Bonjour,
Si je puis me permettre de donner mon avis, celui d'un amateur sans prétention, la dichotomie entre bons et mauvais millésimes est simpliste, de même que celle, un peu différente, entre grands et petits millésimes. C'est plus, à mon sens, une distinctions destinée à figurer sur les "côtes" des millésimes qu'on trouve un peu partout qu'à éclairer l'amateur.
En effet, les critères de la "bonté" ou de la grandeur d'un millésime ont une histoire (ils ne sont pas gravés dans l'ordre immuable des choses) et correspondent à des usages/fonctions qui peuvent varier et, surtout, ne pas toujours parfaitement se rejoindre, notamment la garde, l'homogénéité et la qualité.
i) Le potentiel de garde
Classiquement, du moins en Bordeaux, un "grand" millésime associe la longue garde à certaines qualités physiologiques et gustatives du raison/vin. Certes, cette garde admet différentes interprétations, comme le montre le fait qu'aujourd'hui (disons depuis 1982), le degré d'acidité est moins valorisé et la maturité phénologique davantage - pardonnez ces raccourcis : je ne suis ni œnologue ni historien du vin. Mais il demeure que, dans la plupart des esprits, la grandeur est associée au potentiel de garde. Or, à bien considérer les choses, cette logique se défend, les grands vins profitant de la maturité apportée par le long vieillissement, mais elle n'est pas nécessairement implacable. Outre que nous connaissons des "grands" millésimes qui ne se sont pas toujours bien ouverts (1975 par exemple), il existe des millésimes d'évolution plus rapide pouvant donner des bouteilles intéressantes (Montrose 1997, goûté au début des années 2000) voire étonnantes par leur potentiel insoupçonné (Lafite 1973, et oui!, goûté en 2013, Las Cases 1973 goûté en 2021, Branaire 97 goûté en 2019).
ii) L'homogénéité
Mais intervient alors un autre critère : l'homogénéité (dans une même appellation s'entend). Il est certain que beaucoup de Bordeaux 1997 furent décevants voire faibles, et que 1973 n'est pas une année à privilégier dans ses achats de vieux flacons... Nous connaissons tous l'adage selon lequel une petite année est une année de vignerons. Mais faut-ils, dès lors, nécessairement appeler ces années difficiles de "petits" millésimes ? Ce qui peut révéler le talent, parfois même la grandeur, est-il nécessairement petit ?
On touche ici à un problème de fond : l'idée de "grand" ou "petit" millésime est une généralité qui, au mieux, correspond à une moyenne. Si l'année est relativement homogène, la moyenne tendra à correspondre assez bien à la réalité des vins, si au contraire elle est hétérogène, elle perd de son sens. Surtout, elle est de peu d'usage pour l'amateur, qui achète certains vins, et pas une moyenne (sauf s'il a les moyens d'acheter un peu de tout!).
Le risque (surtout en bordeaux je dirais, car l'amateur de Bourgogne est par nécessité plus sensible à la diversité des climats et des vins) est alors de considérer que tous les vins (d'une appellation voire d'une région) ont les qualités positives ou négatives de l'année, par exemple, que tous les 1973 étaient à boire jeunes, que tous les 2005 sont à garder au moins 15 ans.
iii) La qualité
C'est sans doute le plus simple des critères, mais aussi le plus complexe! Car la qualité d'un "grand millésime" est souvent une estimation qui correspond à un pari sur l'avenir. Je goûte certains bourgognes sur fût, jamais les bordeaux, et n'ai aucune expérience dans l'art consistant à estimer le potentiel d'un vin nouvellement né. Comme tous les amateurs, j'ai quelques repères, mais je crois que beaucoup d'éléments peuvent intervenir et que le vieillissement d'un cru relève d'une histoire assez ouverte. Les propriétaires sont d'ailleurs souvent moins sûr d'eux, en la matière, que les dégustateurs professionnels... Cela soulève une vraie question : peut-être estimer avec précision, d'une manière générale, la qualité d'un millésime pour des vins destinés à vieillir 10, 20 ou 30 ans? Je ne dis pas que c'est impossible, mais que c'est certainement plus délicat que de mettre une note sur 20 à un année.
Bref, pour moi, les dichotomies (division en deux groupes opposés, du genre grand/petit), et les notes chiffrées ne sont guère pertinentes et utiles. En revanche, la description de l'année, sur un plan climatique et viticole, l'étude des problèmes et des solutions apportés par le vignerons, l'analyse des réussites et des échecs, sont autant d'élément précieux pour l'amateur.
Permettez-moi un exemple pour illustrer cela, notamment les contradiction entre les différents aspects, contradiction qu'on oublie quand on résume par un qualificatif rapide ou une note. Je consulte parfois le tableau des millésimes d'I Deal Wine. Mais je ne m'arrête jamais aux notes !
En effet, outre qu'elles ne correspondent pas toujours à ce qui est dit ensuite, elles ne sont pas cohérentes entre elle. Par exemple, il est dit que 1979 est considéré, à tort, comme inférieure à 1978 en bordeaux rouge, mais la note de 1978 est bien supérieure à celle de 1979 ! D'autres cas montrent que ce qu'on estime grand ou bon peut correspondre, soit à un style classique, soit au contraire à une maturité particulière. Selon moi, c'est le signe que, même en faisant attention, le système de notation des millésimes pose plus de problèmes qu'il n'en résout.
Je précise que j'ai eu, par mon métier, souvent l'occasion de réfléchir à ce que c'est que "noter", et que, d'un point de vue docimologique (la docimologie étant, avec quelque emphase, la "science de l’évaluation!), noter une classe (un millésime étant une classe regroupant de vins différents) avec des critères multiples et parfois opposés est particulièrement délicat. (Je pense que la notation des vins eux-mêmes manque elle aussi de pertinence, sauf cas particulier, mais c'est une toute autre histoire) !
Bref, j'achète pour ma part un peu de tout, selon le vin, l'occasion, le budget, la place en cave, mes goûts et parfois mes lubies !
Cordialement,
François