Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de déguster dix millésimes d'Yquem, je n'aurais donc loupé pour rien au monde cette soirée organisée par Eric Boschman, qui est déjà la quatrième à laquelle je participe après l'horizontale des TBA 1998 de Kracher, la verticale de Musar et la verticale de VDN du Domaine Puyg Parahy. Cela me fait penser que je dois encore faire le CR de ces trois première soirées...
Mais revenons-en à nos moutons, à savoir Yquem. J'avais déjà eu l'occasion, avant même que mon amour du vin se transforme en passion, de goûter le 1989 dans sa prime jeunesse et j'en avais gardé un souvenir ému. C'était mon premier Yquem (il n'y en a pas eu beaucoup d'autres après), celui de la découverte, et peut-être un des moteurs de ma future passion.
J’étais donc tout excité à l’idée de mesurer avec plus d’exactitude la hauteur du mythe que représente indéniablement ce cru, sans doute le plus célèbre au monde.
Dix millésimes étaient prévus au départ, 1970, 1988, 1989, 1990, 1991, 1993, 1995, 1997, 1998 et 2001, complétés pas une bouteille de Fargues 1985 (amenée par Thierry Gobillon, présent lui aussi à cette soirée) et une bouteille mystérieuse, sans étiquette, avec un bouchon sur lequel on peut lire Château d’Yquem 1966, mais qui n’est pas le bouchon classique du Château. Il est probable que ce soit un faux.
Les vins ne sont pas carafés, et sont tous servis simultanément dans un ordre chronologique.
Leur évolution dans le verre sera donc suivie pendant un long moment.
Château de Fargues 1985 - ****
Une belle mise en bouche que ce Fargues 1985, avec son nez marqué par l’abricot sec, le miel d’acacia, des notes encaustiques, un peu de volatile et qui évoluera au fil du temps vers un côté plus oxydatif. En bouche, la liqueur n’est pas imposante, le style se fait plutôt léger, bien équilibré et long. J’aime bien, mais il faut prendre garde à ne pas trop l’aérer car il semble un peu fragile.
Château d’Yquem 1970 - **(*)
Pas vraiment net au nez, je suspecte un léger problème de bouchon, mais mes voisins ne semblent pas convaincus. Il évolue ensuite vers des notes oxydatives qui démontrent sa fragilité. En bouche, il ne se montre guère plus convainquant, avec une sucrosité en retrait, un caractère un peu mou et une longueur moyenne. Bof…
Château d’Yquem 1988 - ****(*)
Le nez me semble plus aérien et plus net que le précédent, sur l’abricot sec, de belles notes florales et un caractère épicé évoquant le safran. En bouche, la liqueur est plus imposante mais la fraîcheur ne fait pas défaut, équilibrant ce bel ensemble tout au long de la finale qui s’étire tout en finesse et en longueur. Très bien voire plus.
Château d’Yquem 1989 - ****(*)
Nez très marqué par le botrytis, avec un magnifique rôti, des notes de fruits secs, abricot, raisin de Corinthe, pruneau, figue, avec peut-être une petite sensation alcooleuse. En bouche, il semble cependant bien équilibré malgré sa grande richesse et finit longuement sur les arômes déjà perçus au nez. Difficile pour moi, à ce stade de dire lequel, du 1988 ou du 1989, je préfère.
Château d’Yquem 1990 - *****
Très beau nez qui donne une impression de fondu, où rien ne dépasse, reprenant les arômes des deux précédents auxquels s’ajoutent des notes d’écorce d’orange du plus bel effet. C’est en bouche que sa supériorité est manifeste, tant l’équilibre et la longueur me semblent ici superlatifs et toucher à la perfection. Mon préféré de la soirée.
Château d’Yquem 1991 - ***
Le nez ne me semble ici pas aussi noble que pour les trois vins précédents, avec des notes iodées qui viennent quelque peu gâcher le plaisir. En bouche, la comparaison avec le précédent est cruelle, et même si l’équilibre est là, l’ensemble semble se situer sur un mode relativement mineur. Une déception.
Château d’Yquem 1993 - **(*)
Bis repetitam… Le nez me semble encore plus iodé que celui du précédent, caractère qui me semble rédhibitoire pour un vin de ce calibre. En bouche, il semble lourd, pâteux et court, ce qui n’arrange pas son affaire. A oublier.
Château d’Yquem 1995 - ***(*)
La mauvaise série s’arrête ici avec un nez qui semble beaucoup plus net sur des notes d’ananas, de fleurs blanches, de miel, de pâte d’amandes. En bouche, il se montre particulièrement riche, opulent, avec un équilibre sur le fil du rasoir, et une très belle longueur. Dès que la température se réchauffe, il a malheureusement tendance à pêcher par un côté un peu lourd et pataud.
Château d’Yquem 1997 - ****(*)
Très beau nez, encore un peu marqué par l’élevage avec des notes de caramel et de vanille, cependant dominées par le fruité confit des beaux millésimes. J’ai beaucoup aimé l’équilibre en bouche, qui n’a pas failli au réchauffement, contrairement au 1995, malgré la grande richesse et la réputation de faible acidité du millésime, que je n’ai pas ressenti ici. Très beau, pas loin de l’exceptionnel.
Château d’Yquem 1998 - ****
Le nez est flatteur, encore marqué par l’élevage, avec de belles notes épicées qui soulignent le fruité confit et le caractère floral du cru. En bouche, la richesse est imposante, peut-être même un peu trop pour que l’acidité, qui me semble ici limite, puisse parfaitement équilibrer l’ensemble. La grande longueur ne parvient pas à faire oublier ce petit sentiment d’inachevé au niveau de l’équilibre, même s’il faut reconnaître qu’il s’agit d’un très bon vin.
Château d’Yquem 2001 - ****(*)
Le nez semble à ce stade très fermé, presque muet, ne délivrant ses arômes qu’après une longue aération, sur des notes d’ananas et de crème pâtissière. Il ne me semble pas très complexe en l’état, mais ça viendra, je n’en doute pas. La bouche, par contre, me semble sublime et être la seule qui puisse rivaliser avec celle du 1990 en terme d’équilibre et de longueur, tant l’acidité est ici largement suffisante pour compenser la grande richesse du millésime. Cueilli dans une phase austère, ce vin se révèlera certainement à un niveau d’excellence quand le temps aura fait son œuvre.
Au final, je suis ressorti de cette soirée avec un sentiment mitigé. Certes, il y avait bien quelques très belles bouteilles, voire même quelques grands vins, mais le niveau global était clairement en dessous de ce que j’attendais, et il semble que ce sentiment était largement partagé autour de la table. Trop de vins un peu lourds, qui manquent de digestibilité, surtout en comparaison avec la dégustation récente, dans le même cadre, des TBA 1998 d’Aloïs Kracher, à mon sens d’un niveau bien supérieur encore. J’espère ne pas commettre un nouveau crime de lèse-majesté en faisant part de cette relative déception, mais mes impressions sont ce qu’elles sont. J’espère que Thierry Gobillon viendra également nous donner ses impressions, lui qui est un véritable spécialiste de la région, et pourquoi pas Eric Boschman.
Luc