"Sur des centaines de kilomètres, la piste qui mène au vignoble de Neuras traverse d'arides collines rocailleuses, aux confins des dunes de sable du Namib. Là, perdue dans la pierraille brûlante du sud-est de la Namibie, une oasis abrite un miracle: le vin du désert.
Lorsqu'Allan Walkden-Davis, ancien directeur général de Shell Namibie aujourd'hui à la retraite, a découvert le domaine en 1996, des années de sécheresse consécutives avaient consumé la moindre végétation sur les 14.000 hectares de l'exploitation.
Dans la région, "les gens vendaient les fermes pour s'installer à la ville, ce n'était plus viable", raconte ce Britannique d'origine, qui a grandi au Zimbabwe.
Les élevages d'agneaux de Perse (Karakul), tués à la naissance pour en prélever la peau appréciée des maroquiniers de luxe, constituaient le seul revenu aux abords d'un des plus anciens déserts de la planète. Sans eau, sans végétation, les fermiers abandonnaient l'un après l'autre.
C'est dans ce contexte désolé qu'Allan et son épouse Sylvia ont acquis la ferme de Neuras ("la terre de l'eau abandonnée" dans la langue locale, le Nama), par pure "passion pour cette partie de la Namibie".
Mais le domaine réservait une surprise de taille: cinq sources d'eau pure surgies d'une faille géologique, dissimulées dans les broussailles, qui avaient au début du XXe siècle arrosé les parcelles d'un maraîcher allemand.
"Du raisin de table poussait encore, de très vieilles souches porteuses d'immenses grappes", raconte cet amoureux du désert, féru d'histoire et d'ornithologie.
Abrie Bruwer, oenologue sud-africain de la grande région vinicole du Cap, est venu voir, intrigué. Un joyau: tous les ingrédients d'une terre viticole idéale étaient réunis à l'orée du Namib. Une terre peu profonde sur un lit de roches, un sol calcique au PH idéal, une eau tellement pure qu'elle pourrait bénéficier d'un label d'eau minérale...
Et Walkden-Davis désigne les bosquets de roseaux et de palmiers qui ombragent les sources. "Ils capturent l'humidité des brises qui viennent de l'Atlantique, traversant les dunes de sable, et la répandent sur l'oasis".
Décision fut prise de défricher la broussaille. Et de planter des pieds de Shiraz, rejoints plus tard par des rangs de Merlot, sur un modeste hectare de vignes arrosées par les canaux d'irrigation centenaires enfin restaurés.
Après une vie passée au service du pétrole, Walkden-Davis ignorait tout de l'élaboration du vin. Sa première production, en 2001, fut "un désastre", rappelle-t-il dans un éclat de rire.
Depuis, cet avide curieux suit "au moins une fois par an une formation" dans les vignobles d'Afrique du Sud. Et "la vigne la plus sèche du monde" attire les oenologues du monde entier, qui dispensent conseils et enseignement.
Neuras a fait le choix de ne vendre son précieux Shiraz, ainsi qu'un unique assemblage Shiraz-Merlot baptisé "Namib Red" aux arômes de fraise, qu'aux seuls visiteurs de l'oasis.
Il faut gagner le privilège de goûter ces "vins de domaine des confins du désert de Namib", aux sobres étiquettes illustrées de palmiers.
Avec leur identité toute particulière, lié à ce minuscule terroir et au soin tout personnel apporté au processus de fermentation, les vins de Neuras séduisent les connaisseurs.
Lassés des vins sans surprise à la qualité garantie par les progrès de l'oenologie, "les gens commencent à rechercher des vins de tel vigneron, de telle année", souligne le propriétaire. A 3.000 bouteilles par an, Neuras entend préserver la rareté qui fait son succès. Même si Walkden-Davis envisage de planter trois hectares supplémentaires..."
(AFP, 20/05/08)