Bonjour et meilleurs voeux!
Il y a des expériences qui vous marquent. Ceux qui me connaissent savent que je suis sans cesse en train d'expérimenter. En voici une qui risque d'influencer mon travail futur (ou pas??). Chaud devant!
Il s'agit du sulfitage ou non de mon Riesling Grand Cru Frankstein. Jusqu'à présent, je réalisais l'ensemble de l'élevage sans soufre, grâce à plusieurs préalables déjà cités sur ce fil: raisins parfaitement indemnes de pourriture, raisins bien concentrés et mûrs apportant une stucture permettant la tenue du vin, fermentation très longue de presque un an permettant à la fois d'apporter une saturation en CO2 sur toute la période et donc d'exclure toute oxydation, mais aussi de garder en suspension les lies protectrices qui vont enrichir et rendre le vin résistant, surtout si il bénéficie d'une microoxygènation au travers de contenants en bois. D'après mon expérience, si je parviens à réunir tous ces préalables, je parviens à obtenir un vin parfaitement pur et indemne de toute déviation: c'est le cas depuis quelques années maintenant. Sauf que pour moi, le Frankstein s'exprimant sur la pureté et l'élégance, et d'après ce que j'avais goûté en sans soufre, presque sans soufre, et tous les intermédiaires et techniques, si le sans SO2 apportait un avantage certain en buvabilité, et qu'il exprimait superbemant certains terroirs quand bien fait, cette technique ne permettait pas d'obtenir cette pureté florale qui se dégage du terroir granitique du Frankstein. Donc, au moment de l'embouteillage, je pratique une légère filtration avec un sulfitage très réduit (en général 3g/Hl). Pas pour éviter l'oxydation, ni le risque de déviation bactérienne ou autre: je fais confiance à ma matière première. Mais simplement pour garder ce caractère si épuré et aérien, ce côté un peu plus classique aussi pourrait-on dire. J'ai fait sur un autre terroir qui produit des vins plus gouleyants une cuvée zéro soufre: même élevage que pour le Frankstein, mais ni filtration ni sulfitage à la mise: superbe réussite à mon goût, on a l'avantage de la gourmandise et digestibilité du sans soufre, sans l'inconvénient des défauts, et il se garde très bien (bouteille ouverte 10 jours sans oxydation). Mais le vin est dans un style un peu différent, gourmand, croquant, ample qui va bien à ce terroir mais que je vois moins sur le Frankstein.
Mais tout de même, puisqu'il ne faut pas rester figé, en 2012 je tire 6 bouteilles de la cuve le jour de l'embouteillage mais avant le sulfitage et la filtration.
Dégustation 6 mois après: confirmation de ce que je présupposait, le sans soufre est très gourmand et sans déviation, mais la version sulfitée le surpasse par sa pureté, bien qu'un poil austère.
Dégustation 1 an après mise, à l'aveugle avec un groupe de dégustateurs plutôt fans de nature. Résultats partagés pour les préférences, et beaucoup se trompent à la devinette, car c'est le sans soufre qui a le plus de pureté.. tiens donc?
Puis, juste avant noël, un petit groupe de vignerons pas forcément portés nature me rend visite pour goûter ma production, je leur sers donc l'essai en aveugle. 80% préfèrent la version sulfitée: le nature est bien réussi et relativement net pour ce type de vinif, agréable mais le sulfité a quand même plus de pureté, de tension, droiture et surtout salinité. Le groupe est partagé mais préfère quand même la version sulfitée pour ces raison et pour l'avenir, c'est un vin de garde, ca se sent, qu'ils disent. Découverte des bouteilles: patatras, en fait celui qui a été pris pour le sulfité était le nature. Oui, relisez plus haut, c'est bien le nature qui a plus de pureté, tension, droiture, salinité!! On tombe des nues, mais finalement cela confirme l'évolution ressentie après 1 an versus 6 mois: jeune, il est effectivement moins pur, mais un an de vieillissement lui suffit à supplanter son frère! Nous sortons déjà bien ébranlés dans nos têtes.
Il reste 4cms de vin dans les bouteilles, que je place au frigo. Je pars pour les fêtes, et au retour début janvier, on se dit que c'est super de pouvoir goûter si ça tient bouteille ouverte (3 semaines pile). Ma compagne me les sert à l'aveugle. Pas moyen de trouver une trace d'oxydation au nez, aucun indice pour repérer le sans soufre! Ils sont bien plus discrets qu'à l'ouverture mais tiennent parfaitement. Idem en bouche: moins d'arômes, mais très belle acidité bien préservée pour les deux versions. Seul indice: une finale un peu plus floue avec quelques amers sur une version, finale plus pure avec un superbe fruit sur l'autre. Ah, le sans soufre perd un peu pied en fin de bouche tout de même. Perdu, c'est l'inverse!! Mes parents dégustent et tombent sur la même conclusion à l'aveugle, préférence au sans soufre qu'ils identifient comme étant le sulfité!
Bon, après cela quelles conclusions tirer?
Si je savais que les vins non sulfités tel que je les produits résistent à l'oxygène, et je savais aussi qu'un vin non sulfité gagnait en droiture au vieillissement, jamais je n'aurais immaginé un tel résultat. Mais bien sûr beaucoup de questions se posent: est-ce reproductible chaque année? Comment savoir su la cuvée que j'ai entre les mains au moment de la mise se comportera aussi bien, pour que mes clients aient toute la garantie de qualité? Mais surtout, je pense que pour avoir ce résultat, il est d'une importance primordiale de ne pas filtrer le vin: mes clients accepteraient-ils un trouble dans le vin? Il y a tellement de préjugés sur les vins bio que la vue d'un vin trouble peut leur faire croire qu'il a tourné... Et je n'ose même pas penser au dégustateurs de l'agrément...
J'ai encore 6 mois pour méditer avant l'embouteillage du 2014 ;-)
Florian