et un soupçon d’accroche. C’est long, fin, avec de la groseille, des petites baies. La persistance se fait sur une pointe épicée.
B+
- La malo sur 2015 n’a pas été facile chez quelques domaines. Avec un endroit frais comme le vôtre, elle est peut-être longue à se faire?
- Nous laissons faire. elle peut en effet être tardive. On ne cherche pas à contrôler la température de la cave. En 2014, elle fut rapide.
Bonnes Mares
Un peu de clou de girofle, une grande longueur. Une tension acidulée sous-tend l’ensemble. C’est fin, élégant. L’épaisseur se goûte à la seconde ou la troisième gorgée. La géométrie dessine un cylindre en longueur. Un panier de pétales de fleurs émane du fond de verre.
TB
- Nous nous rencontrons pour la première fois. Comment avez-vous été amenée à travailler pour le domaine?
- Je suis arrivée à partir de 2005, 1 an avant la commercialisation du Clos la Maréchale. J’ai suivi mon mari. J’en ai profité pour faire des études complémentaires. Une relation de confiance s’est construite.
Clos la Maréchale
Une belle présence, de la consistance, de la structure. Moins d’épices, davantage de gourmandise.
TB
- Nous l’avions dégusté après Musigny l’année dernière. Il était parfaitement passé.
- Le Clos peut être dégusté à différents moments de la dégustation. Une des options est de faire déguster par famille: le Nord du village vs. le Sud.
- Avec 10ha, êtes-vous tenter de mener des expérimentations?
- Nous ne cherchons pas à séparer le Clos. Il est relativement homogène. Il existe des différences dans les sols mais elles ne sont pas si grandes. La diversité réside plutôt dans l’âge des vignes. Certaines ont 90 ans, d’autres ont été plantées en 1990 et une petite partie replantée. Frédéric Mugnier réfléchit à changer l’orientation. Le travail requis serait énorme.
La vinification
- Vous éraflez habituellement vos vins. Des millésimes comme 2015 ont l’air de supporter un peu de rafle. Avez-vous pensé à en inclure?
- Nous avons testé 20% de rafale dans une cuve sur 8. Nous n’avons pas été convaincu. Nous avons d’ailleurs un nouvel érafloir, plus délicat avec les fruits.
- Pratiquez-vous une préfermentation à froid?
- S’il fait chaud oui, sinon non. Nos cuves sont à température contrôlée.
- Comment obtenez-vous autant de finesse? Vous extrayez peu certainement.
- Nous faisons peu de pigeage. Du remontage surtout. Nous cherchons à avoir des baies dans un état le meilleur possible. Nous utilisons peu de futs neufs également, 15%.
Chambolle Musigny 1er cru les Amoureuses
Un vin placé plus haut en bouche. De la complexité, des nuances en 3 temps. Une attaque florale, des fonds de joues sur le poivre et une finale fruitée.
TB+
De la complexité de la gestion des demandes
- Avec 2016, il va être encore plus compliqué de satisfaire les demandes qui vous parviennent.
- Je passe beaucoup de temps à dire non. Et je le dis à regret à chaque fois parce que je déçois des gens. Mais je n’ai pas le choix. Si vous connaissez la solution idéale, nous sommes preneurs.
- Une année sur 2 peut-être? Ou étaler les ventes comme le fait Thomas Pico à Chablis ?
- C’est complexe à gérer. Et il n’y aurait pas d’équité si un millésime à faible volume succédait à un autre plus normal. Et il ne faut pas oublier ceux qui nous ont fait confiance dès le début. Il s’agit d’un réel sujet de discussion avec Monsieur Mugnier.
- Comment se décompose la vente de votre production? Exportez-vous?
- Pour 70% environ. Et nous avons une centaine de clients particuliers.
Musigny Grand Cru
Plein dès son entame. Un monstre dormant ou plutôt contenu, dompté. Des petites baies rouges se manifestent progressivement. De la gariguette, de la groseille. Une grande finesse
TB+/Excellent-
- Nous retardons la vente du Musigny. Nous espérons ainsi faire plaisir à gens à qui on ne peut pas toujours faire plaisir: les amateurs. Boire un Musigny jeune sur table à peine sa mise faite, c’est passer à côté de beaucoup de plaisir. Les restaurants n’ont plus les moyens de faire vieillir dans leur cave de tels vins. L’éducation du consommateur aux vins âgés ne se fait plus dans ces endroits. Il faut avoir goûté un vin avec des années pour goûter la réalisation de son potentiel et savoir pourquoi on l’achète jeune. Alors nous prenons sur nous de le faire. Ca occupe un peu plus de place.
- Lors de notre visite l’an passé, Monsieur Mugnier nous indiquait que Musigny est mûr à 40-50 ans.
- Sans attendre jusque là il commence à s’apprécier un peu avant. Nous avons fait une verticale il y a 2 ans de 2001 à 2012. Il y avait un début d’ouverture à partir de 2004. Que puis-je vous faire goûter?
Madame Sadde s’absente un moment et revient avec une bouteille un peu maculée.
Vin mystère
Un nez haut et expressif valsant sur la fraise, la cerise. L’annonce olfactive est fraîche et prometteuse pour la suite. En bouche, une grande finesse, de la tension, des framboises, des mûres, de la cerise et de la mara des bois. Une posture haute et de la tenue en milieu. Le vin reprend de la jeunesse à l’aération.
TB+
- Clos la Maréchale? 2003 ou 2005?
- C’est bien le Clos mais c’est plus jeune. 2007.
- 2007?! Celui que j’ai bu il y a 4-5 ans n’avait rien à voir. Il était bien plus maigre, moins causant. Je comprends mieux la patience requise sur les vins du domaine. Comment expliquez-vous qu’une extraction si douce donne cet éventail de saveurs?
- Cela vient en partie des lies. Nous laissons longtemps nos vins sur lies.
- Je suis bluffé. Merci beaucoup Madame Sadde pour ce moment.
A la question de savoir si 2015 allait donner un surplus de corps aux vins du domaine, c’est le cas. Plusieurs vignerons croisés au préalable nous indiquaient que les millésimes chauds tendaient à édulcorer les différences entre terroirs. C’est à mon avis un peu le cas ici. Musigny ne dépassait pas ses frères de façon aussi spectaculaire que l’an passé. La finesse caractéristique demeure cependant très largement. Aucune sensation confite. Il existe une grande digestibilité. Et nous avons eu une belle démonstration que le temps oeuvre favorablement dans la qualité des vins ici. Les propos tenus par Monsieur Mugnier et Madame Sadde prennent alors tout leur sens. Nous remercions encore cette dernière pour sa disponibilité et le partage de ses réflexions. De tels moments continuent à contribuer à notre passion.