Jan,
C'est aussi le fait que l'évolution des années dites moyennes ou petites va toujours vers du positif.
Tous ceux qui boivent aujourd'hui des 1994 sont surpris qu'ils soient meilleurs que l'image qu'ils en avaient.
Et ça vaut pour beaucoup de ces millésimes.
Il fut une époque où, ayant peu de moyens, j'achetais des grands vins dans les petites années. Et j'étais surpris de voir que par rapport à la réputation des millésimes, il y avait le plus souvent d'excellentes surprises.
Exemples : Cos d'Estournel 1977 (eh oui !!!), Haut-Brion 1972 et 1973, etc...
A une époque j'ai acheté des Haut-Brion 1984 à moins de 100 F et chaque fois qu'on en ouvrait une, c'était une bonne surprise.
Idem pour des 1/2 Lafite 1969 achetés pour mon fils, chaque fois, bonne surprise.
Donc l'évolution du Pichon Comtesse 1979 n'est pas surprenante.
Par curiosité j'ai regardé quelques comptes-rendus de bordeaux rouges de 1979. Voici ce que ça donne. Alors, comme je vais me faire flinguer, je demande à Luc et son fan club de ne pas lire ce qui suit qui n'intéressera que ceux qui ont envie de lire ce que des 1979 ont donné. C'est très variable :
Le Château Ausone 1979 est le premier Ausone du fêté de quarante ans. Je lui explique donc avant que le vin ne soit servi ce qu’il y a de subtil en Ausone, qui nécessite une grande humilité d’approche. Car ce vin de grand ésotérisme ne se livre pas comme cela. Comme pour me faire mentir, ce 1979 est d’une facilité d’approche rare, et constitue une brillante image de la beauté spécifique d’Ausone.
Le Cheval Blanc 1979 est élégant, plutôt fort en alcool. Un peu strict aussi. On pourrait dire que c’est un Cheval Blanc classique mais resserré.
Mission Haut-Brion 1979. Année variable mais grand vin. Très grande complexité : de ces vins difficiles à comprendre, mais qui révèlent d’énormes potentialités.
Le foie gras allait accueillir un bien plus classique Mission Haut-Brion 1979. Ouvert tardivement, il est apparu assez coincé, tant au nez qu’au palais. Très lentement on a vu renaître les qualités intrinsèques de ce grand vin. Il est fortement charpenté, il a la structure d’un vin de race, avec une profondeur de grand cru. Mais un coté un peu grenier, un peu poussiéreux a empêché d’en profiter comme on sentait qu’on aurait pu le faire. Il est évident que quelques heures d’ouverture de plus l’auraient libéré, mais j’ai résisté à la tentation de carafer, ce qui n’aurait sans doute pas apporté de meilleur résultat. On reconnaissait le champion, mais on n’avait pas un vainqueur.
Lafite-Rothschild 1979 en magnum, servi un peu frais et d’une année plus austère, on reconnaît Lafite, mais un Lafite discret.
Château Le Bon Pasteur 1979 : la robe est plus noire mais on trouve aussi des signes d’âge. Le nez est plus serré et fort. Il est moins expansif, plus amer, mais c’est un grand vin au beau final, même s’il manque de fruit.
Le ris de veau d’une chair, d’une densité, d’une expressivité sans pareilles accueille deux vins, le Château Mouton-Rothschild 1979 et L’Angélus, Saint-Emilion 1959. Et immédiatement, à la première bouchée et la première gorgée de chaque vin, on se sent bien, étonnamment rassuré. C’est comme ces publicités pour des marques de matelas qui imagent leur élasticité par des sauts de trampolines. On est dans un confort pullman, on a des saveurs qui sont toutes lisibles. Les bordeaux sont de grands garçons bien élevés. Ils nous font le baisemain. L’Angélus est tellement époustouflant, balayant d’un revers de main les craintes de l’ouverture, que l’on aurait du mal à imaginer bordeaux plus sensuel que cela. C’est rond, chaleureux, séduisant, emplissant la bouche comme la couronne de frangipaniers orne le cou des vahinés. Alors, le Mouton parait plus strict, plus linéaire lors du premier contact. Mais le Mouton étend son charme et le charme agit. C’est un Mouton d’une année faible, mais ici d’une subtilité appréciable. Et l’Angélus est immense de la première à la dernière goutte.
Par une chance qui n’arrive qu’à ceux qui la méritent, le Léoville Las Cases 1979 se présente avec une qualité inimaginable pour son année. Charnu, joyeux, il rit sur un chevreuil délicieux. Ce vin a une densité que je n’attendais pas. Tant mieux. En revanche, le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1979, dont on devine toute la subtilité de sa création, joue un peu à contrecœur. Ce n’est pas le flamboyant que l’on attendrait. Mais c’est évidemment un très grand vin. Et là aussi les deux régions se boudent, alors que le plat voudrait les réconcilier.
Merci à mon ami de m'avoir fait goûter ces deux vins (Meerlust Rubicon 1998 cabernet sauvignon, franc et merlot et Toren Fusion Five 2001 Stellenbosch 14°5), car ils montrèrent avec une magistrale évidence combien Pétrus 1979 est grand. J'avais demandé un cabillaud sur ce Pétrus. La chair fut un extraordinaire faire valoir. Si les circonstances de dégustation ont un sens, le fait d'avoir bu des vins courts et sans personnalité (je suis cruel mais il faut savoir dire non à ces vins excessifs) faisait briller ce Pétrus qui nous apparut d'une qualité extrême. Sophistication, belle complexité, charme, velouté, longueur, tout y était. Un magnifique Pétrus porteur de toutes les qualités. Ce n'est que dans la lie que j'ai retrouvé les caractéristiques de l'année un peu courte, alors que le vin paradait auparavant à un niveau de première grandeur. Grandissime Pétrus.
Sur le magistral turbot à la moelle, le Château La Gaffelière Naudes 1962 est accompagné d’un Vieux Château Certan 1979. Un convive accorde une accolade au Vieux Château Certan mais nous sommes plusieurs à vibrer beaucoup plus au Château La Gaffelière. Ce 1962 au nez d’une séduction extrême est invraisemblablement canaille. A l’aveugle on dirait un bourgogne tant le charme animal s’étale érotiquement. J’hésite un peu, mais j’aurais volontiers tendance à dire que j’ai préféré ce 1962 sauvage au 1961 plus orthodoxe que j’ai bu au château avec ses propriétaires. Le Vieux Château Certan, d’une belle définition est quand même un peu trop austère, ascétique, pour emporter les suffrages.