Château Tirecul La Gravière, Monbazillac
20 ans à l’échelle d’un domaine, ce n’est rien…. Et pourtant, cela a suffit à Bruno et Claudie Bilancini pour asseoir la réputation du Château Tirecul La Gravière au Panthéon des plus intéressants vins liquoreux du monde. En effet, ceux qui ont eu la chance de goûter les vins produits sur cette propriété de Monbazillac ont pu éprouver ce que grande qualité et grande originalité pouvaient vouloir dire en matière de vin. Deux cépages : le sémillon et la muscadelle donnent ici le meilleur d’eux-mêmes sur ce terroir argilo-calcaire, en forte pente, dans cette combe de Tirecul, si particulière, un cru au-delà d’un terroir. Les vins du Château, hormis bien entendu les secs, sont avant tout l’expression du botrytis. Un cru, qui permet de produire beau quelque soit le millésime, et grand, voire très grand quand l’année s’y prête. 2001 et 2005 sont deux millésimes d’anthologie à ranger parmi les meilleurs vins de cette catégorie, toute région confondue. 2010, qui à l’heure où ces lignes sont écrites fermente encore pour partie, est très prometteur …
Mais le terroir n’est rien sans le travail des hommes et leur choix pour le magnifier. Sans cette volonté de faire beau et grand, il peut rester muet, à jamais. De ce point de vue, si Monbazillac a pu, par le passé, être un nom évocateur de grande qualité, il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, cette appellation n’en est plus synonyme et n’a pas l’aura de ses voisines bordelaises dans l’estime des amateurs de vin. La force des Bilancini a sans doute été de propulser le nom de Tirecul La Gravière au-delà de celui, à certains égards, handicapant, de l’appellation. Appellation qui d’ailleurs par ses décrets peut être une contrainte et nuire à la qualité ; un exemple : le degré alcoolique minimum des vins. En effet, les vins pour entrer en appellation Monbazillac doivent titrer au moins 12.5 degrés. Hors, certains moûts très riches, comme on en produit à Tirecul ont bien du mal à manger tous les sucres nécessaires pour atteindre ce taux et s’arrêtent naturellement de fermenter avant d’avoir atteint de cette barre fatidique. Il faut alors forcer un peu la nature, ce qui va à l’encontre du respect du vin et du millésime d’une part et de la qualité naturelle du vin d’autre part. Sans compter que bien souvent un degré alcoolique moins élevé est vecteur d’une plus grande fraîcheur.
Donc, aujourd’hui, non seulement cette AOC ne donne pas sur le marché la meilleure image qui soit, mais elle peut être dans certains cas un frein à la qualité des vins. La réforme dernière n’arrange pas cette complexité, loin s’en faut.
Non seulement produire un grand vin est une volonté et un combat, mais il se trouve des vicissitudes qui viennent entraver le quotidien de ceux qui œuvrent dans ce sens, ce qui peut effectivement agacer, quand on fait ce choix par conviction et par recherche esthétique. L’autre réalité d’un domaine comme Tirecul, en aval de la production de vins de grande qualité, même reconnu comme celui-ci, c’est sa commercialisation. Même s’il est admis que ce vin est l’un des meilleurs du monde, la consommation des vins liquoreux reste limitée et il est sans doute plus facile de vendre un Sauternes Premier cru qu’un Monbazillac, rien que par le fait que les liquoreux bordelais sont régulièrement sous les feux des projecteurs des critiques mondiaux dont l’avis est écouté et largement diffusé alors qu’ils ne s’intéressent que fort peu ou pas du tout à une appellation voisine.
Mais ce qui est remarquable, c’est la détermination de Bruno et Claudie qui ont continué à produire le grand vin qu’on attend d’eux et de ce terroir d’exception. La viticulture (fin de la conversion bio en 2011) et la vinification sont au vin ce que la haute couture est au vêtement. Rien n’est laissé au hasard pour produire le plus beau qu’il soit possible. Les derniers millésimes produits en attestent :
Les secs :
Bruno Bilancini ne les produit pas tous les ans. Ils sont les seuls vins du domaine à faire une entorse au botrytis et les raisins qui servent à leur production sont issus d’une zone de Tirecul essentiellement calcaire, exposée au nord, sous l’abri d’une zone boisée. En effet, c’est la tension qui est recherchée avant tout.
Mademoiselle 2008 : un vin de cuve uniquement fait de muscadelle. Le nez est bien mûr sur des notes de poire. La bouche est incisive, très rafraîchissante avec une tension qui souligne la minéralité crayeuse tout autant que la finale sur des amers de qualité, parfaitement équilibrée. Un vin d’un style droit et austère qui ravira les dégustateurs épris de pureté et de droiture.
Andréa 2008 : assemblage de sémillon et de muscadelle et élevage en barriques. Neuves pour une petite partie et âgées de 1 à 8 ans pour le reste. (Barriques du domaine ayant servi à l’élevage des liquoreux.) Le nez est beurré, l’empreinte du bois et trop marquée pour mon goût, même si le vin possède d’indéniables qualités d’équilibre et de profondeur. A revoir avec un peu de vieillissement.
Les liquoreux :
Quelle que soient la cuvée, tous les vins doux sont élaborés à partir de raisins botrytisés. Les jeunes vignes servent à l’élaboration de la cuvée les Pins, tandis que celles qui sont plus âgées sont réservées aux cuvées Château et Madame. En effet, lors de l’acquisition de la propriété, la densité de plantation du vignoble était faible, autour de 3000 pieds à l’hectare. Les Bilancini ont entrepris un important travail de replantation pour plus importante partie à partir de sélection massale afin d’arriver à une densité de plantation conforme à celle qui est traditionnelle en Monbazillac, autour de 5500 pieds à l’hectare.
Les Pins 2007 :
Le nez est marqué par l’encaustique avec des notes un peu amyliques, la mangue est présente. Une belle présence en bouche, dans la finesse et l’élégance, avec une saveur de thé à la bergamote qui vient s’ajouter à ce qui a été décelé au nez. Belle longueur pour ce vin de concentration moyenne pour un Tirecul, mais qui correspond à la richesse des Sauternes les plus concentrés. (150/160 grammes de sucres résiduels par litre). C’est net et précis, sans forcément être très complexe, en tout cas, un excellent rapport qualité prix.
Château Tirecul La Gravière 2003 :
On retrouve des notes de thé earl grey mariées à de l’orange amère. En bouche le vin est large, on l’aimerait plus vif, plus tendu. Il reflète très bien ce millésime qui doit se boire plus tôt que les autres, sans doute.
Château Tirecul La Gravière 2004 :
Le nez est bien plus complexe et on y retrouve une note de truffe qui commence à poindre derrière celles plus fraîche que celle du 2003, d’agrumes confits. La bouche est très belle et précise, dotée d’une belle fraîcheur. Une grande ampleur et un bon équilibre caractérisent ce vin. La finale fait encore un peu ressortir l’élevage. Ce vin est parti pour bien évoluer dans le temps. Un style très classique de celui des vins de Tirecul La Gravière.
Château Tirecul La Gravière 2005 :
Si le vin est plus fermé au nez, il n’en demeure pas moins encore plus pur au niveau olfactif. Les agrumes confits se mêlent délicieusement aux notes de poire et de safran. La bouche est un cran au dessus du pourtant très bon 2004 avec un équilibre parfait entre richesse et fraîcheur. C’est un vin opulent, généreux, mais très raffiné et élégant. Très grande longueur : superbe.
Château Tirecul La Gravière 2006 :
Un joli nez sur la poire et les agrumes, la mangue est à nouveau présente par un petit côté amylique. L’ensemble en bouche est encore dissocié : c’est un vin sans lourdeur, long, au joli gras qui demande du temps encore pour s’affirmer.
Cuvée Madame 2003 :
La robe est très dense, abricoté. Le nez évoque le coing, la truffe : on sent dès l’examen olfactif la richesse de ce millésime plus que solaire. Le safran est présent en bouche : c’est très opulent, presque trop tant le millésime s’exprime jusqu’à son déficit de fraicheur. C’est un vin impressionnant, mais sans doute un peu déséquilibré.
Cuvée Madame 2004 :
La transition est lumineuse. Le nez porte sur la poire et sur des fruits exotiques comme la mangue. Mais c’est en bouche que l’on prend toute la dimension de ce superbe vin, une bouche explosive dotée de sucres d’une grande intensité. C’est à ce niveau-là que l’on attend les vins de Tirecul et ils font honneur à leur réputation. La longueur est exceptionnelle sur un feu d’artifice de saveurs.
Cuvée Madame 2005 :
Les qualités du 2004 sont magnifiées dans cette grande bouteille. Comme pour la cuvée Château, le nez est encore sur la réserve, mais cette note caractéristique d’orange confite est bien présente. On a l’impression d’un crépitement en bouche tant l’explosion des sucres est remarquable. C’est riche, opulent, mais d’une grâce indicible. La meilleure image de ce vin, c’est l’emblème solaire et souverain de Tirecul qui exprime mieux que tout autre discours le sentiment que procure ce vin. Flamboyant, serein et triomphant : il n’est même plus utile, à ce stade, de parler d’équilibre, on est bien au-delà de ça.
Aujourd’hui, le Château Tirecul La Gravière est en vente. La crainte pour les amateurs de vin est que la qualité quitte ce lieu avec ses actuels propriétaires. Mais on peut espérer que celui qui aura le courage de reprendre ce flambeau aura à cœur de perpétuer cette tradition qualitative que Claudie et Bruno Bilancini ont maintenue depuis près de vingt ans. Vingt ans, ce n’est rien à l’échelle d’un domaine, mais ce qui a été fait ici durant cette période est réellement considérable et remarquable.