J'ai récemment participé à une dégustation verticale des produits de cette fameuse distillerie de la région Speyside (il s'agit de l'une des 6 distilleries retenues par Diageo pour créer les Classic Malts of Scotland) en compagnie du maître distillateur, Mr Gordon Winton. Après un bref historique de la distillerie et quelques explications sur son fonctionnement, j'ai pu découvrir six produits:
New make spirit
Il s'agit de l'alcool tel qu'il sort de l'alambic à 68.4°, totalement transparent et sans aucune influence du fût. Cet alcool ne peut encore légalement porter le nom de whisky étant donné qu'il est nécessaire qu'un whisky ait vieilli 3 ans au minimum en fûts de chêne pour pouvoir porter un tel nom.
Le nez est très puissant, sulfureux et malté (côté céréales vraiment détonnant). En bouche, c'est gras, sans beaucoup de finesse et toujours sur le malt. L'ajout d'eau ne permet pas de sentir d'autres influences étant donné la puissance importante du malt.
Cragganmore 3 ans
Après 3 ans en fût, cet alcool peut porter le nom de whisky. La couleur est très claire, avec quelques reflets dorés. Le fût donne quelques notes intéressantes permettant de dominer quelque peu la puissance de l'alcool du départ. Le côté fruité (orange amère notamment) est largement présent. Il faut préciser que la distillerie Cragganmore, afin d'assurer la grande finesse et complexité de ses produits, n'emploie que des fûts de second et de troisième remplissage ayant soit contenu du bourbon (200 litres) soit du sherry (500 litres).
Cragganmore 7 ans
La couleur s'intensifie vers un or clair, le côté vanillé du fût fait son apparition mais avec l'aspect soufreux toujours aussi présent (et d'ailleurs un peu désagréable). Le côté fruité ressenti avec le 3 ans d'âge a totalement disparu. Le fût commence vraiment à prendre de l'influence sur le produit final.
Cragganmore 10 ans
Couleur or clair. Le côté malté de l'alcool est bien présent, mais l'alcool est plus fin et subtil. Pour les amateurs de Cragganmore, les côtés céréales et boisés de ce whisky commencent à apparaître. Une mise en bouteille de ce 10 ans pourrait être envisagée, même si le whisky paraît encore légèrement immature.
Cragganmore 12 ans
Il s'agit du produit officiel de la distillerie, embouteillage à 40°. Belle couleur or. Le nez est sur l'herbe, le malt et les fleurs (on a vraiment l'impression de sentir un pré en été après qu'il a été fauché). La bouche est bien maltée, florale et douce. L'équilibre de ce whisky est stupéfiant et sa complexité grande. Le final est long et charmeur. Un très beau whisky sans influence tourbée et du sherry. Intéressant et un peu à contre courant des goûts actuels. A recommander, surtout que le prix est également très intéressant (environ 40 euros).
Cragganmore Distillers Edition 1988
Vieillissement pendant 12 ans de la même manière que le précédent, puis un an à un an et demi en fûts ayant contenu du porto. La couleur est ambrée, le nez vineux et doux avec des notes fruitées (merci le porto). L'aspect vineux décelable au nez est clairement présent en bouche. Ce whisky est doux et toujours avec l'équilibre qui constitue la marque de fabrique de Cragganmore. Cependant, qu'est-ce que cette distillerie a à gagner à produire un tel whisky ? Je ne sais pas trop et ne suis pas un fan de ce produit, lancé probablement plus pour des raisons de commercialisation propres à Diageo (les 6 classic malts doivent produire une Distillers Edition, souvent avec peu de bonheur d'ailleurs) que par volonté de la distillerie. Ce whisky, vendu presque au double du prix que le précédent ne vaut pas le détour.
J'ai appris au cours de la dégustation que 70% de la production est vouée au marché des blendeurs, très friands de ce whisky équilibré et complexe. 29% sert à la production du 12 ans et 1% à celui de la Distillers Edition et à des mises en bouteilles plus confidentielles (dernièrement un 29 ans distillé en 1973 faisant partie de la collection Limited Edition de Diageo). L'expérience valait la peine et je ne peux que conseiller aux amateurs d'essayer de telles verticales qui ont le mérite de démontrer par les sens le développement que connaît un whisky pendant son vieillissement.
Benoît