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UNE VENDANGE AU DOMAINE JEAN-YVES BIZOT[/size]
[size=large]S’allumer.
Se mettre debout.
Se doucher, puis ouvrir la fenêtre.
Exister devant le climat des Jachées de Vosne Romanée qui s’étend simplement là devant soi. Un temps lent, pas long.
Une poésie du paysage. Une poétique où tout se repeuple à l’intérieur de vous, où la nature grandit dans votre arbre intérieur.
Je suis un arbre. Je suis un jardin qui part en voyage au bout de la vigne.
Dans les vignes, Jean-Yves m’explique que ces chemins du Népal, qui vont en ligne la plus droite possible, l’ont marqué et influencent sa manière de voir le vin. On peut trouver une explication géographique à cela : en suivant les crêtes, les chemins sont moins détruits par les glissements de terrain. Mais on ne peut s’empêcher de penser que ceci a également pour origine un fait culturel, ou que, pour le moins, la géographie a eu un impact sur cette culture. C’est la même voie choisie par le domaine pour faire du vin : aller le plus droit et pour cela faire simple. Trouver une solution qui n’irait pas à la source du problème, c’est générer à nouveau des problèmes,qui nécessiteront à nouveau des solutions, qui génèreront d’autres problèmes. La démarche n’est pas simpliste, loin de là, mais se pose la question de ce qui est vraiment essentiel. "Et on n’arrive à l’essentiel que par la réflexion."
Au domaine Bizot, on a commencé à s’éloigner de la table de tri depuis 2005. C’était pourtant assez simple et criant, mais il a fallu du temps pour arriver à cela : l’objectif est de limiter la manipulation des raisins, les transvasements. En outre, chaque grappe passe par les mains des vendangeurs ; obligatoirement. Pourquoi ne pas en profiter pour la mettre en caisse en bon état ? D’autre part, on gagne du temps à l’encuvage, qui est pour Jean-Yves un des points essentiels, non pour des questions matérielles, mais pour la préservation du raisin.
Grosse responsabilité pour l’équipe enthousiaste de vendangeurs ultra rodés, qui sait ce qu’elle a à faire et à parfaire. Le tri du raisin est draconien, on n’est pas dans une formule de style, le truc choc qui fait vendre, Jean-Yves a cette volonté résolue, autonome. Il sait ce qu’il veut et veut ce qu’il sait. Le tri, ce n’est pas grappe par grappe, mais baie par baie. Rendement ridicule, cette année, 10 hectolitres par hectare en moyenne. En général, l’histoire des rendements bas choque beaucoup. Il n’est pas question de limiter ses rendements pour la frime, mais simplement parce que c’est un raisin beaucoup plus facile à travailler (cf. les solutions en amont).
Jean Yves n’aime pas qu’on personnifie ses vins. J’ose penser qu’il a tort. Qu’est-ce que le terroir sans celui qui le vinifie ? Il a cette volonté forte, évidente, que je constate et qui force l’admiration. C’est ingrat, la vie de viticulteur. Passer tout ce temps à travailler et n’obtenir que ça, parce qu’on veut faire du vin quel que soit le millésime. C’est dur et beau à la fois.
« Un viticulteur, c’est un homme qui a mal à la vigne », me confie une grappe que je viens de couper.
Parlons-en du blanc… Jean-Yves me dit que cette idée que je partage, selon laquelle les chardonnays demandent moins à être triés que les pinots noirs est stéréotypée. Vendanger « les violettes » sur Vosne Romanée et les Hautes Côtes de Nuits confirment à la lettre cette exigence. Même sur les blancs, la vendange est sans soufre, pas d’égrappage, pressurage des blancs immédiat, lent, long. On sent le vin qui se fait. On est dans l’accouchement du millésime. Je suis content d’être à la maternité bachique.
Pressurage immédiat et lent du chardonnay
Jean-Yves est précurseur et comme tous les précurseurs, il détonne un peu dans le paysage. Il a commencé à vinifier sans soufre depuis 1998. Géologue de formation, il est loin des élans mystiques de certains gourous de la biodynamie. Il doute. Il s’interroge. Toujours ouvert et à l’écoute. Jamais fermé sur des dogmes, mais l’objectif maintenu coûte que coûte. J’aime cette volonté fermée sur elle-même, qui lâche rien, qui s’enracine dans le courage, malgré la faiblesse du millésime. Les raisins entrés sont beaux, parfaits. Le résultat ne fera aucun doute. Je comprends par là même le miracle du millésime 2004. Le miracle du travail, comme dirait Paul Valéry.
Je me souviens de la beauté des vignes de ce « Bourgogne Chapitre », un des plus vieux lieu-dit planté en vigne de la Bourgogne, enfoncé, calé, caché au bord de la ville. Un vignoble en voie de disparition. L’histoire de cette parcelle a quelque chose de mythique. C’est beau une vigne, le jour.
Bourgogne "Chapitre"
Le soir, on ouvre des vieux livres. Jean-Yves me montre ce qu’est cette parcelle que mes sens ont vu sans la saisir, il m’explique. Il sait. Il aime ce savoir qui révèle les choses. J’en perds pas une miette. Je profite. Je bois tout. Cul sec. J’en veux encore.
Je me souviens de ce Marsannay « Clos du Roy » qu’on a dû vendanger en partie seulement, parce qu’un « voisin » avait malencontreusement contaminé chimiquement une partie de la vigne. Beaucoup aurait fait comme si. On a laissé ces raisins.
Cette demande de Marsannay à être capable de produire des 1ers crus, j’ai encore du mal à la comprendre, je reste sceptique. J’attends de voir, de goûter sur la longueur. La décision de Jean-Yves est radicale et forte. La même exigence partout. Il n’y aura pas beaucoup de bouteilles.
Bien que connaissant l’enjeu, vendanger la parcelle d’Echezeaux (Les Orveaux) s’apparente à une jubilation d’enfants. Jean-Yves n’est pas comme ce crieur d’un film célèbre sur le vin qui perd ses nerfs devant sa parcelle de 1er cru de Volnay. L’équipe habituée est responsabilisée, et même si l’humeur est festive, elle œuvre… quel beau mot ! Chacun met un tout petit peu de son travail dans ce millésime, un peu de soi-même.
Echezeaux, Les Orveaux.
Près du Château du Vougeot, il y a cette parcelle d’Echezeaux que Jean-Yves replie habituellement en 1er cru pour clarifier ses offres (Les Treux) et mettre en valeur cette belle parcelle des Orveaux. Je regarde le château de Vougeot avec satisfaction. Je suis content de faire partie de cette équipe.
Près de Nuits Saint Georges, nous attaquons la vigne des Réas. A côté des vignes de Vosne, il y a la route et juste là, à côté, à droite en venant de Vosne, une parcelle de Nuits Saint Georges. Machinalement, j’essaie de faire le grand écart pour avoir un pied sur Vosne et un sur Nuits. Les jambes écartées, je suis à la fois con et content sur cette route. Récolter, c’est retrouver quelque chose de l’enfance. Le problème, c’est que je vais finir par exciter l’équipe de vendangeurs aisément stimulable par les cons!
Photo des "Réas"
Nous finissons avec une parcelle de bourgogne que Jean-Yves vinifie pour lui et ses proches. La scène de la route a effectivement excité l’équipe. Nous finissons la vendange par une bataille orgiaque de raisins avec bibi fricotin comme cible de choix. Vin diou, c’est quand les vendanges 2011 ?
Preuve à l'appui d'une excitation
Quand j’aime passionnément, il faut que je comprenne, c’est plus fort que moi. Comme c’est bien plus facile avec les vins qu’avec les femmes, je demande à Jean-Yves de m’expliquer plus précisément la philosophie du domaine :
« Il y a deux axes de réflexion qui m'ont conduit progressivement à ces méthodes de travail.
- qu'est ce qui est vraiment nécessaire pour faire du vin ?
- que peut-on encore inventer au bout de 6000 ans de fabrication d'un produit ?
La deuxième question résume toute l'histoire de l'art et la réponse est simple : rien. Mais tout est à réinventer en permanence.
La première est une réflexion plus large sur deux notions que l'on confond beaucoup aujourd'hui, à savoir technique et technologie.
La technique correspondrait à un ensemble d'informations, de connaissances, apprises et/ou découvertes, qui permet à un individu de comprendre, d'établir un raisonnement de maîtriser un certain nombre de phénomènes afin de réaliser quelque chose. A un moment intervient peut être l'intuition qui ne serait ici pas autre chose qu'un raisonnement en raccourci. Une technique, c'est l'histoire d'une vie entre l'acquisition, le développement et la transmission. Cet aspect de la transmission est important, puisque dans le cas d’un vin, on parle de tradition. Mais à chaque génération, on repart sur quelque chose de neuf.
La technologie, ce sont des moyens matériels à sa disposition pour y parvenir. On a l'habitude de dire que nous sommes une civilisation technique. Ce qui n'est pas tout à fait vrai : notre particularité est d'être une civilisation technologique.
Je m'explique : par exemple, pour élaborer un bon vin, il faut maîtriser les températures de fermentation. La solution la plus couramment utilisée : l'échangeur thermique. Elle est technologique. La connaissance de la croissance des levures, la libération lente du sucre sont d’autres moyens pour parvenir au même objectif : celle-ci est technique.
Pour le vin j'ai pris le raisonnement inverse : que faut-il pour faire du vin ? Le matériel apporté en cuverie dans les années 70 - 80 apportait des solutions à des problèmes (augmentation des rendements, baisse de la qualité du raisin, augmentation du prix du travail...) en même temps qu'ils en apportaient d'autres. Avec un élément clef des années 70 : la disponibilité à volonté du sulfite.
Chaque outil utilisé pour la résolution d'un problème en générait un autre, résolu généralement par un autre outil... Un peu comme un maçon qui empilerait des briques sans ordre, en installant des étais pour faire tenir le mur. Un mur tient bien quand il est droit.
Une solution véritablement technique consiste à trouver les sources d'un problème (et à le résoudre en amont). La solution la plus simple technologiquement consiste à utiliser un matériel pour pallier le problème.
En remontant de proche en proche, en simplifiant la ligne du mur, en dégustant les vins faits dans les années 70-80, et ceux des années 20-30-40, en lisant les vieux livres, en rétablissant ordonnancement des briques, se dégagent une ligne d'une grande simplicité, qui se libère du superflu et de beaucoup de matériel.
A ce niveau, on rejoint la deuxième question : dans le même temps, la ligne esthétique se modifie considérablement et s'ouvre en un champ de possible infini. Aucune solution technique n'est réellement définitive. Tout est à réinventer. Donc aucun produit ne peut être fixé.
Certains y voient du passéisme et on me reproche parfois de faire du vin d'un autre temps. C'est tout à fait l'opposé : je fais une vin de mon époque, sans nostalgie, et comme pourrait le faire n'importe quel vigneron du XVIIème, du XVIIIème ou du XIXème, s'il vivait aujourd'hui.
La philosophie développée sur le domaine pourrait s’appeler minimaliste : le moins d’intervention possible, le moins d’ajout. Il n’est pas question de trouver une solution palliative à un problème, susceptible d’en générer d’autres, mais bien d’aller à la source du problème, de façon à ce que le cheminement soit toujours le plus droit possible. Y a t-il un moyen d’éviter le soutirage : oui, par l’absence de grosses lies ? Comment éviter les grosses lies ? En ne triturant pas le raisin. Y a t-il un moyen d’éviter la filtration ? En ayant une vendange saine....
Dans le cours de l’histoire du vin, on s’aperçoit que périodiquement l’argument commercial qui ressort pour promouvoir la qualité des vins est l’absence d’ajouts (et de ce côté, les anciens ont été très forts) et de manipulation. Même là, je n’ai rien inventé.»
Le mot de la fin pour l’équipe de vendangeur ! Spéciale dédicace à Marc et la faciale, ainsi qu’au mouvement cinématographique « oh, my God ! ».
La belle équipe incomplète, mais heureuse.
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[size=x-small]Partir, c’est mourir un peu
C’est mourir à ce qu’on aime
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.
C’est toujours le deuil d’un vœu
Le dernier vers d’un poème
Partir, c’est mourir un peu
C’est mourir à ce qu’on aime.
Et l’on part, et c’est un jeu
Et jusqu’à l’adieu suprême
C’est son âme que l’on sème
Que l’on sème à chaque adieu :
Partir, c’est mourir un peu...
Edmond Haraucourt[/size]