Simple envie de vous faire partager quelques périgrinations sur place avec quelques CR en plus.
Cette région le mérite amplement.
[size=x-large]Ahr - OenoRando - Généralités[/size]
« Gulliver in Rotwein-Lilliput » : la citation est de Stuart Pigott mais on ne peut s’empêcher d’approuver la justesse de ce qui n’est pas qu’un bon mot.
Un bon marcheur arriverait à parcourir la région d’ouest en est en une journée : 565 Ha de vignes accrochées à des coteaux à la pente parfois vertigineuse sur 30 kms de vallée entre Altenahr et Heimersheim. Une des petites régions viticoles d’Europe, une des plus « nordiste » également puisqu’elle se situe au niveau du 50ème parallèle nord, là où la vigne n’a que peu de chance de produire un raisin de qualité. Et pourtant…
Etonnamment, le rouge est prédominant et les vins de pinot noir (spätburgunder) prennent de plus en plus une stature qui les range parmi les plus séduisants et originaux de ce cépage.
Sans être chargée du romantisme vrai ou de pacotille que l’on peut rencontrer sur le Rhin tout proche, la vallée ne manque pas de pittoresque dans sa partie ouest jusque Walporzheim et Ahrweiler (dont le centre piétonnier veut conserver une certaine allure d’époque sans vraiment y arriver) et permet des coups d’œil saisissants pour ceux qui apprécient une nature restée en apparence relativement intacte, agricole ou forestière. En revanche, plus on rapproche de l’embouchure avec le Rhin, plus l’urbanisation prend de la place et donne le curieux sentiment d’hésiter entre industrialisation et campagne agricole où les coteaux ont vue imprenable sur des zones bâties sans intérêt particulier. Cela dit, on peut encore trouver un charme bucolique par endroit, par exemple en rêvassant sous un chêne dans le Kapellenberg, dernier vignoble significatif vers l’est.
CARTE
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Si la rivière coule paisiblement de l’ouest vers l’est (pour se jeter dans le Rhin au sud de Remagen), ses méandres provoquent de fréquents changements d’orientation du flanc nord (rive gauche) de la vallée, orientation qui varie également au gré des nombreux vallons transversaux qui y creusent leur sillon. Le vignoble n’est donc pas aussi homogène que l’on pourrait le croire en matière d’exposition, même si les meilleures parcelles sont souvent orientées au sud. Il en va de même pour les sols où l’on rencontre schistes, grauwacke, loess et argiles fins en proportion variable selon la pente et les endroits. En général, on distinguera toutefois deux grandes catégories dans les vins : ceux issus de terrains très caillouteux à dominante schisteuse (Schieferboden) auxquels on pourrait associer les zones à dominante gréseuse (Grauwackeboden) et les autres, à dominante loess / argiles (Lösslehm) voire alluvionnaires en fond de vallée. Les premiers donnent des vins plus élégants, plus fins et subtils alors que les seconds produisent des crus plus amples. Dans la pratique, les lieux-dit délimités (Lagen) présentent rarement une homogénéité géologique parfaite, comme on le constatera au fil de la promenade.
Géologie de la région
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Parfois, sur une même dénomination, on peut donc trouver tout et (presque) son contraire d’autant qu’une délimitation large des vignobles pourrait conduire aussi à une disparité de qualité. Le meilleur exemple de ce patchwork en est le cru (Lage) Mönchberg à Mayschoss : 60 ha implanté sur un cirque d’orientation est à ouest, traversé par une mini-vallée et des coteaux qui vont du légèrement pentu à la raideur extrême. On y trouve à peu près tous les types de sols de la région et partant, un encépagement des plus varié (voir carte géologique ci-dessous). En fait, c’est un faux problème puisque la plupart des producteurs réservent l’appellation à leurs crus les plus prestigieux où l’adéquation cépage / terroir est patente et le profil gustatif bien cerné. Pour l’entrée et le milieu de gamme inférieur, on en reste principalement au « vin de cépage » avec des origines qui peuvent être variées ou non selon les propriétés (assemblage de raisins provenant de différentes parcelles voire de différentes localités de la région). Différents paramètres peuvent alors entrer en ligne de compte (assemblage de terroir, accent sur l’âge des vignes, le rendement, longueur et type élevage, etc..) pour conférer au vin fini le profil souhaité par son géniteur. Le haut de gamme, mais aussi parfois le milieu de gamme supérieur, isole les différents crus ; chez les producteurs membres du VdP la mention « Grosses Gewächs » est de mise s’il échet mais seuls trois cépages y ont droit (spätburgunder, frühburgunder et riesling). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le vignoble ne se cantonne pas à la rive gauche de l’Ahr et on trouve pas mal de parcelles, moins connues et parfois moins qualitatives sur la rive opposée. Si l’exposition est bonne, les raisins qui en sont issus peuvent même, le cas échéant, être intégrés dans des cuvées de référence en milieu de gamme.
Exemple de panneau informatif : la carte géologique de Mayschoss
Parcourir le vignoble à pied permet de mieux recadrer ce qu’il nous sera permis de déguster dans le verre. Parmi les constats effectués au gré de nos pas : même si elles sont plutôt minoritaires, toutes les parcelles ne sont pas en coteau et il est planté (rarement, il est vrai) sur des pentes débonnaires qui autorise(raie)nt une bonne mécanisation ; en revanche, certaines autres parcelles sont à ce point vertigineuses que l’on hésiterait à s’y aventurer sans s’encorder. Les plus connues se situent entre ces deux cas de figure mais avec une pente respectable. On observera également que la grosse majorité des vignes sont désherbées chimiquement sous le pied mais enherbées entre les rangs pour peu que les sols ne soient pas à ce point caillouteux que seuls les débris de roche affleurent.Toutefois, ces zones schisteuses ne sont pas si fréquentes et en tout cas beaucoup moins visibles qu’en Moselle.
Sur un autre plan, il faut saluer l’énorme travail didactique effectué sur place même si l’on pourrait regretter qu’il soit unilingue allemand (un exemple figure ci-dessus pour le terroir de Mayschoss). La mise en place du Rotweinwanderweg (sentier du vin rouge) avec ses multiples panneaux explicatifs est une réussite qui devrait inspirer d’autres régions.
Ce sentier sera le fil rouge qui guidera d’ouest en est, au fil des localités et vignobles, la suite de nos impressions : photos (toutes personnelles avec une qualité moyenne pour laquelle j’espère quelque indulgence), dégustations (on en profitera pour insérer ici les CR des bouteilles dégustées également lors des sessions « pinot noir Europe »), données sur les lieux (Lagen) les plus importants (sources :
www.ahrxwein.de ;
www.ahrwein.de et sur papier l’excellent ouvrage collectif « Weinatlas Deutschland », la remarquable plaquette éditée par Ahrwein «Stein und Wein an der Ahr » et les données du Deutsches Weininstitut). La plupart du temps, on se limitera au spätburgunder, pierre angulaire de la région.
Il faut comprendre cette contribution comme un simple témoignage, rien de plus rien de moins, de quelques randonnées sur place avec le souci de les relier tant soit peu à quelques éléments plus factuels sur ce magnifique terroir et les vins de grands intérêt et plaisir qui y sont produits.
[size=x-large]Partie 1 : De Altenahr à Rech[/size]
[size=large]ALTENAHR[/size]
Übigberg
Un peu tombé en désuétude, ce vignoble jadis très éclaté (plusieurs sous parcelles disséminées sur Altenahr et environs) représente aujourd’hui peu de chose mais une partie vient d’être replantée.
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Exposition :
Sud pour la partie exploitée
Sols / Sous-sols :
Grauwacke et schistes délités
Altitude / pente :
150 à 240 m / pente moyenne à forte (80% de pente raide)
Superficie :
< 2 Ha sur 32 Ha à l’origine
Encépagement :
Riesling, weissburgunder, spätburgunder[/size]
www.krier-thilion.eu...
Altenahrer Eichert Spätburgunder 2014 – Michael Fiebrich (19,00 €)
Petit et jeune domaine en culture Bio (créé en 2008) adepte des interventions aussi limitées que possible tant à la vigne qu’à la cave. Eichert est une parcelle spécifique de l’Übigberg.
Ce vin est un OVNI (origine vinique non identifiée) tellement il tranche aromatiquement avec ses pairs. Le premier nez est légèrement réduit (« crin de cheval », chambre à air) puis il s’ouvre sur un fruit acidulé (compote d’airelles, groseille) avec une note végétale marquée (ronce) et de curieuses senteurs de craie. En bouche, après une attaque un peu raide, c’est strict, nerveux avec des tanins accrocheurs mais fins, très personnel. Aucune trace de bois malgré l’élevage en chêne neuf français. Rustique avec une impression de maturité minimaliste (effet millésime ?). Coing et épices en rétro et finale brute légèrement réglissée.
Vin étonnant et original (en dehors des standards de l’appellation)
Eck (1ste Lage)
Vignoble partagé en deux parties par un éperon boisé, qui marque une césure entre deux zones aux composantes géologiques différentes. La partie qui domine Reimerzhoven (à droite sur la photo 2) est nettement moins pentue.
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Exposition :
Sud / Sud-Est
Sols / Sous-sols :
Grauwacke et schistes délités caillouteux pour la partie gauche (Burg Are) ; dominante d’argiles fines et loess sur la partie droite (Reimerzhoven)
Altitude / pente :
150 à 260 m / pente moyenne à forte (inclinaison de 60% sur la partie gauche et de 30 à 40% sur la partie droite)
Superficie :
22 Ha dont 9 plantés
Encépagement :
Spätburgunder 6 ha, riesling 3 ha[/size]
Altenahrer Eck Spätburgunder Grosses Gewächs 2013 – Deutzerhof (52,00 €)
Faut-il encore présenter ce domaine ? Feu Wolfgang Hehle fut une des figures marquantes de la région. Son épouse et le maître de chais, Hans-Jörg Lüchau, continuent l’esprit du domaine avec fidélité et engagement. Des vins qui n’ont sans doute pas la netteté bourguignonne de Stodden ou la fine complexité de Mayer Näkel mais qui figurent indubitablement dans le top 5 de la région.
Au départ fermé, le nez exprime assez rapidement des senteurs de terre, de fruit noir (sureau), de raisin de corinthe et de réglisse avec des notes balsamiques et florales à l’aération. C’est d’une bonne complexité, profond et aristocratique mais d’une intensité qui demeure moyenne. En bouche, l’attaque est fine, précise, assez stricte. La matière est serrée, ferme et fraîche. Belle acidité et tanins mûrs. Grande longueur. C’est manifestement un vin de haute stature, puissant, riche et musclé dont le potentiel ne s’exprime pas encore complètement aujourd’hui malgré le fait qu’il donne déjà pas mal de plaisir. Grand vin en devenir, proche par son style d’un grand cru de Gevrey.
[size=large]MAYSCHOSS[/size]
Mönchberg (1ste Lage)
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Exposition :
Sud-Est à Ouest selon les parcelles
Sols / Sous-sols :
Schistes délités caillouteux à très caillouteux pour les parties pentues ; les autres parties présentent principalement des argiles fines avec une proportion variable de grauwacke et schistes en sous couche
Altitude / pente :
140 à 260 m / pente faible à forte (inclinaison de 10% à 70% selon les endroits)
Superficie :
71 Ha dont 60 plantés
Encépagement :
Spätburgunder31 ha, riesling15 ha, regent 4 ha, frühburgunder 3 ha, weissburgunder 2 ha, autres rouges 3 ha, autres blancs 2 ha[/size]
Mayschosser Mönchberg Spätburgunder Grosses Gewächs 2013 – Deutzerhof (52,00 €)
Après un premier nez boisé qui s’estompe vite à l’aération, le vin exprime beaucoup de parfums passant des fruits mûrs (cerise noire, sureau, prune) aux épices de l’élevage (clou de girofle, vanille) et aux notes florale. C’est plutôt complexe, féminin et très élégant. En bouche, on retrouve finesse, douceur et précision. Le volume n’est pas d’énorme ampleur mais c’est bien détaillé, frais sans aucune verdeur, soyeux (tanins imperceptibles) et de belle longueur sur les fruits épicés avec un petit côté salivant intéressant. Sans doute assez consensuel, comme souvent au Deutzerhof, mais plein de charme. Très belle bouteille.
[size=large]RECH[/size]
Herrenberg (1ste Lage)
Le vignoble forme un coude marqué suivant un méandre de l’Ahr avec une partie d’exposition sud (photos 1 à3) sauvage, pentue et terrassée et une partie réaménagée, moins pentue, regardant l’est (photo 4 – haut du coteau).
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Exposition :
Sud à Est selon les parcelles
Sols / Sous-sols :
Grauwacke délités caillouteux à très caillouteux pour les parties pentues (principalement en exposition sud) ; les autres parties présentent des argiles fines sableuses et du loess
Altitude / pente :
130 à 260 m / pente moyenne à forte (inclinaison de 25% à 70% selon les endroits)
Superficie :
27 Ha dont 17 plantés
Encépagement :
Spätburgunder10 ha, portugieser 3 ha, frühburgunder 1 ha, riesling 3 ha[/size]
Recher Herrenberg Spätburgunder 2014 – Maibachfarm (29,00 €)
Domaine en polyculture (élevage d’ovins, arbres fruitiers, vignes) en agriculture bio. Les vignes (9,5 ha) sont devenues l’activité principale depuis quelques temps avec 3 « cuvées phares» élévées en barriques (Herrenberg, Silberberg et un assemblage d’autres parcelles).
On prend les choses à l’envers et on commence par un nez subtilement floral, évoluant vers les épices fines et un boisé léger élégant. Viennent ensuite les arômes fruités (fruits des bois et même à certains moments, fraise des bois marquée), prune ainsi qu’un côté plus végétal (cerfeuil, réglisse). Expressif et léger. La bouche fait preuve d’une grande élégance avec un équilibre parfait, tanins soyeux, fraîcheur légèrement mentholée, grande pureté. Finale rectiligne de classe où ressortent les fruits rouges (framboise). Bouteille à la fois aristocratique et gourmande en constante évolution dans le verre. Grande réussite dans un millésime pas évident.
Les trois autres parties seront publiées dans les prochains jours...
Pierre