Villa d'Este Wine Symposium
Édition 2015
La journée du samedi
Ne dérogeant pas à mes sales habitudes, c'est encore et toujours avec trois plombes d'avance sur l'heure théorique du réveil que je me retrouve sous la douche à me savonner les entournures en méditant sur des questions aussi cruciales que l'élargissement de mon tour de taille a-t-il une influence néfaste sur l'avenir de la planète ou, beaucoup plus sérieusement, où vais-je dégoter une cravate pour ce soir et éviter de me faire excommunier par le Grand Stratéguerre...
Comment voulez-vous que je ronque tranquille avec des angoisses pareilles au-dessus de la tête, moi ? Grasse matinée, j'écris ton nom !
N'ayant pas réussi à trancher ça tout seul et sans personne sous la main pour m'aider à philosopher, je décide d'arrêter de me torturer le cigare pour rejoindre à la fraîche les réguliers des petits matins brumeux de bord de lac.
Tous les ans, c'est pareil, y'a les habitués de l'aurore, calme et paisible population qui profite avec délectation de la qualité d'un buffet qui comble tous les désirs comme des paysages lacustres et des beautés d'une nature qui se réveille paisiblement.
Et puis, y'a les fêtards, les tardifs, ceux qu'ont un peu fait les fous la veille et qu'on repère comme à l'école par la marque de l'oreiller encore inscrite au coin de la joue alors qu'ils tentent de faire illusion les premières minutes des séminaires du matin !
Après avoir fait une tranchée digne de Maginot à la meule de parmesan qui me tend chaque matin les bras et confirmé l'axiome qui veut que la qualité du café italien soit inversement proportionnelle à celle de son pain, il est temps de rejoindre la salle principale pour le séminaire consacré aux "Outils de communication présents et futurs, du producteur au consommateur".
Sont présents sur scène pour représenter les différents univers qui jalonnent le monde du vin :
- Producteurs: Séverine Bonnie (Château Malartic-Lagravière) et Paul Roberts (Colgin Cellars)
- Négoce: Patrick Bernard (Millesima)
- Collecteur de données : Eric Levine (CellarTracker.com)
- Critique: Antonio Galloni (Vinous)
- Consommateur: Olivier Duha (Webhelp)
Chacun est amené à exprimer l'usage, l'influence et l'impact des outils de communication, en particulier d'internet, sur son activité.
Pour Séverine Bonnie et Paul Roberts, le site web du domaine est considéré comme la façade institutionnelle de l'entreprise et un outil indispensable pour rester au contact direct de sa clientèle, en particulier pour le domaine américain qui vend les 2/3 de sa production via une réservation sur internet.
La présence sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Weibo) permet de créer une intimité avec l'amateur, l'outil devenant alors le moyen d'écrire sa propre histoire, en particulier pour ceux, comme Colgin, qui n'ont pas la chance d'avoir un nom d'appellation qui parle à tous.
Patrick Bernard décrit l'évolution de Millesima, une société historiquement constituée autour des ventes opérées par téléphone et qui comprend aujourd'hui 15 sites internet qui lui permettent de toucher 2 millions et demi de visiteurs dont 85 000 clients dans leur langue d'origine et où se joue 80% des ventes.
Le pouvoir marketing de Facebook est également mis en avant par sa capacité indirectement prescriptive. 85.000 fans ont ainsi permis à 25 millions de membres de lire les textes écrits par les équipes de Millesima.
Pour Patrick Bernard, le web est le lieu qui permet de réunir une stratégie marketing individualisée dans un marché mondialisé.
Eric Levine, un ancien ingénieur de Microsoft, décrit le parcours qui l'a mené à créer une base de données, au départ initiée par l'idée d'un besoin simple : compiler les vins qu'il avait en cave et leurs notes de dégustation avec quelques amis !
10 ans plus tard, avec ses 400 000 inscrits, ses 63 millions de bouteilles archivées, ses 5 millions de notes de dégustations et ses 3 millions de visites par mois, Cellar Tracker est devenu un des acteurs fondamentaux du monde du vin par le volume d'informations contenues dans sa base de données.
Des passerelles se tissent ainsi entre des sites comme Vinous, crée par Antonio Galloni (dont vous retrouverez le parcours
ICI
), ou encore Winesearcher et où chacun vient prendre chez l'autre, qui, un volume d'informations, qui, une crédibilité critique, tous sûrement, plus de trafic.
Tout à coup, une odeur de fumée envahit la salle et une alarme se déclenche !!!
Un début d'incendie ? Non, rien de grave, c'est juste les petites dames tout là haut, au dessus de la salle, et qui, chargées de la traduction en 3 langues commencent à prendre feu devant le débit de paroles furieux de nos deux américains enthousiastes !
Alors que le séminaire peine à trouver une vraie trame, peut-être par le fait que François Mauss a confié son animation à un monsieur d'Apple à qui l'univers du vin semble pour le moins étranger et qui s'acharne systématiquement à vouloir recentrer le sujet sur le simple angle de la vente, comme si on pouvait multiplier les Musigny pour les distribuer comme on le fait avec un smartphone, c'est finalement Olivier Duha, chef d'entreprise et amateur, qui ouvrira à mes yeux les meilleures perspectives, osant poser des jalons sur l'impact et les risques de la digitalisation de l'économie dans un monde aussi réactionnaire que celui du vin.
Dans un univers où tout se sait, la gestion de la transparence s'impose à tout domaine qui tient à maitriser sa e-réputation, la technologie permettant au professionnel de toucher un public plus large en tissant, exercice complexe et délicat, une forme d'intimité possible avec son client.
Nous pouvons témoigner sur LPV que si nombre se sont essayés à l'exercice, certains y réussissent mieux que d'autres, maniant une franchise de discours attrayante pour l'amateur, en essayant de ne pas dépasser la limite de crédibilité du publi-reportage ou du conflit d'intérêt.
Si le web permet un accès quasi immédiat et mobile via les smartphones à une somme énorme de données, état de fait qui a totalement bouleversé le monde de la critique et de la prescription, l'avenir est sûrement à une réhumanisation de ce monde digital où l'exigence de transparence et d'indépendance demandée par le lecteur est un pré-requis non négociable pour éviter tout effet Tripadvisor et ses faux commentaires.
La revanche du critique par sa raison d'être, peut-être ?
La matinée a passé encore plus vite que d'habitude.
Et je n'étonnerai personne si je vous dis que je commence à avoir un petit creux... ()
A table....
Le déjeuner du samedi
Crevettes, fleur de courgette, salade et bagna cauda légère
Martin Wassmer, Castellberg, Weisser Burgunder GC, 2014
Robe jaune paille très claire.
Nez jeune un peu foufou, compromis de belles notes riches de fruits blancs (pêche), d'un boisé vanillé léger et d'une petite réduction qui s'exprime sur la sueur, l'huile d'arachide.
Bouche assez large en attaque, sur une sensation de grande maturité qui s'exprime sur une légère sucrosité.
L'acidité n'a aucune difficulté à mobiliser ce joli ensemble dans un équilibre réussi, assez riche mais d'une gourmandise certaine.
Les goûts fruités sont agréables et participent à donner un charme certain à ce vin très agréable.
Joli !
Louis Jadot, Savigny-lès-Beaune 1er cru, Clos des Guettes, 2011
Robe jaune paille.
Nez lourdement boisé, sur des notes de caramel qui épuisent des senteurs de fleurs blanches à en devenir écœurantes.
Bouche à l'attaque très tendue, sur une acidité ferme un peu cisaillante qu'une matière légère peine à compenser.
L'aromatique totalement fatiguée par l'élevage, sur le caramel au lait est lourde et entêtante.
La finale en devient illisible, comme vampirisée par ce boisé prégnant.
Je n'ai pas aimé du tout.
Boeuf confit, poivre et soupe de pain, carottes parfumées au Marsala
Weingut Heitlinger, Königsbecher Pinot Noir GG, 2010
Robe sur un grenat très clair et assez évolué, avec un début d'atours roussis.
Très beau nez qui pinote délicieusement, sur les fruits de bois (fraise des bois, myrtille), la cannelle, des notes d'évolution qui tirent sur les fleurs séchées, le pot pourri. L'ensemble est franc et d'une grande délicatesse.
L'attaque en bouche est suave, toute en légèreté, sur une matière fine et ronde rafraichie par une jolie acidité et d'un toucher fin très agréable.
L'ensemble manque un peu de fond pour se relancer à compter du milieu de bouche, avec l'apparition d'une amertume qui lui fait perdre en générosité.
Mais j'ai beaucoup aimé ce vin pour son côté délicat et frais, curieusement évolué pour un vin si jeune mais vraiment très bon !
Henry et Jean-Sébastien Marionnet, Touraine, Premières Vendanges, 2014
Robe violacée, presque noire.
Nez puissant, sur les fruits noirs, la violette, le poivre, le repos dans le verre ramenant des notes terreuses et végétales qui m'évoquent la betterave.
Bouche souple, au toucher de bouche très glissant, sur une acidité haute et des goûts nettement primaires (fruits noirs).
Finale fluide et sans grande présence, facile par son délié mais un peu trop simplette pour répondre aux parfums du plat.
Honnête.
Parfait aux fruits des bois, consommé de kaki
Un délice que ce dessert d'une absolue fraicheur !
Il est très injuste que je ne sache pas vous parler du merveilleux moment d'intelligence qui a illuminé l'après-midi.
François Mauss parvient toujours à réunir dans ce symposium des personnalités du monde du vin, bien sûr mais, et c'est ce qui le rend si unique, il sait également créer des instants de fulgurance, qu'ils soient artistiques avec des musiciens comme Nicolas Dautricourt ou scientifiques.
A la lecture du programme, tout le monde avait ressenti un peu d'appréhension en découvrant que le séminaire de l'après-midi, piloté par Brian Schmidt
(Prix Nobel de Physique) et Étienne Klein, astrophysicien et philosophe des sciences, était intitulé « De l’Univers au Mur de Planck » !
De djiou, fallait toute la confiance d'un Président Mauss pour caler un machin pareil à l'heure de la sieste et de la digestion.
Et bien, je peux vous dire que la salle était pleine, qu'elle l'est restée et que cette heure d'intelligence absolue s'est conclue par une standing ovation !
Il m'est absolument impossible de vous retranscrire les détails de ce séminaire, car, happé par la clarté et la capacité remarquable des deux intervenants à vulgariser des problématiques pourtant complexes, j'ai posé le stylo pour revivre des instants comme je n'en avais plus connu depuis mes chères études, quand un orateur génial savait vous attraper par la main pour porter un discours avec une intelligence telle que la complexité du monde en devenait clarté.
Messieurs, pour ce grand moment, très sincèrement, merci !
***
Allez, maintenant qu'on s'est bien affûté les neurones, place à la dégustation !
Luxembourg
J'ai pu goûter grâce au sommelier de l'évènement, un homme sur qui beaucoup du succès des dégustations de prestige repose, le toujours aussi sympathique Alexandre Wagner, un excellent
Domaine Gales, Riesling, 2013 , au nez délicat, sur des notes minérales et citronnées et à la bouche facile et franche, tonique, d'une sucrosité légère et d'une acidité désaltérante, équilibre qui rendait le vin délicieusement désaltérant et sympathique.
Moins convaincu par le
Caves St Martin, Pinot Gris, Charta Schengen Prestige, toujours délicat aromatiquement mais à la structure plus riche, d'une sucrosité plus lourde et qui m'a moins plu, en tout cas en dégustation pure.
Damilano (Barolo)
Beau
Barolo Cannubi 2011 au nez riche, sur les fruits noirs compotés, le pruneau frais. Très jolie bouche à la richesse de corps bien équilibrée par une acidité bien intégrée et des tanins gras qui font saliver. Vin charnu, généreux, bien construit, un peu chaleureux en finale peut-être.
Moins convaincu par le
Cannubi “1752” Riserva 2008, à la robe beaucoup plus sombre, au nez mat, très fermé mais surtout à cause d'une bouche d'une énorme densité, très compliquée à lire en dégustation seule par sa puissance de concentration et sa charge tannique très forte. La finale, une fois la morsure de l'astringence passée, semblait très longue. Et le fond de verre sentait très bon. Mais j'avais quand même le pdf en hyperventilation !
Cave Gérald Besse
Petite Arvine de Martigny 2014 : Robe très claire. Nez fin, sur les fleurs blanches, le citron, une pointe minérale. Jolie bouche souple et dotée d'une jolie acidité. Ensemble pur et facile, avec du nerf, à la finale pointue. Un vin très sympathique.
Ermitage 2010 : Robe jaune paille. Nez franc, pur, sur la rhubarbe. Bouche riche, un peu lente à mon goût, un peu remobilisée par de légers amers. Un peu simple.
Domaine Saint Théodule, Cornalin, 2012 : Robe grenat. Nez lacté un peu simple, sur le yaourt aux fruits des bois. Bouche riche, manquant un peu de définition, à la structure ample mais oscillant entre une grande maturité, une acidité ferme et des tanins un peu asséchants. Vin difficile à lire.
Syrah de Martigny 2010 : Robe sombre. Nez classique et agréable, sur les fruits noirs frais, le poivre, la fumée. Bouche au joli toucher velouté mais un peu trop lente, manquant de nerf. Finale pommadée sans réel rebond. Pas fan.
Bernard Noblet, toujours galant !
Domaine de la Romanée Conti
Echezeaux 2006
Robe grenat clair avec une toute petite évolution.
Nez toujours aussi génial, avec un fruit magnifique de fraicheur et de gourmandise, sur la pivoine et la fraise des bois, diabolique de gourmandise.
Bouche suave, pulpeuse, à la structure douce et ronde et pourtant fraiche, par une acidité mure parfaite qui apporte au vin tenue et allonge.
Des tanins de soie lancent une finale d'une infinie délicatesse et d'une évidence gourmande sans défaut.
Délicieusement irrésistible !
Romanée Saint Vivant 2009
Robe assez claire, plus que le 2006 mais sur des reflets violacés qui signent sa jeunesse.
Nez serré, indéniablement marqué par la vendange entière, sur un végétal mentholé très net avec un fruit (myrtille) plus en retrait.
Bouche nerveuse, droite, d'une structure effilée et délicate mais sans rupture de tenue dans sa présence sur le palais ni réel point de dureté.
L'aromatique est similaire au nez, assez serrée, presque fermée, sur quelques notes mentholées et de foin classiques des vins en vendange entière.
Finale dense, notamment par des tanins qui l'étirent mais quand même assez peu amène, en particulier comparé à l'évidence de l'Echezeaux.
Le fond de verre vide sent en revanche fabuleusement bon !
Pas très lisible en l'état.
Donc je dirais : surtout pas touche, il semble urgent d'attendre !
***
Oh mazette, faudrait pas que je m'endorme, moi ! Y'a la dégustation de l'après midi qui s'annonce !
Et dire qu'il y en a encore pour croire que je m'amuse...
Je file...
A suivre.
Oliv
Crédit photos :
www.borlant.fr/