Villa d'Este Wine Symposium
Édition 2015
Le dîner de gala
Bon, c'est pas tout ça mais si, jusqu'ici, en rasant les murs et en me faisant tout petit pour me fondre dans le décor, j'ai réussi à planquer ma carcasse et assister cou nu aux précédents repas du soir, dérogeant ainsi au dress code de l'établissement qui impose le port altier de l'étouffe kiki, là, il n'est plus question de rigoler !
C'est le dîner du samedi, l'apothéose à table, le repas de gala !
Donc pas question de me balader en nudiste de la pomme d'Adam, va falloir trouver une solution !
Je fonce en chambre et décide de me transformer en Mac Gyver de la mode, en Yves St Laurent de la bricole, en génie du relooking !
Bilan des opérations ...
Après avoir pathétiquement zigouillé ma chemise de secours à coups de ciseaux à ongles pour tenter un piteux repli sur la version en col Mao...
Après avoir remis au goût du jour la cravate en cuir des sixties en recyclant ma ceinture dans un résultat terriblement douteux, comme si Fonzie avait eu un fils avec un des Village People...
Après avoir réinventé la cravate tissé des seventies en manquant de m'étrangler avec une vieille chaussette...
Après avoir remonté mon pantalon (oui, suivez, la ceinture autour du cou a un effet inversement gravitationnel sur la tenue de mon falzar)...
Après avoir tenté la mort dans l'âme et dans un essai aussi ultime que ridicule, la ceinture en coton du peignoir de la salle de bain, me transformant en Grande Zoa de bord de lac..
... Après avoir songé 100 fois à me pendre ou à me balancer dans le Lac pour sortir honorablement de cette impasse cornélienne, j'abandonne et décide d'affronter les risques d'excommunication et d'avoir ma photo punaisée au trombinoscope des indésirables de l'évènement !
Et là, c'est le miracle, l'alléluia, le soulagement !
Je croise au loin le père Ludo en train de griller nonchalamment une dernière sèche avant le dîner...
Ludo, mais c'est bien sûr !
Ludo, c'est un copain de la famille, un des piliers de l’évènement, un gars au goût sûr, toujours impeccablement apprêté, même au petit déjeuner ou en plein coup de feu des dégustations.
Ludo, forcément, lui, il aura un machin de secours à m'enrouler autour du cou !
Et ça n'a pas raté, le pote Ludo me dégote une cravate en moins de temps qu'il n'en faut à un sommelier pour dégoupiller une capsule à vis !
Et alors que quelques minutes auparavant, je commençais à préparer la corde et le nœud coulant, j'ai même eu droit à un cour de rattrapage accéléré sur l'impact du nœud Windsor sur l'esthétique du porteur de costard.
C'est pas formidable, ça ?!
Mais de djiou, quand même, l'an prochain, moi j'vous l'dis, fin des émotions et sus aux angoisses vestimentaires : je prévois un col roulé !
Alors que je parcours les interminables couloirs de la Villa d'Este d'une démarche alerte et aérienne que seul le soulagement d'une crise grave est à même de provoquer, je croise nombre de jolies dames en tenue de soirée !
Et bien faut croire que le relooking façon Ludo a fonctionné et que ma tenue de Georges Clownesque ne doit être pas si mal réussie.
Car
y'a des coups d'oeil qui trompent pas................
!
C'est donc remonté comme une comtoise avant la messe et serein comme un yamabushi que j'ose enfin me présenter à la table présidentielle !
Car encore une fois cette année, j'ai l'honneur d'être convié à la table de la famille Mauss.
Et comme tout le monde le sait, derrière tous les grands hommes, il y a une femme à l’œuvre. Et dans le cas des Mauss, c'est toute une fratrie qui porte l'évènement sur ses épaules.
Jamais je n'aurais osé rappliqué la glotte à l'air et risquer de faire honte aux si charmantes dames Mauss, des femmes dont l'élégance naturelle renvoie la jolie brune qui vous fait tant rêver au rang de gravure pour papier glacé.
Ajoutez à ce généreux tableau la présence bonhomme à notre table d'un Bernard Noblet en tenue de soirée et en forme olympique et vous comprendrez que j'ai une dette éternelle envers le pote Ludo pour m'avoir sauvé le coup. -D
Bon, le ballet des serveurs commencent, il est temps de se préparer à une magnifique soirée.
A table !
Champagne Pommery, Cuvée Louise, 2000
Magnum
Robe jaune paille au train de bulles régulier.
Nez très fin, pur, sur de belles notes minérales, sur la pierre frottée, la craie humide.
Bouche étonnante car alors que j'attendais avec ce nez une structure élancée et traçante, l'ensemble se révèle très puissant, à la fois riche de volume et de maturité et doté d'une acidité ferme et d'amers agréables qui évitent tout effet de mollesse en mobilisant ce côté vineux.
Les goûts s'expriment là encore puissamment, sur des notes de coquilles d'huitre très marquées, laissant l'impression d'un grand cru de Chablis à bulles.
Le toucher de bouche est presque tannique et lance une finale d'une grande présence et persistance.
Un vin très puissant, à accorder à table plutôt qu'en apéritif.
Crème de pois chiche, homard du Maine, citron et romarin
Vie di Romans, Flors di Uis, 2010
Robe sur un jaune paille légèrement grisé.
Nez frais et pointu et qui sauvignonne joliment, sur la groseille à maquereau, le citron vert, de fortes senteurs mentholées.
Bouche très tendue, à l'acidité bien enrobée dans un joli volume mais à l'amertume assez forte.
L'aromatique est très complexe, compromis impressionnant de notes exotiques (fruit de la passion, ananas), mentholées (verveine, citronnelle) et minérales (silex, naphte) et donne beaucoup de cachet à cette bouche puissante et sans concession.
Finale assez ferme, sur une acidité droite et toujours cette pointe d'amertume.
Très joli vin.
Château Pauqué, Clos du Paradis, 2008
Magnum
Robe sur un doré clair.
Beau nez riche et franc, sur les fruits blancs (pêche, presque abricot) enrobés d'une note fumée qui lui donne une touche chaude et élégante très sympathique.
Bouche riche, à la matière ample, d'un gras qui tapisse le palais et sur une petite sucrosité facile.
Ensemble vineux, d'une très bonne tenue de bouche, sur des goûts francs et complexes en phase avec l'équilibre perçu au nez.
Finale riche, un peu trop à mon goût mais qui répond en revanche remarquablement au plat de homard.
Très bon moment.
***
Le fait d'être un ami de l'organisateur autorise certaines facilités auxquelles le convive moyen ne pourrait souscrire.
L'incroyable perfection de la cuisine servie lors des repas du symposium est une énigme pour moi depuis la première édition.
Mais comment font-ils pour sortir des assiettes d'une telle qualité pour un nombre aussi important d'invités ?!
Je saisis donc la chance qui m'est offerte d'aller faire un tour en coulisses afin d'essayer de comprendre comment on peut proposer un risotto d'une telle perfection pour 250 personnes.
Les cuisines sont gigantesques !
Sont déjà alignées des dizaines d'assiettes
prêtes à recevoir, ici le fromage, là le dessert.
Le chef
m'accorde même quelques secondes pour discuter et j'apprends que ce risotto génialement maitrisé est cuisiné dans une gamelle à la taille de l'évènement, comme à la maison... mais par brassée de 25kgs de riz ! :
Je sais pas vous mais moi, déjà que j'angoisse à ne pas quitter le fourneau quand je me lance pour 6...
Y'a pas, la cuisine de palace, c'est vraiment un monde à part.
Soudain, comme chez les pompiers de caserne, une voix retentit dans un haut parleur et annonce quelque chose en italien.
Alors que jusqu'ici, la brigade semblait très décontractée, presque désœuvrée, tout à coup, c'est le coup de feu !
En quelques dizaines de secondes, une impressionnante mécanique se met en branle où chacun a sa place et son rôle à jouer.
Une dizaine de cuisiniers s'alignent au passe.
Leur font face plusieurs dizaines de serveurs prêts à réceptionner les plats.
Et tout à coup, c'est parti !
X(
Dans une forme de sprint où tous les gestes sont millimétrés, chacun assume sa partie du résultat final, posant sur l'assiette l'élément qui est sous sa responsabilité, le tout sous le regard du chef qui valide l’œuvre avant envoi.
Impressionnant !!
Bon, faudrait pas que j'arrive à table après mon assiette ! Vu le boulot pour la réussir, ce serait malpoli.
Je retourne donc retrouver ces dames que j'ai laissées aux bons soins de Bernard Noblet en évitant soigneusement de faire mon Pierre Richard en crochepattant un maitre d'hôtel.
Et c'est le moment où Ludo se transforme en Eluard de l'humour et décide de marquer définitivement l'évènement de son empreinte légendaire.
"Madame Mauss, qu'est ce qui est rouge et a l'odeur de la peinture bleue ?"
.......
.....
...
"La peinture rouge !"
Je crois bien avoir failli tomber de ma chaise en pleurant de rire face à l'air absolument atterré affiché par Marité quand, après 5 minutes d'un interminable silence, la réponse est tombée.
Un vrai Gunthard, ce Ludo !
***
Weingut Von Winning, Forster Kirchenstück GG, Riesling Qualitätswein trocken, 2014
Robe cristalline, sans presque aucune teinte.
Nez opulent, terriblement froufroutant, sur les fleurs blanches au printemps, à en devenir entêtant.
Bouche totalement en décalage avec la richesse du nez, sur une acidité citrique très forte, un perlant insistant qui accentue la perception de tension sur la langue.
L'ensemble est assez brouillon, oscillant entre une aromatique très riche et une structure de bouche à la limite de la sécheresse.
Finale presque stricte.
A revoir car peut-être trop jeune.
Risotto aux cèpes crus et cuits
Antinori, Castello della Sala, Pinot Noir, 2014
Robe très claire, sur un rubis rouille dont on voit sans difficulté au travers.
Nez où de fortes notes lactiques perturbent un côté léger de grenadine.
Bouche lourde, d'une forte sucrosité en attaque, très lente et qui peine à trouver une trame.
Finale sans perception tannique mais marquée par une forte amertume et une chaleur certaine.
Toujours pas fan de ce vin
.
Château Malartic-Lagravière, Pessac Léognan, 1999
Magnum
Robe sombre, en particulier après le pinot.
Beau nez ample et généreux, précis, jeune, sur le chocolat noir, les fruits de la même couleur, des notes d'épices douces.
Attaque puissante qui confirme la jeunesse du vin, sur une structure dense et riche mais très bien équilibrée.
Perception d'une concentration bien maitrisée qui doit encore se détendre à mon goût pour s'affiner et intégrer des tanins encore bien présents.
Aromatique agréable, assez riche, toujours sur ce côté balsamique chaud (chocolat, épices) bien maitrisé.
Finale puissante qui prend un peu le pas sur la finesse du chevreuil.
Beau vin, à attendre.
Chevreuil en deux cuissons
Terroir al Limit, Priorat, Les Manyes, 2013
Robe grenat sombre et brillante.
Nez riche, sur les fruits noirs frais, des notes de thym et de laurier, pas mal d'alcool également.
Léger perlant en attaque. Bouche puissante et droite à la fois, construite autour d'une acidité très haute et d'une matière imposante.
Je n'arrive pas à entrer dans le vin, perturbé par sa jeunesse et par une somme d'éléments qui partent dans tous les sens et qui manquent d'harmonie pour présenter une lisibilité, en particulier à table, en l'état.
A revoir car impossible de me faire un avis. Y'a quelque chose mais aussi comme un mais.
Et là encore, j'ai mieux goûté les vins sur le salon qu'à table où la jeunesse des vins détonnent parfois face à une cuisine si délicate.
Asiago Riserva 30 mois, moutarde à la poire
Géniale touche piquante et parfumée apportée par cette moutarde délicieuse !
Aloïs Kracher, Scheurebe TBA N°4 2004
Robe sur un doré cuivré très profond.
Nez puissant, riche et complexe, sur l'abricot, la confiture de mandarine, une volatile assez forte également.
L'attaque est elle aussi marquée par cette forte volatile qui donne pourtant au vin comme un vrai élan, tranchant dans une liqueur d'une grande richesse.
L'ensemble est assez baroque, frôlant l'excès sans s'y abimer totalement, trouvant une vraie trame de bouche qui permet à une grande complexité aromatique (orange confite, abricot) de s'exprimer.
Belle finale longue et gourmande, toujours sur ces goûts de fruits confits.
Un vin un peu rococo mais plutôt très bon !
Soufflé au chocolat, glace au marron glacé
Une soirée absolument somptueuse avec une cuisine de toujours aussi haut niveau dont la finesse met parfois à mal la jeunesse de vins dont le potentiel exige l'apport de la garde pour leur apporter plus d'harmonie.
Il faut reconnaitre que l'exercice n'est pas simple...
Alors que l'excellent Laurent Vialette nous tend deux verres, tout à coup, je revis !
Nez délicat, sur les fruits des bois, la menthe fraiche. Bouche douce, racée, d'une trame impeccablement fraîche, aux tanins encore présents mais d'une évidente noblesse.
Nez plus jeune et marquée vendange entière pour le second verre, à la bouche assez différente, plus froide, pointue et tonique, moins pleine et riche mais d'une grande présence élancée. Joli fruit mais végétal de rafle encore assez marqué et qui doit s'harmoniser.
Bon, y'a du pinot et du bon, là ?!
La Tâche 2002 et la Tâche 2008 ?! Ah oui, d'accord, capisce, j'ai décidément pas un goût qui peut plaire à mon banquier, moi !
Anecdote de sous la table du petit rapporteur : Laurent s'est fait passer une ronflée des familles par Bernard Noblet d'avoir ouvert Tâche 2002.
"C'est trop tôt !"
Euh, je n'allais pas me risquer à démentir le géniteur de ce vin mais de vous à moi, du trop tôt comme ça, j'en ferais bien mon ordinaire...
Alors que la soirée s'achève dans une ambiance aussi joyeuse qu'amicale et que les convives se préparent à retrouver Morphée après un dernier Yabadabadou présidentiel, voilà que je commets l'erreur fatale de me croire encore capable de faire le djeune !
Ayant frôlé le suicide quelques heures auparavant, je cède, sans trop comprendre comment, aux charmes tourbillonnants de la jeunesse Maussienne pour finir par me retrouver en boîte de nuit à 3 heures du matin à discuter chiffons burgondes avec Eric Rousseau tout en sirotant un Corbières de Maxime Magnon ou un Egon Müller !
C'est la magie du VDEWS, ça, un évènement à part où chacun se sent bien et comme chez lui, un moment rare capable de transformer un vieux bonnet de nuit comme bibi en nocturne créature, me rappelant un temps où les nuits blanches n'auguraient pas de matins difficiles.
Bon, faut avouer qu'au final, la vieillerie, on a beau essayer de se la mettre derrière l'oreille, je vous confirme qu'elle finit quand même par vous rattraper traitreusement....
Couché à 5h30, réveillé deux heures plus tard, c'est avec une tête de hareng saur (rapport, un peu, à mon cumul d'heures de sommeil et qui n'atteint pas deux chiffres en une semaine entière et, beaucoup, aux fumeurs de cigare de la veille au soir qui m'ont tanné la couenne et goudronné les bronches -) que je rejoins Marité et François pour un petit coucou à la fraiche avant le retour à la maison.
Coup d'bol, le soleil est toujours aussi somptueux sur Cernobbio ce matin, les lunettes de soleil camoufleront peut-être les traces de mes excès...
Essayer de témoigner ici de ces instants magiques avec simplicité et pour le plaisir du partage n'est pas toujours facile et exige beaucoup d'énergie.
Pour des raisons très personnelles, cette année, j'ai peut-être mis plus de temps que d'habitude à poster ces reportages.
J'espère qu'ils auront quand même respecté l'esprit de ce moment.
Je ne vais pas vous la refaire tous les ans et réitérer à grands coups de superlatif pourquoi cette famille a toute mon affection.
Donc aussi sobrement et sincèrement que possible, un énorme merci à François et aux siens, famille comme amis, de me permettre de vivre des instants pareils.
De grosses bises à tous,
Bon réveillon !
Pour moi, le Père Noël avait sûrement un peu d'avance...
Oliv