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Le Monde du 28 juillet 2018

  • Jérôme Pérez
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Le Monde du 28 juillet 2018 a été créé par Jérôme Pérez

Olivier l'a déjà relayé dans la rubrique de "1855 et les retards primeurs" sous les feux de la rampe. Mais cet article a sa place ici également : un article quasi historique car la presse qui est restée longtemps muette au moment du scandale quand seul LPV se faisait le recueil des consommateurs floués et qui s'est bien gardée de citer le rôle de LPV une fois que tout le monde s'est rué sur l'ambulance, cette presse, donc, et pas n'importe laquelle, puisqu'il s'agit de "Le Monde" établit par les mots d'Ophélie Neiman (Miss Glouglou) une juste explication de cette affaire :

"Ces clients qui n’ont jamais vu la couleur des vins achetés sur 1855.com

Dans les années 2000, le site propose des grands crus du Bordelais deux ans avant leur mise sur le marché. Les commandes ne sont pas honorées, onze mille acheteurs sont floués, pour un montant de 40 millions d’euros. Le plus gros scandale de vente de bouteilles en ligne

Ils s’appellent Didier, Hervé, Caroline, Delphine, pour n’en citer qu’une poignée. Leur point commun ? Ils ont commandé du vin sur le site 1855.com. Qu’ils ne boiront jamais. Dans les années 2000, ils font partie des acheteurs qui ont hurlé dans le combiné du téléphone. Certains
ont été remboursés. D’autres non.
Officiellement, 1855.com compte onze mille clients lésés pour un préjudice estimé à 40 millions d’euros. Ce site, qui avait pour ambition de révolutionner la vente de bouteilles en primeur,
est devenu le plus grand fiasco de l’e-commerce de vin. Et le scandale qui en a découlé a eu une plus vaste répercussion : il a instillé chez les amateurs une méfiance tenace vis-à-vis de l’achat de vin sur Internet.

Pour Hélène Poulou, avocate bordelaise de plus de 450 clients de 1855.com, le nombre de victimes est même sousestimé : « Les onze mille personnes ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ce sont ceux qui se sont manifestés au moment du redressement judiciaire.
Mais, entre-temps, l’entreprise avait changé de nom et se nommait Héraclès. Il faudrait donc compter aussi tous ceux qui n’ont pas été prévenus, ceux qui ne sont pas allés au-delà par usure, ceux qui sont décédés depuis… »
La promesse était si belle : pouvoir acheter à l’unité, ou par petits lots, des grands crus bordelais en primeur. Un rôle habituellement réservé aux négociants de Bordeaux. Le choix était somptueux : Châteaux Haut-Brion, Lynch-Bages, Cos d’Estournel et tous les autres, un rêve pour le passionné.
D’ailleurs, le nom fait rêver lui aussi car 1855, c’est la date du classement des grands crus des bordeaux de la rive gauche, qui fait toujours référence aujourd’hui. Le conseil des grands
crus classés s’étrangle, cette année légendaire est la leur, ils en sont les gardiens.
Il n’empêche, elle est un nom parfait pour le site commercial. Et il n’est pas protégé.

CONSTATS AMERS
L’idée de ce site émerge dans les têtes d’Emeric Sauty de Chalon et de Thierry Maincent en 1995. Ils ont alors 22 ans et sont fraîchement diplômés de HEC. Le site Internet naît quatre ans plus tard. 1855.com devient rapidement la coqueluche des journaux du vin et des amateurs, l’adresse Web à connaître pour un cadeau de naissance, de mariage, l’embellissement d’une collection de flacons. Il y a des vins livrables tout de suite, notamment des étiquettes modestes, et il y a
ces fameux vins primeurs de noms prestigieux.
A peine présentés au négoce international, deux ans avant leur mise réelle sur le marché, le particulier peut déjà les commander. En avant-première, en somme. En 2005, quelques milliers d’oenophiles ont, par exemple, acheté des millésimes 2004, à livrer en juin 2007. En théorie.
Car la machine commence à se gripper. Et déraille en 2008.
Sur des forums et des sites consacrés à la défense du consommateur, la grogne surgit ça et là. L’un d’entre eux, très fréquenté des fondus du vin, va d’ailleurs jouer un grand rôle dans l’infusion de la colère : La Passion du vin.

En avril 2008, y apparaît une discussion intitulée : « 1855 retard des primeurs ». Aujourd’hui, ce fil contient plus de 3 000 messages et a été lu 700 000 fois.
« Les messages se sont accumulés, relatant les promesses non tenues, les contreparties avancées ou tout simplement les absences de réponse, se remémore Jérôme Pérez, directeur de
la publication de La Passion du vin. Nous servions de réceptacle aux mécontents et, pendant un an ou deux, nous nous sommes sentis comme Don Quichotte face aux moulins à vent.
D’autant que la presse spécialisée, à l’époque, bougeait peu. »
Parmi les coups de gueule et les constats amers, on trouve le message de Christian Brocheton, enquêteur à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes (DGCCRF). « Votre site a été le débat des consommateurs mécontents pour la non-livraison de vins en achat primeur par la société 1855.com, écrit-il en décembre 2008. Je suis la personne habilitée à étudier les dossiers. »
Il y donne son numéro de téléphone professionnel, son mail et demande à ce que son numéro personnel, diffusé par des internautes, soit retiré.
« Ce feuilleton a tenu en haleine les lecteurs de La Passion du vin pendant des mois, poursuit Jérôme Pérez. Une belle fierté pour nous… qui a aussi failli coûter la vie au forum. » A deux reprises, 1855.com attaque en diffamation. Et est débouté. En revanche, cette même
année, les premières condamnations tombent pour le site 1855 : le tribunal d’instance de Bordeaux le somme de livrer ses vins, sous peine d’astreinte.
Mais que s’est-il passé ? La raison du fiasco est que le modèle financier du site était terriblement risqué : pour éviter de stocker les bouteilles, Emeric Sauty de Chalon ne les achetait que
bien après les commandes, persuadé que les prix n’augmenteraient pas et qu’il pourrait faire fructifier l’argent des clients entre-temps. Quelle erreur !
Le millésime 2005, mythique, fait voler en éclats le fragile montage. Peu après les primeurs, les prix explosent. Les vins doublent de valeur et, par effet de balancier, les prix des 2004 et 2003
montent aussi. Pour le dirigeant de 1855.com, le cauchemar commence. Les vins valent désormais beaucoup plus cher que le prix que les consommateurs ont payé.
Livrer le vin, c’est d’abord l’acheter, et donc endetter l’entreprise. De toute façon, le monde entier s’arrache les bouteilles et M. Sauty de Chalon a bien du mal à en récupérer quelques-unes. Et
chaque année est pire que la précédente, les prix grimpent sans relâche. Il multiplie les appels de fonds, accueille de prestigieux actionnaires comme Jean-Pierre Meyers, gendre de Liliane
Bettencourt (qui se retirera par la suite). Rien n’y fait, 1855.com sombre.

LIQUIDATION JUDICIAIRE
« Jusqu’au fameux millésime 2005, le modèle fonctionnait, affirme Philippe Blanchetier, l’avocat d’Emeric Sauty de Chalon. Et il a encore fonctionné un temps, notamment parce que le site
proposait d’autres vins que des primeurs, qui ne posaient aucun problème.
Le site aurait pu s’en sortir. Ce qui l’a tué, en vérité, ce sont les astreintes. » Car si certains clients lésés acceptent un remboursement au prix d’achat, d’autres, en revanche, veulent leurs bouteilles et obtiennent des tribunaux leur livraison sous astreinte.
« Je me souviens d’un dossier où un client avait commandé pour 3 000 euros de vin, confie Philippe Blanchetier. On arrivait à un total de 150 000 euros d’astreinte ! Or, la production était écoulée et il devenait impossible de trouver ces vins. »
Pourtant, un ancien employé du site, au service de la clientèle, affirme, sous le couvert de l’anonymat, que, dès 2006, la situation commençait à déraper : « Les commandes avaient déjà du retard. Les clients hurlaient au téléphone. On regardait le montant de leur commande et, selon les cas, pour les faire patienter, on envoyait en cadeau un Casillero del Diablo, un Château
Carbonnieux pour les gros clients, voire du champagne pour les commandes dépassant les 20 000 euros. »
Les actions en justice se multiplient. L’avocat de 1855 court les audiences partout en France. En face, Hélène Poulou porte les dossiers en masse et représente l’association ABUS 1855.com :
« Tous les jours, une quinzaine de personnes me contactait. En trois semaines, j’avais 200 clients. Le scandale était aussi gros que celui des prothèses PIP. »

En janvier 2015, le groupe Héraclès est mis en liquidation judiciaire. Il regroupait, en plus de 1855, les sites de ventes ChateauOnline et Caves Privées. Tous éteignent alors leurs serveurs.
Clap de fin ? Les deux dirigeants de 1855.com, reconvertis dans l’automobile, le souhaitent. Ils n’ont fait l’objet d’aucune condamnation personnelle.
Mais, en 2012, au nom de l’association et des instances viticoles bordelaises, Hélène Poulou a porté plainte pour escroquerie. Un baume pour les clients laissés sur le carreau. L’enquête est depuis au point mort.
« Cette procédure collective n’aboutira jamais !, s’exclame l’avocat de 1855.com. Il n’y a pas le début d’une preuve d’un enrichissement personnel. Emeric Sauty de Chalon et Fabien Hyon
[qui a remplacé Thierry Maincent en 2010] ne se sont pas payés les dix huit derniers mois, ils sont endettés à vie. Il ne s’agit pas d’une bande de margoulins qui menaient la grande vie.
1855, ils y croyaient ! »

Mais Hélène Poulou y croit aussi. D’autant que face à l’enlisement de la procédure, un nouveau
juge a été nommé il y a un an. « Je laisse jusqu’en septembre et je reviendrai à la charge ensuite », affirme l’avocate bordelaise. Aujourd’hui, l’adresse du site renvoie vers une page blanche.
Et les clients jurent qu’ils n’achèteront plus jamais de vins en primeur. "
www.lemonde.fr/serie...

Jérôme Pérez
Les utilisateur(s) suivant ont remercié: claudius
28 Juil 2018 21:00 #1

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