Le millésime 2017 par Anne-Marie et Jean-Marc Vincent
Cela fait désormais deux jours que l'on déguste non stop mais il est bien l'idée d'une destination qui requinque nos papilles. Voici un domaine qui a fait l'unanimité au sein de notre groupe en l'espace de 2 millésimes. Et lorsque nous l'évoquons auprès des professionnels de la région, les compliments affluent. "En voilà un vrai vigneron."
Le temps est clair, les températures très agréables en ce 3ème jour de dégustation. Nous arrivons en fin de matinée à Santenay. Un certain nombre d'entre-nous, dont votre serviteur, n'avait pas encore fait la visite des vignes. Anne-Marie Vincent allait donc vite combler ce manque.
- Bonjour,
- Bonjour, il y a quelques visages familiers, d’autres moins. Voulez-vous que je vous emmène faire un tour?
- Bien volontiers.
Nous voilà donc à bord du véhicule de notre hôte pour une visite in situ.
Prendre des photos et des notes tout en étant mobile, n’est pas la chose la plus aisée, notre hôte viendra nous apporter des précisions si elle lit ce compte-rendu.
- Nous plantons une nouvelle vigne Lundi en village sur la parcelle des Prarons. En 2018 nous avons refait une partie des Gravières.
- Allez-vous planter du chardo ou du pinot?
- Ce sera du blanc, en 17 000 pieds de densité, juste en dessous de Gravières. 2018 était notre 21ème vendange. Nous avons commencé en 97 avec une base de 3 ha, des terrains familiaux. Et petits à petits nous nous sommes agrandis pour atteindre 6 ha environ.
- La biodynamie requiert souvent un peu plus de moyen, combien êtes-vous du coup à travailler au domaine?
- Nous n’embauchons que pour les vignes. Et nous sommes 10 en saison.
NDLR: J’échangerai brièvement avec l’un des jeunes employés qui me confirmera qu’il cherchait justement à travailler pour un domaine avec cette pratique. Et que le faire pour Anne-Marie et Jean-Marc était bien une chance. Lorsqu’il retournera dans sa région Bordelaise natale, peut-être souhaitera-t-il travailler pour Pontet Canet, une référence? Jean-Michel, s’il vous arrive de parcourir encore le forum.
- Vous avez peut-être terminé la taille? Le beau temps étant présent depuis quelques temps, la pousse végétative va reprendre.
- En Bourgogne, on tâche de tailler relativement tard en raison des risques de gels. D’ailleurs la zone de risque de froid s’agrandit depuis ces dernières années. Mais oui, c’est fini. Nous le faisons en Guyot Poussard pour alterner et respecter le flux de sève dans les pieds.
Jean-Marc ajoutera plus loin lors de notre visite: "Avec la taille Guyot-Poussard pour faire marcher la vigne sur 2 pieds et pas 1. Le flux de sève est plus important. Ça évite son inversion. Et il y a moins de maladie de bois."
Un équipement spécifique
Nous nous arrêterons ponctuellement sur le bas côté pour apercevoir Jean-Marc auprès de ses vignes mais également pour mieux appréhender la hauteur des piquets. La taille du palissage dénote d'ailleurs avec les parcelles voisines. Il en est de même avec la légèreté de la terre. Elle est grandement aérée.
- Pour limiter le dépérissement il est important de bien tailler et de bien choisir ses porte-greffes.
- Vous avez probablement tout de même des remplaçants.
- Certains pieds datent de 1950. C'est donc plutôt normal. L'ensemble tient néanmoins plutôt bien.
- Avec la sécheresse en cours, vos confrères ont parfois des sols durs à travailler.
- Ce n'est pas trop le cas pour nous. Nos chenillards ne sont pas lourds. Nous avons commencé avec une machine. Elle porte une pulvérisation faite sur mesure. Nous en avons ensuite pris une autre pour le travail des sols dans les rangs et enfin une dernière pour le travail des sols sous les rangs. En général pour les traitements, passer dans 1 rang sur 5 suffit à couvrir l'ensemble.
Des travaux plus conséquents à la vigne
- De mémoire, vous êtes en haute densité.
- Oui, nous atteignons 17 000 pieds à l'hectare.
NDLR: Je vous confirme que c'est serré
- Ca implique autant de travaux en plus dans les rangs du coup?
- Bien entendu. Et cela s'ajoute à nos autres choix. Nous laissons par exemple peu de raisins. L'ébourgeonnage est une étape importante. Nous passons jusqu'à 2 fois.
Et en écho à un échange que nous avions eu en 2018, Anne-Marie Vincent ajoute:
- Depuis l'an passé nous arrêtons de rogner en rouge. Les vignes sont désormais tressées. Il faut 4 à 6 passages pour le palissage. Il se fait au fur et à mesure car nous sommes régulièrement entre les rangs et il faut que tout soit rangé. Aucune branche ne doit dépasser sans quoi elle ne facilite pas les autres tâches. Cela nous amène facilement jusqu'à mi-Juillet. Nous avons également tout l'effeuillage à conduire. Si l'on somme le tout, il faut bien compter 900 heures de travail par hectare.
- Pour compléter ce contrôle du rendement recourez-vous à la vendange en vert?
- Non, aucunement. Nous laissons en général 8 grappes par pied au moment de l'ébourgeonnage. Nous n'intervenons plus ensuite.
- Nos visites chez vos confrères nous indiquent que les labours sont terminés ou en phase de l'être.
- C'est le cas chez nous aussi. Nous allons laisser l'herbe arriver tranquillement maintenant.
- Vous avez déjà fait évoluer plusieurs de vos gestes dans les vignes. Qu'allez-vous changer cette année?
- Jean-Marc pense consacrer du temps affiner l'élevage. Nous allons également replanter Auxey l'an prochain. Passetemps vient d'être planté en blanc et nous mettons des piquets hauts pour Gravité Vieilles Vignes.
Retour sur 2018
- Parlons de 2018, à quelle date avez-vous débuté les vendanges?
- Le 28 Août, avec les blancs.
- Pas trop de dégâts de mildiou?
- Aux mois de Mai et Juin nous n'avions jamais vu une telle poussée dans les Potets. Ça n'a heureusement pas duré plus.
- Il a ensuite fait plutôt chaud, voire très chaud. Les nappes qui s'étaient bien reconstituées en Côte de Nuits ont plutôt bien aidé. En avez-vous également sur le village?
- Une étude géologique a été menée en 2018 à Santenay par Françoise Vannier. Nous en attendons les résultats avec impatience. Nous en saurons ainsi davantage sur la localisation des failles, celle des nappes et les âges de sols différents. Il y aurait des sources d'eau provenant des 3 croix. D'ailleurs des travaux sont en cours pour construire une station thermale. Pour revenir aux vignes, elles n'ont pas trop souffert de la sécheresse dans l'ensemble. Les jeunes plants ont néanmoins été accompagnées. Nous avons du les arroser 3 fois. 5 litres d'eau par pied.
- Comment avez-vous géré en cave la variation de volume sur 2018?
- Nous avons emprunté 1 ou 2 fûts. Après, notre production est plutôt régulière d'une année à l'autre. Nous sommes souvent à un peu moins de 40hl. En 2016, il y a le gel mais pas ce sont surtout Chassagne et Saint-Aubin qui ont été touchés. En 2017, nous ébourgeonnons. En 2018, c'est plutôt une question de maturité phénolique. Elle n'est pas atteinte partout. Dîtes-moi, en parlant de cave, vous ne l'aviez pas visité non plus?
- Non.
- Allez hop. Je vous emmène.
Les travaux en cave
Quelques minutes de voiture et nous y voici.
- Les blancs et les rouges sont réunis au même endroit. Nous intervenons que très peu. Nous surveillons l'évolution de nos vins pour prévenir le développement d'arômes non souhaités. Très peu de bâtonnage, voire aucun. Bien sûr, nous ouillons. Et au bout d'un an, nous soutirons les blancs et les mettons en masse 6 mois. On passe le vin dans des filtres lenticulaires et la mise se fait sur 10 jours environ, selon le calendrier lunaire. Nous avons procédé à quelques adaptations sur notre machine à inerter avant le bouchage. L'étape de la mise est importante, Nous faisons notamment attention à la qualité des bouteilles. Le goulot n'est en effet pas toujours en parfaite adhérence avec le bouchon.
- Avec quels fournisseurs de bouchons travaillez-vous?
- Nous prenons des diam's bio et nous avons 2 fournisseurs de liège.
Et notre hôte poursuit:
- Sur les rouges, le soutirage se fait après les vendanges. Les fûts sont nettoyés à la vapeur avant d'accueillir le nouveau millésime.
- Quelle part de bois neuf utilisez-vous?
- 20% pour les blancs et 40 pour les rouges. Nous tendons à réduire ces proportions. A la fin de l'élevage, pareil que sur les blancs, on filtre.
- Il y a de mémoire de la vendange entière dans vos rouges.
- Entre 40 et 60%.
- Et en terme de fermentation, des levures indigènes?
- Les blancs sont sur des levures indigènes. Les rouges également mais l'on complète occasionnellement avec quelques sélections de l'IVF. Cette année, la malo a duré jusqu'à la Toussaint.
La dégustation du millésime 2017
Ce n'est pas tout, mais toutes ces explications nous ont donné soif
. Nous retournons au caveau de dégustation pour la partie liquide de la visite
Les verres sont apprêtés et les bouteilles déjà ouvertes.
Bourgogne blanc
"La bouteille a été ouverte avant-hier."
Un vin plein de matière déjà. Des aspérités calcaires qui lui confèrent une accroche. Un équilibre gustatif à mi-chemin en la tension nuancée sur les agrumes mûrs et l'amertume de la peau de fruits à chair blanche.
AB+
Auxey-Duresses Les Hautés
- C'est le vin que tout le monde nous demande.
- Je comprends tout à fait pourquoi
- On aimerait bien en avoir plus mais ce n'est pas possible. Et puis il y a nos autres appellations aussi, reprend Anne-Marie.
- A la limite, tant mieux, cela en laisse pour les amateurs comme nous
Le volume et la géométrie sont immédiatement dicibles. Le vin s'étire en ampleur verticale. C'est droit avec une sacré consistance. La qualité de ce village ici se confirme chaque année.
TB.
La mi-journée est déjà dépassée. Jean-Marc, que nous avions aperçu dans ses parcelles, nous rejoint.
Santenay 1er cru Beaurepaire
"Celui-là n'est pas filtré ni collé. Il reste quelques légères suspensions. Ce sont des colloïdes issus de la peau de raisin. En vieillissant, le vin prend le goût. Rien de déviant néanmoins. Pour le visuel, heureusement que c'est la mode des vins natures.
"
La matière est moins rocailleuse, un peu plus charnue. C'est assez mûr, sur la pêche blanche juteuse et le kumquat. Quelques notes salines apportent de la complexité en fin de bouche.
TB-
Le choix du soufre naturel
- En terme de protection du vin, à quelle dose de soufre aboutissez-vous en bouteille ?
- 60 total sur les blancs. J'utilise du soufre de volcan ou de mine. Avec 2 copains, on partage une machine pour le dissoudre en liquide. Le soufre est ainsi plus pur. Ca barbote dans l'eau. A 5% l'odeur est très forte et nette mais ça n'a rien à voir avec une odeur d'oeuf pourri.
- Pourquoi ce choix?
- Parce que le SO2 ne doit servir qu'à la gestion du risque d'oxydation. Le soufre issu du pétrole ferme les vins. Il les durcit. Le soufre de mine ne marque absolument pas les rouges. Ca n'a pas d'effet négatif. Sur les blancs, il y a une légère réduction.
Santenay 1er cru Beaurepaire
"Ouvert ce matin."
Des fruits parfaitement mûrs. Une ossature droite sur laquelle s'appuie de la cerise en confiture. Quelques tanins perceptibles.
B+/TB-
- J'ai croisé vos vins dans un nombre grandissant d'établissements parisiens et de cavistes.
- On le doit aux critiques. Il y a eu le Wine advocate. Et je suis surtout reconnaissant envers Michel Bettane. Il a cru en nous dès 2003. C'est un sacré dégustateur.
- Nous avons évoqué avec votre épouse la lutte contre les maladies au Printemps 2018. Cela n'a pas dû être facile pour vous.
- Le traitement des maladies au cuivre n'est probablement pas bon à terme mais pour le moment, faute de mieux, on fait avec. Je lis régulièrement les articles sur le sujet. Il y a des tests avec des extraits de mélèse ou de sarments de vignes. Avec un bon réseau de recherche appliquée on devrait pouvoir aboutir à trouver des alternatives.
Santenay 1er cru Gravières
"Bouteille ouverte hier soir."
La grappe entière se goûte par petites touches. La texture et l'épaisseur répondent présents. L'ensemble est mûr, dense et un peu salin.
TB
- Nous terminons à 45hl de moyenne sur les blancs; 37 à 40 sur les rouges. Nous avons enlevé beaucoup de raisins avant la fleur.
- Sur un millésime chaud, avez-vous changé ou corrigé des choses?
- Nous nous sommes vite orientés vers des vendanges un peu plus précoces pour conserver de l'acidité et de la fraîcheur. On récolte 2 jours plus tôt qu'initialement prévu.
Santenay Gravité
Le toucher est soyeux, le socle est frais et le coeur est concentré. La seconde gorgée laisse apparaître quelques tanins d'une vendange entière bien intégrée. L'ensemble porte des notes de mûre et de violette. C'est plein et fluide.
TB/TB+
Comme déjà évoqué en introduction, il est bien une découverte que l'on ne regrette pas: celle des vins d'Anne-Marie et Jean-Marc Vincent mais plus encore celle de leurs géniteurs. Leur immense gentillesse, leurs ambitieuses convictions et leur pétillance à tout épreuve ne sont probablement pas étrangers à la qualité de leur production. 2017 présente un surcroît de maturité qui sied bien à l'ensemble de la gamme. A encaver sans l'ombre d'un doute.