A l'Est du nouveau: l'émergence de petits domaines viticoles de qualité au Liban
Nous avons eu la chance de découvrir ce pays magnifique, suite à l'invitation généreuse d'amis qui vivent en partie sur place (et nous remercions au passage Rita et Hertrout). Notre visite du Liban était bien sûr centrée sur les richesses archéologiques (notamment Baalbek et Byblos) ou naturelles (forêt de cèdres de Barouk) du pays mais elle fut également agrémentée de la visite de domaines viticoles, nos amis connaissant notre intérêt en la matière.
De façon générale, il n'est pas très facile de circuler au Liban car, si l'état des routes est tout à fait correct, la signalisation routière est parfois assez limitée, ce qui rend dans certains cas une peu difficile la recherche des domaines viticoles, surtout si ils sont de petite taille comme ce fut le cas pour nous (mis à part le domaine Musar qui, d'une part, n'est pas un petit domaine à proprement parler (de par sa renommée et sa production) et, d'autre part, est assez aisé à trouver). La ténacité de nos amis et la serviabilité des habitants nous a permis de nous rendre finalement dans ces domaines.
Ce voyage a eu lieu vers la mi-octobre 2009. Le compte-rendu est presque prêt depuis environ 1 mois mais nos compétences très limitées en informatique expliquent le retard… Il comprend cinq parties, correspondant à nos quatre visites de domaines viticoles et à une cinquième partie qui détaille d'autres dégustations et donne des informations sur d'autres domaines viticoles libanais.
PREMIERE PARTIE "Musar: la réalité d'un mythe"
Nos amis ont organisé la visite de ce domaine qu'ils connaissent bien (leur cave contient quelques vieux flacons dudit domaine et ils ont déjà visité ce domaine dans le passé). Nous avons aussi dégusté ensemble quelques millésimes de Château Musar et nos amis sont bien au courant de mon intérêt pour ce domaine.
Ce domaine est situé à Ghazir, à une vingtaine de kilomètres au nord de Beyrouth. Dès que nous quittons la côte, la route s'élève immédiatement et nous apercevons le domaine au détour d'un virage. Les bâtiments sont en fait ceux d'un château datant du XVIIIème siècle et qui s'appelait "Mzar", au sommet de la colline de Ghazir. Ces bâtiments ont un certain cachet.
Nous sommes donc attendus à 10h30 au domaine et, à l'heure dite, nous entrons. Nous rencontrons Fadia Kadamany qui nous précise d'emblée que les vendanges ont commencé fin août par les jeunes vignes en blanc (qui forment la "cuvée Musar" ) et se sont poursuivies en septembre par les rouges. Elle ajoute que, demain (le 13 octobre 2009), les vieilles vignes d'Obaideh et de Merwah, qui entrent dans la composition du Château Musar blanc, seront vendangées.
Nous remercions d'ailleurs vivement Gaston Hochar de nous avoir accueillis dans ces circonstances.
Il est un peu tôt pour se prononcer sur la qualité du millésime 2009 qui n'a apparemment pas été très facile à gérer, des pluies exceptionnelles intervenant en pleines vendanges en septembre. Les fermentations n'ont duré ici qu'un peu plus de quinze jours. Les cuves de fermentation, en béton, viennent d'être vidées et le vin a été transféré, selon les cuvées, en cuves inox, béton ou en barriques de chêne français (dont 20 à 30% sont renouvelées chaque année).
Fadia Kadamany nous fait visiter les installations techniques où sont produites chaque année 500 à 800.000 bouteilles qui seront e, majorité exportées. Le domaine compte un peu moins de 200 hectares et le rendement moyen est d'environ vingt à trente hectolitres par hectare (avec une densité de plantation de 1.600 à 3.200 pieds par hectare), sur des sols surtout calcaires ou parfois argilo-calcaires. Les cépages de raisin rouge au domaine sont tous des vignes greffées-soudées; elles ont toutes un porte-greffe. Les cépages de raisin blanc local, l'Obaideh et le Merwah, sont des plants francs de pied, donc sans porte-greffe. Il s'agit des seules vignes de variété autochtone au domaine. Il semblerait d'ailleurs qu'il n'y ait pas de cépages autochtones de raisin rouge tant au domaine et qu'au Liban (mis à part, sans doute, quelques vignes sur de petites superficies qui ne donneraient que de petites quantités destinées le plus souvent à une consommation essentiellement familiale et qui ne sont pas commercialisées, en principe). En général, les producteurs de vin au Liban utilisent tous des cépages importés pour produire du vin; Musar semble faire exception en utilisant des cépages autochtones pour son Château Musar blanc et vise à donner à ces cépages leurs lettres de noblesse.
Certains vignobles sont cultivés en agriculture biologique et bénéficient du label du bureau de certification Italien "Istituto Mediterraneo di Certificazione" (IMC) depuis 2007 tandis que les autres sont en voie de certification. Il y a une vingtaine d'employés à Ghazir alors que plus d'une centaine de saisonniers travaillent dans les vignes qui sont situées sur les coteaux de la Bekaa, à plus de 1.000 mètres d'altitude. Le domaine a été créé par le grand-père du propriétaire actuel, en 1930, et constitue l'un des plus anciens domaines libanais, si l'on excepte le cas particulier des domaines liés à des monastères (je pense en particulier à Ksara créé en 1857 et exploité par des religieux jusqu'au début des années 1970).
Nous visitons également les pièces où est produit et stocké l'arak (jus de raisin distillé en eau-de-vie auquel on ajoute des graines d'anis; il vieillit ensuite pendant douze à vingt-quatre mois dans des jarres en argile). Le domaine propose deux araks, l'un à base d'alcool distillé trois fois et l'autre distillé quatre fois; ce dernier est plus doux et la clientèle visée est celle des étrangers (car les libanais préfèrent celui distillé trois fois et qui est plus "rustique" ). Musar est, selon les informations fournies au domaine, le seul domaine à proposer un tel arak au Liban. Je ne les ai pas (encore) goûtés (car nous avons acheté ces deux araks, afin de les comparer).
Nous visitons enfin les caves où, sur deux niveaux, vieillissent, à une température constante de quinze degrés (un "exploit" pour le Liban), plus d'un million de bouteilles. Je repère notamment un 1979, excellent vin dégusté en 2003 en compagnie de Marc De Wolf et de DidierD. Nous passons à côté du cœur de la cave qui renferme les vieux millésimes, une grille nous sépare d'eux… et cela me donne un peu la chair de poule... Le domaine vend des flacons remontant jusqu'à 1954 (car Serge Hochar, le père de Gaston, ne veut vendre que les millésimes qu'il a personnellement suivis).
Vient ensuite le moment privilégié de la dégustation en compagnie de Gaston Hochar, troisième génération de la famille Hochar, qui nous reçoit dans la cave de vieillissement du vin en barriques.
Nous commençons par la
"cuvée Musar" 2008 en blanc (cette cuvée est désormais commercialisée sous le nom de "Musar jeune" ). Elle est issue de vignes d'environ 10 ans et des cépages Viognier, Vermentino et Chardonnay (les plants viennent de France). Le vin vieillit en cuves inox. La robe semble claire (la luminosité de la cave ne permet pas de percevoir toutes les nuances). Le nez est frais, sur les agrumes, avec une très légère pointe d'anis. La bouche est agréable, sur les agrumes et les fleurs et fruits blancs. Bonne longueur. C'est un bon vin, destiné à être consommé rapidement (vendu un peu plus de 5 Euros au domaine -prix calculés dans ce message sur la base de la parité USD/Euro qui était en octobre 2009 d'environ 1,5 USD pour 1 Euro-).
Cette nouvelle stratégie commerciale, qui propose des cuvées prêtes à déguster, semble intéressante.
Nous dégustons ensuite le
Château Musar blanc 2001. Les cépages Obeidah et Merwah sont respectivement apparentés au Chardonnay ou au Chasselas, d'une part, et au Sémillon, d'autre part. Après un passage en cuve, le vin vieillit en fût neuf mois et est ensuite mis en bouteille. M. Hochar précise que ce vin doit être servi à température de cave (environ 15 degrés), afin que ses arômes s'épanouissent pleinement. Ce vin a une belle robe ambrée et son nez est très riche (miel, épices chaudes (cannelle)), sur un fin boisé. Ce vin n'a pas de notes oxydatives, contrairement à la plupart des bouteilles (goûtées sur d'autres millésimes) que j'ai eu l'opportunité de goûter jusqu'à maintenant, et c'est aussi le meilleur Musar blanc que j'ai pu déguster. Sa longueur et son équilibre sont très grands et il ne ressemble finalement à aucun vin que j'ai pu déguster sauf peut-être, en partie, à un grand banyuls blanc sec. Nous l'aimons beaucoup (vendu 12 Euros au domaine).
Nous poursuivons par la
"cuvée Musar" 2008 en rosé. Il est issu notamment de Cinsault et est assez foncé pour un rosé. Son nez est sur la fraise et les fruits rouges. La bouche suit le nez et le vin a un bon équilibre en bouche. Longueur correcte. Je n'aime pas le vin rosé mais celui-ci est bon et prêt à boire.
Place aux rouges; nous goûtons en fait les trois cépages qui composent le Château Musar. Comme ce vin est élevé en barriques pendant environ douze à quinze mois, des échantillons ont donc été tirés de fût pour nous.
Le premier échantillon a une couleur rubis, le nez est sur les fruits rouges. La bouche est équilibrée, le vin a une belle longueur et est sur la finesse. Il s'agit du
Cinsault 2008 du Château Musar. Un vin très gourmand.
Le deuxième échantillon a une couleur foncée, le nez est sur les fruits noirs (cassis). La bouche est bien structurée mais les tanins ne sont pas agressifs. Le vin a une belle longueur. Il s'agit du
Carignan 2008 du Château Musar. Un vin très costaud.
Le troisième échantillon a une couleur foncée mais un peu moins que le précédent. Le nez est sur les fruits rouges et noirs. La bouche est très structurée et le vin a une belle longueur (il est même un peu sur la réserve). Il s'agit du
Cabernet Sauvignon 2008 du Château Musar. Un vin très ferme, voire un peu austère. Aucunes notes végétales, en tout cas.
Nous évoquons la complémentarité des ces trois cépages (le Cinsault serait la peau, le Carignan le muscle et le Cabernet Sauvignon le squelette du vin), ce que confirme Gaston Hochar qui précise que cette complémentarité a toujours été la philosophie du domaine. L'assemblage se fera d'ici quelques mois, en 2010, et le vin sera encore gardé quatre années en bouteilles (le 2001 est actuellement vendu 18 Euros au domaine).
Gaston Hochar considère que 2008 est une bonne année et qu'il faut de toute façon attendre le vin au moins encore sept ans après sa commercialisation (qui interviendra en principe en 2014-2015), avant d'être à maturité. Il déguste actuellement avec grand plaisir les millésimes 1991 ou 1995. Il considère que 1999 sera une grande année mais qu'il faut l'attendre.
Il me fait part des soucis que connaît désormais le domaine pour exporter de vieux millésimes en Europe, suite à une nouvelle réglementation mise en place par l'Union européenne. Les vieux millésimes proposés au domaine sont à des prix conséquents, compte tenu aussi de leur rareté.
Nous discutons du millésime en cours et Gaston Hochar reste confiant, même si ce millésime n'a pas été facile (il nous parle des pluies intervenues fort heureusement alors que la majeure partie des raisins était déjà dans les chais). Il me fait également part d'une anecdote sur la difficulté de cultiver des raisins en agriculture biologique: en effet, il y a quelques mois, son œnologue l'informe du fait qu'une partie du vignoble était envahie par des chenilles; Gaston Hochar se donne quelques jours de réflexion avant de prendre toute décision qui aurait de grandes conséquences pour le domaine (perte d'une partie de la récolte ou du label bio, à priori) et son œnologue le recontacte peu après pour lui dire que les chenilles ont en fait disparu… elles furent apparemment dévorées par des oiseaux migrateurs qui ont, dans les autres domaines voisins, inversement commencé à manger les raisins !
Nous quittons à regret cet endroit mythique… avec l'espoir de pouvoir un jour y retourner.
Le site Internet du domaine est:
www.chateaumusar.com...
La suite (la deuxième partie) concernera notre visite au domaine des Coteaux de Botrys, effectuée deux jours après celle de Musar.