Bonjour,
Je vais essayer d’apporter ma modeste pierre autour de ce que je connais un peu : le Rhône.
Mon mémoire de fin d’études à l’IEP de Grenoble en 1985 s’intitulait « Les coûts du vin » et a abouti grâce à la participation de certains producteurs en rhône nord. La conclusion était assez simple et nous la connaissons tous : il n’y a aucun lien entre coût de production et prix de vente. Les coûts de production peuvent varier mais dans des limites bien moindres que les prix de vente.
Début des années 2000, je m’inquiète de l’évolution des tarifs que je vois s’envoler et je pense que nous sommes à une limite. L’avenir m’a prouvé que je me trompais complètement, au point que le vin devient un objet de placement, les bouteilles sont découpées en parts de « SICAVES » ! D’ailleurs le problème vient peut-être en partie de ce nom…
Internet a une lourde responsabilité, et je le dis sur un forum. C’est à la fois ce qui a permis de faire circuler l’information, sur la qualité et le prix des vins, et d’en faciliter l’accès. Et tout circule, les vins s’achètent et se revendent comme de simples marchandises, ou du moins c’est essayé. Je suis parfois surpris des prétentions irréelles de certains vendeurs, qui pensent détenir une pépite alors que tel n’est pas le cas. Et le simple fait de proposer un vin à un prix plus élevé tire le marché vers le haut : je me souviens d’un producteur qui a justifié une augmentation importante par le fait qu’il refusait qu’un particulier puisse gagner plus à revendre son vin que lui à le produire ! Mais se revendait-il réellement à ce prix là ?
Idealwine est devenu une référence et ils le méritent. Lorsque la côte d’un vin augmente certains acheteurs ne suivent plus, et d’autres continuent en se disant qu’il vaut mieux acheter maintenant, quitte à revendre plus tard. J’avoue ne pas arriver à comprendre l’engouement récent pour certains domaines et les niveaux atteints par certains prix, mais aux enchères une seule personne ne fait pas le prix, il en faut deux : un acheteur et un perdant, le meilleur enchérisseur et son challenger. Mais il est certain qu’en permettant de mesurer l’engouement récent pour les vins, et spécialement certains vins rares, Idealwine contribue à l’augmentation des tarifs.
Le métier commence à devenir compliqué, il est quasiment impossible de partir de rien et de gagner modestement sa vie en développant un domaine qui sera ensuite transmis aux enfants. Aujourd’hui le prix des terres est tel qu’il est impossible de gagner quoi que ce soit en les finançant. Un lien précédent est éclairant à ce sujet : « Vingt-deux millions d’euros pour quatre-vingts ares : c’est environ le prix auquel une parcelle de grands crus Bonnes-Mares a été vendue il y a quelques mois ». A ce moment là ce n’est ni la main d’œuvre ni les coûts des traitements qui font le prix du vin, mais soit vous avez cette somme à placer, soit vous n’arriverez jamais à rembourser avec le revenu de cette parcelle. On va inéluctablement vers une concentration que d’autres secteurs ont connue, et qui va limiter le nombre d’acteurs et la diversité.
Sans aller à ces extrêmes, un vigneron a payé 2 M€ pour un hectare de Côte rôtie qui va produire 5.000 bouteilles les bonnes années et qu’il vend 53€ HT l’une. C’est économiquement compliqué, d’autant plus que le ratio est d’environ un salarié équivalent temps plein annuel par hectare. Si les coûts sont sensiblement identiques, l’augmentation des prix sert à accroitre les marges, et en final à valoriser l’outil de production : le foncier. Les successions sont de plus en plus chères et de plus en plus compliquées, la machine s’emballe et l’accélérateur est bloqué pied au plancher. Mais tous les producteurs sont concernés, les terres étant valorisées selon la valeur moyenne des transactions… Au début des années 1990 le mètre carré de friches de Condrieu se négociait à 1,50 F, ensuite il fallait dépenser beaucoup plus pour travailler les coteaux et planter. Aujourd’hui c’est entre 15 et 20€ le mètre carré, presque 100 fois plus !
Pourtant les politiques tarifaires des domaines sont très différentes. Certains n’ont pas augmenté leurs tarifs depuis des années, d’autres ne répercutent que quelques pourcents d’inflation pendant que certains franchissent des seuils et augmentent régulièrement. Là où j’achetais 12 caisses en me plaignant d’en manquer, j’en prends maintenant 3 et il m’en reste d’un millésime à l’autre : si le producteur a tout vendu comme avant tant mieux pour lui. Mais il y a aussi des domaines où plusieurs millésimes figurent au tarif, et certains producteurs retirent temporairement ces vins pour les proposer plus tard, et bien sur plus cher !
Il faut quand même parler d’un facteur non quantifiable, la qualité. Si parfois il n’y a rien de spécial à faire pour que les vins soient bons, 2009 ou 2015, souvent les efforts sont nombreux et pas toujours au même moment. Il faut du personnel et du matériel pour tailler, traiter, ébourgeonner, vendanger en vert, effeuiller, trier… Et je trouve que l’augmentation des tarifs a permis de produire des millésimes plus constants, ce n’est pas seulement le réchauffement climatique qui est en cause : les vignerons ont les moyens de s’adapter au millésime, sauf dans des cas extrêmes comme la grêle en Hermitage mi avril.
Mais si la politique tarifaire n’est pas fluctuante en fonction de la quantité et de la qualité, il faut quand même que le domaine arrive à fonctionner lorsque les volumes de production sont bas. Et en général, cela va également avec une augmentation des coûts de main d’œuvre et de traitements : c’est le problème de 2014 qui devrait être proposé bien plus cher que 2015, mais qui ne se vendrait pas !