Château Mouton Rothschild, dégustation Caves Legrand à Paris, mardi 16 octobre 2018.
Les vins sont présentés par
Hervé Gouin, directeur commercial du domaine et le dîner élaboré par
Lucie Boursier-Mougenot, Chef de cuisine aux caves Legrand.
Cette soirée est l'occasion de déguster les différents vins des domaines. Evocation des noms de parcelles dans la tradition cadastrale, véritable "patchwork". L'une des nombreuses parcelles : "les reculettes". Evocation du millésime présent (2018), vendanges exceptionnelles, qualité du cabernet sauvignon, C'est le contraste thermique jour/nuit qui assure la qualité du fruit, la fraîcheur nocturne déterminante.
Importance de Philippe de Rothschild qui détient et porte le domaine au sommet. La branche anglaise de la famille Rothschild, depuis Mayer Amschel, en passant par Nathaniel (qui acquiert le domaine en 1853) et ses cinq fils (trois branches de la famille hors vin; la branche James qui dirige Lafite et partage avec la branche Philippe un négoce de vin de Champagne). Trois châteaux en Médoc; Opus One, Napa Valley en Californie; Almaviva au Chili.
Volonté précurseuse d'une mise en bouteille au château. A l'origine, la vente se faisait sur barriques (ou sur pieds en cas de mauvaise récolte ou temps troublés), une quarantaine de négociants effectuaient la mise dans les entrepôts des Chartrons et envoyaient les barriques au Royaume-Uni et dans le monde entier. Chai 1920 réalisé par Charles Sigli permet de faire la mise des mille barriques directement au château. Jean Carlu conçoit les premières étiquettes (1924) qui assurent la signature du domaine. En 1945 c'est Philippe Jullian, des proches de Philippe de Rothschild, Marie Laurencin, Jean Cocteau. Et cela devient une habitude d'affichage éclectique avec Georges Braque, Vassily Kandinsky, Joan Mirò, Marc Chagall. Le domaine est aussi musée pour les peintures originales d'Anton Tapiès, Jeff Koons,...
Tartelette au foie-gras, poire crue, citron caviar et poivre Tchuli.
Aile d'Argent 2015.
Robe or lumineuse claire. Nez d'agrumes en finesse, en bouche c'est citronné, au réchauffement citron confit, notes d'orangette. L'acidité est mesurée, équilibre très sûr.
Aile d'Argent 2015 (55%Sauvignon, 43%Semillon, 2%Muscadelle).
"Pour faire simple c'est un Mouton Rothschild blanc". 6ha (en six parcelles) pour 20à24000 bouteilles par an. Style bourguignon pour les notes beurre brioche, rondeur au vieillissement, richesse et acidité. Qualité du millésime 2015 tant en blanc qu'en rouge. Le nom vient d'un conte pour enfant 'Aile d'Argent et la théière magique' (publié aux éditions Delmas) que Philippe racontait à sa fille Philippine. Cette dernière est à l'origine du musée, du chai actuel ainsi que des cuvées Aile d'Argent et Petit Mouton.
Suivant les millésimes, Aile d'Argent offre un fruité tropical exotique (2012, 2014) ou pamplemousse, agrumes (2011, 2013, 2015).
Paleron de boeuf mi-cuit et sa moelle, ail noir et chips de Cécina.
Château d'Armailhac 2012.
Château Clerc Milon 2011.
Petit Mouton Rothschild 2010.
La robe est rouge violacée. Au nez du corps, fruits noirs, boisé torréfié. En bouche on retrouve tout cela dans ce
Château d'Armailhac 2012, presque café, toutefois c'est une jeunesse surtout caractérisée par une attaque soyeuse, délicatesse et douceur du fruit, de la structure aussi. Croupes de grave qualitatives. "Chaleureux". Une identité de cabernet franc (57 CS, 23 M, 17 CF, 2 PV). Aptitude à garde de vingt ans.
Clerc Milon, château restructuré dans les années 1970, une rénovation poursuivie dans les années 2010, à l'origine le rachat d'un voisin en face de Lafite, un château enserré par deux autres crus classés. 17ha, extension à 40ha pour restituer un ensemble morcelé de succession. Une dimension d'exploitation encore aisée à maîtriser, panneaux photovoltaïques, haies d'oiseaux, etc. Winery "laboratoire green process". Avant tout un bon terroir, froid, exposé Nord-Est, vin tannique, plus de sévérité. Une moitié de graves profondes (identique à Lafite) plantée de cabernet sauvignon, en déclinaison vers la Gironde. Une moitié argile-calcaire (identique à certains bons libournais) plantée de merlot. L'étiquette célèbre la danse, deux bouffons de commedia dell'arte, parure d'Allemagne XVIIeme s., collection Catherine II de Russie.
Château Clerc Milon 2011. La robe est rouge-rose violacée (plus claire que le precedent, ce qui pour un vin plus tannique est un paradoxe). "Structuré" (54 CS, 37 M, 7 CF, 1 PV, 1 C). 2011 est un millésime classique, austère, sérieux. ìl commence à s'ouvrir, "à attendre 3 ou 4 ans". Au nez Armailhac est supérieur à Clerc Milon, tandis qu'en bouche Clerc Milon est supérieur à Armailhac. Si cela se vérifie souvent, c'est possiblement l'inverse pour le millésime 2017, et pour cette soirée de dégustation douceur, crémeux et fruité de Clerc Milon ne lui donnent pas (encore, c'est à venir, à moins que le caractère vendanges d'octobre du 2012 prime avant tout) l'avantage. Je regrette de ne pas avoir demandé un septième verre pour goûter ce vin jusqu'à la fin de la soirée, notamment en contraste avec son illustre voisin des séries suivantes qui semblait tellement le surclasser que j'ai renoncé et passé le fond au crachoir.
Absence de second vin, c'est finalement une initiative de Philippine avec l'ambition d'en faire "le second vin de Mouton Rothschild".
Petit Mouton Rothschild 2010. (68 CS, 24 M, 8 CF). Robe rouge grenat, de l'éclat. Nez fruits noirs, fruits rouges. En bouche de la suavité, beau fruit maîtrisé, équilibré, de l'acidité dans la trame, souplesse, avant tout croquant. L'élevage s'accorde parfaitement au fruit, du crémeux, vanille en finesse. "Cabernet sauvignon d'opéra. Style riche, joyeux, exubérant." Un potentiel de vieillissement de 10 à 15 ans, un cœur de jus de cassis.
64 cuves à Mouton et triple sélection : 1) une première (ce qui ne sera pas vinifié de la vendange), 2) une deuxième sélection, le quart (environ, souvent les mêmes parcelles) de la récolte pour le Petit Mouton, 3) une troisième sélection pour ce qui n'est finalement pas retenu pour les assemblages de Mouton Rothschild et Petit Mouton (en vrac au négoce).
Les parcelles retenues pour Petit Mouton sont souvent de jeunes vignes (15 _ y'a une décimale en trop si c'est bien de vin dont on cause là _ à 17 ans) mais pas systématiquement. Pas d'automatismes, à chaque millésime, jugé sur pièce après fermentation malolactique. 54 cuves en bois pour la fermentation, 20 cuves inox pour les assemblages et essais. Avantages et inconvénients de tous matériaux (béton compris). A Mouton, expertise et tradition qui privilégient le bois. La magie du vin échappe à l'analyse scientifique. Cette dernière oriente, mais c'est le résultat du goût qui s'impose. Importance de la tradition dans l'excellence. Depuis sa création au début des années 1990, Petit Mouton se veut "fruit de la 1ere sélection". C'est avec ce vin que Hervé Gouin peut fièrement lutter commercialement, gagner la reconnaissance du succès d'un premier éprouvé, rivaliser sérieusement avec carruades et pavillon rouge. On en plaisante en feignant souffrir de pouvoir prononcer ces noms. Et le pragmatisme chinois qui boit aussi Armailhac et Clerc Milon en justifiant le prix au nombre de petits bonhommes (un Bacchus moins onéreux que deux bouffons dansants). Affaire de magot! L'étiquette Art déco est reprise d'une étiquette d'origine de 1924, succès actuel de ces raisins rouges stylisés. Je reviens au verre tout au long du repas, plus acide au réchauffement mais conserve une (très très) belle souplesse. La température de service est parfaite (légèrement rafraîchi), régal avec la moelle de bœuf fondante, ce vin est un délice croquant du meilleur goût.
Filet de rouget à la flamme, jus bourguignon et blettes déglacées.
Château Mouton Rothschild 2009.
Château Mouton Rothschild 2006.
Hervé Gouin nous engage maintenant à goûter le millésime 2009 et prendre la qualité du fruit de ce millésime comme référence et mètre-étalon de notre série de vins dégustés.
Château Mouton Rothschild 2009. (88 CS, 12 M). Robe colorée et dense. Parenté au nez du precedent Petit Mouton, l'élevage fruité et vanillé, de la noblesse, boisé, la fraîcheur d'un trait herbacé, corpulent sur les fruits noirs. Ce vin est "promesse". A Mouton Rothschild un vin de référence, comme pour le millésime 2005, 2009 est tout sur le fruit en harmonie avec la nature. La plénitude d'un cabernet sauvignon à qui la part belle est faite dans l'assemblage.
Château Mouton Rothschild 2006. (88 CS, 12 M). Servi simultanément ces vins révèlent au delà de leur puissance suffisamment de finesse pour bien s'accorder à la chair du rouget. Le nez n'est pas en reste du précédent vin. En bouche moins de fruit, plus de force, structure, tannique, le tout de grandes qualités. Et pour le 'moins', le toucher de bouche est magnifique, en comparaison avec Clerc Milon 2011 je ressens la nouvelle dimension que ces vins incarnent. 2006 c'est une réussite particulière à Mouton, une finesse des tanins (sécheresse climatique du millésime), un vin caractérisé par l'"élégance".
Cane mi-sauvage, filet et cuisse rôtie, champignons de saison et jus aux cerises.
Château Mouton Rothschild 1998.
Château Mouton Rothschild 1990.
Château Mouton Rothschild 1986.
Le plat très canard pékinois est dressé à l'occidentale, la peau croustillante avec garniture et sauce, magistral.
Château Mouton Rothschild 1998 (86 CS, 12 M, 2 CF). La robe est grenat à peine plus orangée. Le nez fruité et viandé. En bouche tout en souplesse et suavité. Un beau volume en bouche, la séduction du fruit aussi. Un vin caractérisé par sa "fraîcheur". On évoque pour ce millésime une éternelle jeunesse, pas de carafage toutefois, préserver la minéralité et la tension . Des vendanges avant pleine maturité (pour ramasser avant les pluies) ce qui assure la caractéristique maîtresse précitée.
Château Mouton Rothschild 1990 (81 CS, 10 CF, 9 M). Belle robe grenat sombre. Nez bois précieux, tabac noble. Fruits rouges. Après le nez c'est en bouche que le fruit s'affirme, éclatant. "Structure légère, finesse, noblesse, cerise burlat, cerise griotte, cuir noble. Texture extraordinaire." Finesse, élégance, sophistication pour un millésime au climat chaud et sec (la plaquette éditée pour l'occasion : "1990 est un millésime d'exception, tant en quantité qu'en qualité. Il est également le deuxième millésime le plus chaud du siècle après 1947, et le plus ensoleillé après 1949. L'hiver bordelais, chaud et sec, donne le ton. Le potentiel de récolte est exceptionnel et les vins magnifiques." Eh ben cette bouteille aussi!). Si la puissance est moindre, la délicatesse est probante (et l'équilibre supérieur, comparé à 2006, par exemple). On parle de goût anglais, de parallèle avec la Bourgogne. On évoque le millésime 1988 avec une sève et des notes de bois de cèdre ("cedar wood"). Après Petit Mouton 2010, c'est bien ce Mouton Rothschild 1990 qui secoue, pas seulement persuadé par ce qui est écrit sur la brochure et ce que dit Hervé Gouin, la vérité du vin au verre (j'en reprendrai une dernière larme en clôture de soirée qui n'ira quand même pas jusqu'à dépasser mon impression initiale), très positivement impressionné par la symbiose du fruit avec un tertiaire moins consensuel. Comme si rien de la gourmandise fruitée n'était altéré par les marqueurs cuir, fourrure, renard, lardé fumé. C'est du très bon.
Château Mouton Rothschild 1986 (86 CS, 12 M, 2 CF). Robe rouge à l'évolution toujours modérée. Du corps, de la puissance, du fruit au nez. Du volume en bouche, de la longueur. Qualitativement solide, fraîcheur et acidité incroyables pour un vin de cet âge. Simplicité tannique, "puissant, tannique". Hervé Gouin évoque un Mouton Rothschild 1966 récemment goûté avec bonheur. Les tanins des "pauillac du nord", l'excellence et la longévité de ces vins. Le tertiaire animal du 1990 et 1998 sont présents dès la vendange et à tous les stades de la vie du vin mais se développent sensiblement après une décennie de garde. Parenté de cette caractéristique pour le millésime 1999. Hervé Gouin parle de millésimes "méconnus", souvent chronologiquement successif après des millésimes plus cotés, avec l'exemple de 1962 (après 1961). Pour en revenir à 1986, grand millésime, 100ptsRP, des tanins. Le plus important, aérer très longuement la bouteille pour l'apprécier, ou décanteur indispensable. Mais au-delà de réussites ponctuelles dans l'exception "c'est toujours le même type de vin", et des caractères marqués, non seulement par les millésimes mais aussi beaucoup par les hommes. Et les femmes, elles seules à même d'assurer l'excellence, dans les vicissitudes du temps, si on songe au mythique millésime 1945 (et 1946 sans plus d'homme à la direction effective du domaine) offert(s) après plusieurs années d'un vignoble malmené. Depuis 2004 c'est Philippe Dhalluin qui révèle la permanence du terroir avec la volonté d'une sélection accrue, la réalisation d'un vin concentré, régulier, précis. L'attention portée à la date des vendanges et à la sélection des raisins.
Réponse compliquée, malgré tout une primauté du terroir. L'inquiétude porte sur l'évolution du climat, la nécessité de garder de la fraîcheur. L'atout d'un climat océanien, la fraîcheur nocturne atlantique, l'humidité de la proximité avec l'estuaire de la Gironde, ce qui tempère les chaleurs estivales.
On évoque le plaisir des étiquettes, la réalisation d'une œuvre originale (collectée et donc visible au musée du domaine), un choix toujours amical né d'une rencontre fructueuse renouvelée chaque année pour illustrer le vin millésime après millésime. Hervé Gouin commente notre belle série que nous pouvons aussi admirer de nos yeux : _ 2009
Anish Kapoor, la complication de reproduire la force colorée rouge sur noir de son œuvre sur une étiquette de vin (c'est aussi une forme d'exigence et de réussite); _ 2006
Lucian Freud, "personnage compliqué" (qui pourrait dire le contraire pour une parenté aussi remuante et fondamentale), visiblement plus à l'aise pour ce support que pour tirer le portrait à l'ancienne de la souveraine régnante, un palmier (?), un équidé marqué, le coin de la figuration tridimensionnelle d'une pièce portraiturante d'atelier (ouf); _ 1998
Rufino Tamayo "beau soleil" on souligne qu'il y a souvent beaucoup d'artistes du Sud choisis par Philippine, pourtant marché mineur, liberté des étiquettes qui ne doivent pas nécessairement plaire à tout prix (à moâ c'est des quatre ma préférée); _ 1990
Francis Bacon "forte personnalité" qui surprit le domaine en quittant Londres et son atelier sans prévenir au dernier cheveu du délai, livrer son œuvre emballée à la diable en sonnant à la porte du château. A posteriori je réalise être passé sans voir à côté des masques et de la lune par
Bernard Séjourné figuré sur le cinquième millésime apprécié. Hanté joyeusement _ 1986. Aujourd'hui c'est Julien de Rothschild qui perpétue ce "choix de l'artiste familial" toujours sur le mode de l'échange une œuvre d'art reproductible sur étiquette / caisse(s) de bouteilles du même. Bien vu, bien bu!
Tomme de chèvre affinée de la Maison Cheese et condiment orange.
Château Coutet 2009.
"Millésime riche", "droit, franc" qui apporte de la précision au fruit.
Château Coutet 2009 (75%Sémillon, 23%Sauvignon, 2%Muscadelle). La robe est jaune, dense, à peine orangée. Nez pamplemousse jaune, des agrumes. En bouche aussi, et du gras, frangipane, amandes. Une gourmandise de brioche aux agrumes confits. Volonté de réaliser un Sauternes ultra moderne, avec de la douceur mais aussi de la tension. Adapté au goût d'aujourd'hui (qui délaisse trop injustement ces vins), pour échapper au foie gras dessert, servir à 10° à l'apéritif, les verres froids si nécessaire. C'est Barsac, des sols calcaires, une minéralité, fraîcheur, acidité, tension. Une "œuvre d'art" qui génère parfois jusqu'à dix passages de tries minutieuses dans les vignes. Un rendement moyen de 14 hl/ha (à comparer aux 40 des rouges de Pauillac). Un vin de "vie éternelle" qui plus est. Un fruit "citron". La famille Baly produit ce vin qui est distribué en partenariat avec Baron Philippe de Rothschild. (Et ça rappelle à mon bon souvenir Yquem plus qu'un peu).
Ce dîner merveilleux était bien animé par les échanges d'Hervé Gouin et Gerard Sibourd Baudry qui connaissent si bien ces vins. Et la plainte facétieuse de l'un qui reprochait à l'autre, pour une fois n'est pas coutume?, d'être servi plutôt chichement (qui trop se laisse entraîner à discourir, mal étanche sa soif). Comme beaucoup de belles choses à mériter, le temps manque logiquement pour pouvoir les apprécier. Bien des pensées, la marée renversante de Pauillac qui vous expédie aussi bien dans les brisants de Cordouan qu'au port de la Lune, la Colchide et sa toison d'or pour un prochain périple habitant les songes.
Merci aux caves Legrand d'avoir organisé cet événement avec l'intelligence du choix proposé et le sérieux du service des vins de Mouton Rothschild, premier grand cru classé.