Après avoir rencontré Antonin et avoir lu son petit bouquin, voici une interview d'un des ardents défenseurs de la cause naturiste...
(Interview d'Antonin Iommi-Amunategui, auteur du MANIFESTE POUR LE VIN NATUREL)
C'était un beau samedi de la fin mai, la place du Capitole fourmillait de gosiers secs, les terrasses pleines offraient un peu plus que de l'ombre aux nombreux toulousains en quête de fraîcheur. Ce jour là, je passais une bonne partie de mon temps avec Antonin Iommi-Amunategui, animateur du blog No Wine Is Innocent, et auteur, entre autres, de ce petit bouquin bientôt en rayon : MANIFESTE POUR LE VIN NATUREL. Nous avons déconné, mangé et surtout un peu picolé, en se promettant de remettre à plus tard toute discussion sérieuse à propos du vin naturel. Mais à la veille de sa sortie en librairie (le 14 septembre prochain), j'ai voulu en savoir un peu plus sur ce qui pourrait bien être la première brique liquide du vin naturel de demain.
Bref, sans pouvoir profiter d'un comptoir en zinc pour affuter papilles et argumentaires, c'est par claviers interposés que l'on se retrouve enfin, moi, entrain de jouer les apprentis Elkabbach du pif, et Antonin, que je m'imagine un drapeau verre de rouge à la main, quelque part entre Nation et Bastille...
Compte-rendu d'une discussion intéressante, où l'on apprend que notre blogueur parisien pourrait bien se muer en G.O. de cette troupe grandissante, et ainsi tenter d'organiser un peu cette autre vision de la viticulture qui se conjugue au naturel.
_______________________________________________________
Salut à toi révolutionnaire de la glouglousphère. Tout d'abord, on est dimanche après-midi, comment se passe ta rébellion ? Plus simplement, qu'est-ce que tu fais en ce moment même ?
Salut blogueur sudiste, le nord transmet le message depuis son canapé ! Donc là, ça glande pas mal dur.
Plus sérieusement, tu viens d'écrire un "MANIFESTE pour le vin naturel". Quand je regarde dans mon dictionnaire, plusieurs définitions se cachent derrière ce gros mot. Quelle serait la tienne ?
Manifeste. Many fiestas. Toutes les fêtes que je dois au vin naturel. Manifeste. On lâche ses écrans, on sort battre le pavé pour, collectivement, manifester. Manifeste, plus simplement, comme une affirmation et un parti pris pro-vin naturel. Étant entendu que mon argumentaire est, je crois, étayé de sources solides, variées. Je ne suis pas en roue libre dans ma bouteille bizarre ; j'ai manifestement (!) beaucoup réfléchi à tout ça avant d'écrire ce petit machin rouge.
Voilà une réponse qui égayerait mon Larousse... Bon, si je résume un peu la vingtaine de pages (sans coloriage) de ton bouquin, tu souhaites : définir un cadre législatif au vin naturel, ouvrir une réflexion sur la dimension transversale que ce genre d'allant peut avoir sur la société, tout en condamnant l'opacité des pratiques actuelles. J'ai bon ?
Tu as tout bon, en bref. Une fois ces problématiques posées, la difficulté est surtout de parvenir à un consensus : que les vignerons naturels, en premier lieu, s'accordent sur des prises de position communes et des actions collectives, donc légitimes. Sinon, si rien ne bouge, si le statu-quo perdure, d'ici un an ou deux, ils vont se faire décuver le fondement et ce sera bien tannique. Je veux dire que le vin naturel va se faire sévèrement récupérer par l'industrie pinardière, celle-là même qu'il dénonce à longueur de bouteilles. Cette récupération est déjà en cours, largement entamée : allez jeter un œil dans le rayon vin d'un supermarché, on ne compte plus les cuvées Natur-quelque-chose, les gros macarons SANS SOUFRE, etc. J'ai même lu "vin naturel" sur une étiquette d'un de ces vins-Frankenstein, alors même qu'à ce jour cette terminologie n'est pas réglementaire. Donc oui, en bref, le vin naturel a besoin d'un cadre, audacieux et légitime.
Pour cela, tu entames ton bouquin par pas mal de théorie, un brin de philo et un zeste d'utopie. Tu invoques "Jajathoustra", Nietzsche, Hakim Bey ou encore Steven Jezo-Vannier. Et la ménagère de moins de 50 ans dans tout ça ?
Elle (ou il) est directement concernée en tant que consommateur : derrière mes sorties un peu intello, l'une des questions centrales c'est quelle société de consommation voulons-nous ? On n'échappera pas à la consommation, mais il est encore temps de prendre la tangente, une voie plus humaine, qui englobe dans un destin commun plutôt cool : l'artisan-vigneron, l'artisan-caviste et l'artisan-consommateur. Et c'est évidemment un modèle exportable en-dehors du vin. D'ailleurs, j'ai bien cru voir que les "espaces culturels" d'une enseigne de GD bien connue allaient proposer le Manifeste... On est pas loin de ce que décrit Jezo-Vannier dans son pavé sur la contre-culture, quand il parle de créer l'alternative et d'en démontrer la viabilité depuis l'intérieur du système pour, in fine, le modifier sans violence.
On se croirait dans un version pacifiste des Infiltrés... Mais revenons à notre vin naturel. Pour toi un vin naturel ce doit être un vin issu de raisins propres, vendangés à la main, et vinifiés sans aucun intrant. Cela semble simple comme cadre, l'Association des Vins Naturels semble même s’atteler à pousser le bouchon un peu plus loin que sa charte, en titillant les pouvoirs publics. Tu as des news ?
Pas de news à ce jour. S'ils sèchent sur l'argumentaire qu'ils vont dégainer face aux pouvoirs publics, il y a peut-être deux-trois bullets à choper dans le Manifeste... Je pense notamment au fait de retenir le terme "naturel", très polémique mais essentiel. Ce terme est valide en l'occurrence, même associé au vin, même dans un contexte réglementaire. Pour moi ça ne fait pas de doute, et je le démontre dans le bouquin.
Durant la préparation de ton livre mais aussi dans ton quotidien, tu croises pas mal de vignerons dont les vins pourraient être qualifiés de "naturels". Que pensent-ils de ton initiative ?
Je ne suis évidemment pas légitime à moi tout seul pour mettre un coup de pied dans la fourmilière, loin de là. Le vin naturel officiel sera collectif ou ne sera pas. J'ai donc tenu à demander leur avis à plusieurs vignerons dans le Manifeste. On peut ainsi y lire les réflexions d'Olivier Cousin, Thierry Puzelat ou encore Richard Leroy, Pierre Overnoy... Et, pour te répondre, ça part un peu dans tous les sens. Certains sont favorables à une initiative qui tendrait à réglementer le vin naturel, d'autres pas du tout. On est loin d'être arrivé à ce consensus que j'appelle de mes vœux, parce qu'il est incontournable pour déplacer la montagne réglementaire. Mais je lâche pas l'affaire.
Se pose aussi la question du prix, car le vin naturel coûte souvent un peu plus cher... Quand on sait que le vin se vend en moyenne autour de 3-4 euros la bouteille, comment faire pour changer le regard du consommateur et lui faire accepter de multiplier sa mise par 2 ou 3 ?
L'une des clés serait de lui faire savoir, au consommateur, ce que contient la bouteille à 3-4 euros qu'il attrape négligemment dans le mur de vins de son Carrouf. Si on lui dit qu'il y 15 ou 16 additifs chimiques et parfois presque autant de résidus de pesticides, il aura peut-être un moment d'hésitation... La clé, c'est la transparence : il y a quoi dans une bouteille de vin, que du raisin ? On en est loin. Et l'existence officielle du vin naturel dénoncerait, en creux, cette mascarade.
L'idée d'étiquettes recensant tous les "ingrédients" présents dans une bouteille de vin semble aussi souvent revenir. Qu'en penses tu ?
Comme je le disais juste avant, c'est la même chose pour moi. Si tu valides le vin naturel - qui ne contient que du raisin et, éventuellement, un soupçon de sulfites - tu révèles, par ricochet, cette totale absence de transparence du vin conventionnel. Rendre visible et officiel le vin naturel, c'est une manière détournée (et un peu plus sexy, donc médiatisable) d'appeler à la transparence.
Ne penses-tu pas qu'une révision de la Loi Evin permettrait de sensibiliser un peu plus les Français à cet autre versant de la viticulture ?
Pour moi, franchement, la loi Evin c'est un marronnier-épouvantail qu'agitent régulièrement les journaleux du vin pour ne pas parler des vrais sujets. On boit près de 50 litres de vin par an et par habitant en France, arrêtez de nous emmerder parce que Mouton-Cadet ne peut pas avoir de spot de pub de 30 secondes sur TF1 ou qu'on ne boit pas de vin dans Top Chef. La belle affaire... La loi Evin c'est peanuts, c'est surtout un sujet bien consensuel et racoleur dans le milieu, une manière de caresser la filière dans le sens du poil. Mais le vin est bien trop important pour qu'on se contente de cette poudre aux yeux. Le vin a une responsabilité, surtout en France, celle d'être exemplaire. Et le vin naturel, en particulier, parce qu'il est en première ligne, parce qu'il est surmédiatisé, a cette opportunité historique - je pèse mes mots - d'allumer la mèche d'un changement profond, viable et durable, qui déborde largement le cadre du vin.
Tu opposes assez froidement vin naturel et vin conventionnel. Ne penses tu pas que la palette soit un peu plus large ?
Si, bien entendu. Mais si on prend 100% des vins, en volume, on doit pouvoir trancher simplement pour expliquer simplement : 90% des vins n'ont aucun intérêt et sont bourrés de saloperies, que ce soit à la vigne ou en en vinif. Quant au vin naturel, il ne représente même pas 1% du vin, mais il explose, il est surexposé, hypervisible. D'où sa responsabilité actuelle, celle de faire bouger les lignes de l'agriculture. Et si on change de modèle agricole, si on change ce qu'on bouffe, ou picole, on change tout. Au minimum, ça méritait un manifeste.
Et sinon, actuellement, quel est ton vin de chevet ?
Je n'ai vraiment pas de vin de chevet, ou alors un harem. Mais j'ai un souvenir assez récent d'un vin de Pierre Rousse (Domaine Le Pelut, Languedoc), je ne sais même plus de quelle cuvée il s'agissait, la bouteille a débaroulé en pleine soirée, elle est passée devant moi juste le temps de m'en servir un demi-verre, il y avait du pinot noir... Peu importe, c'était un vin formidable. (Attention, auto-promo : Pierre sera à Lyon, les 1 et 2 novembre, au deuxième salon Rue89 Lyon des vins.)
Quand on s'est croisé, on a bu pas mal de canons ensemble et tu m'as plusieurs fois répété qu'un vin devait être un peu sale pour te faire vibrer. Explique nous un peu ce que tu entends par là ?
Le mot "sale" peut hérisser le duvet des buveurs de vins lisses, mais c'est une boutade. En fait c'est amusant parce que je lis Kermit Lynch et ses aventures sur les routes du vin en ce moment. Et il y a un long passage sur la question de la filtration : lui ne kiffe rien plus que les vins non filtrés, mais les vignerons à qui il cause - qui ne sont pas des hippies - s'ils admettent que la filtration a tendance à castrer les vins, ont parfois du mal à ne pas s'y résoudre, pour des motifs commerciaux : le dépôt, les traces visibles sur la bouteille couchée, c'est pas vendeur. Au-delà, dans un vin naturel, il peut y avoir à boire et à manger, il peut y avoir du gaz, voire une séquence déviante. Mais je ne bois pas du vin pour me retrouver toujours avec le même liquide lisse. En vin naturel, on est surpris, chaque bouteille est - et doit être - inattendue. Parfois c'est une mauvaise surprise, le vin goûte mal, il est tordu ; mais souvent c'est une épiphanie, une révélation. On s'éclate alors, sans chichis, et on ne pourra jamais s'amuser autant avec un vin BCBG ou standardisé. Alors oui, vive les vins "sales".
Dernière question : Antonin et Hubert de Boüard sont sur un bateau. De quoi parlent-ils et qui tombe à l'eau ?
Haha. Je lui parle de sa performance dans le film d'Isabelle Saporta, tiré de son bouquin Vino Business : c'est quoi cette idée de mettre des bottes crottées et un smoking, Hub ? Ensuite, je vais me baigner.
_______________________________________________________
Et moi ? Ai-je le vin naturel dans la peau ? Je dois dire que quand j'ai acheté le petit livre rouge d'Antonin, c'était plus par curiosité que par conviction viscérale. Malgré tout, après sa lecture, je dois bien admettre que ne pas vouer une certaine forme de sympathie pour les initiatives valorisant cette viticulture à échelle humaine, responsable et éprouvée serait pure hypocrisie personnelle, car la grande majorité de ma cave se compose de ces vins. Alors, de ma simple place de consom'acteur de ce système, j'imagine cette initiative louable et même si elle n'arrivait pas dans l'immédiat à retourner une économie où les profits s'entêtent un peu trop souvent à éclipser le pan culturel d'une viticulture enivrante en tous points, elle aura au moins ouvert une parenthèse un brin utopiste dans laquelle il ne fait aucun mal à s'épanouir.
Reste à s'organiser, c'est vrai, mais la dimension libertaire de cette mouvance naturiste dénote sacrément avec l'appareil quasi militaire dirigeant une machinerie industrielle qui phagocyte notre société avec une désarmante aisance. La solution ne pourra donc uniquement venir de cette simple bande de vignerons bourrés de convictions estimables, le client aura sa part, immense, dans cette histoire.
Et dans le vaste nuancier d'une viticulture aux multiples visages, voici donc peut-être venu le temps d'officialiser la venue d'un vin naturel aux atouts bien complémentaires du reste d'une production à laquelle on évitera de l'opposer de façon systématique. Les itinéraires et les histoires que le vin sait raconter sont bien trop nombreux pour que l'on puisse éteindre une telle richesse de teintes. Reste que le temps d'un manifeste, il est tout de même intéressant de se pencher avec intérêt sur les prémices de cette révolution, rouge par nature...