Une visite chez Jean-Louis Chave
Profil bas
Rendre visite au domaine Jean-Louis Chave, c'est pour tout amateur de vin une chance unique de découvrir un vigneron "intouchable", et comprendre l'essence même de l'appellation Hermitage. On se prépare avant de venir, on lit, on se documente pour être prêt, pour en profiter le plus possible le moment venu. Alors quand ce moment arrive, le cœur bat forcement un peu plus fort. Avant même de serrer la main de notre hôte, nous sommes déjà complices d'un non-dit, dans lequel le vigneron sait qu'il n'a rien à vendre et l'amateur sait qu'il serait maladroit, et de toute façon voué à l'échec, de demander s'il peut obtenir la moindre bouteille, même à prix d'or. Des lors, la visite se concentre exclusivement sur le vin, sa dégustation et son élaboration, et sur la philosophie du domaine et la personnalité du vigneron qui l'anime.
En entrant dans ce domaine connu de part le monde, on découvre une cour quelconque, avec un tracteur, des tuyaux ici et la et le gentil toutou au pelage noir qui vient renifler tous les pantalons visiteurs a la recherche de messages laisses par les chats et chiens laisses a la maison. Ici le clinquant, voire le superflu, n'ont par leur place. Le maitre des lieux se présente discrètement. L'homme est pudique, presque austère. Il parle peu, sourit peu. Un cadeau missionné par Yves Gangloff détendra l'atmosphère. Nous plongeons rapidement dans la cave (attention a la tête), en empruntant un long couloir descendant aux odeurs intenses de moisissures. Réunis dans le chai aux murs épais et noirs, dans un silence solennel, nous écoutons religieusement Jean-Louis Chave nous parler de ses vins.
Les Hermitage blanc 2008 et 2007
Nous attaquons directement la dégustation des Hermitage blancs 2008. Ces derniers sont restes en fut pendant 8 mois, avant d'être transférés il y a 15 jours dans des cuves inox. Ils y resteront 6 mois, jusqu'au moment de l'assemblage final. Le premier vin est issu de la parcelle Peleat, au sol argileux/siliceux, compose de vieilles vignes de 90/95 ans d'âge. Ces vieilles vignes datent d'un autre temps ou roussane et marsanne étaient complantes. Elles sont maintenant si difficilement identifiables que même Jean-Louis Chave ne sait pas la proportion de chaque cépage. D'ailleurs, lorsqu'il faut remplacer un cep mort, il replante avec une sélection massale dans laquelle il ne sait pas plus s'il a affaire à un cépage ou a l'autre. Voila qui fait planer un joli mystère sur ce vin qui va se révéler sublime. Le nez présente une énorme finesse sur un fruit splendide, notamment la poire et la pèche, puis les fleurs blanches. La bouche est savoureuse, gourmande et tendue, et la longueur de ce vin annonce déjà une dégustation de très haut niveau.
Le 2eme vin est issu de la parcelle Maison blanche au sol de lœss et particules fines, un terroir très froid qui est parfaitement adapte aux cépages blancs. Le vin est encore un peu déséquilibré, avec un alcool pas tout à fait intégré. Malgré tout, les aromes de fruits sont très intenses (poire et pomme verte) et l'on sent bien que seul le temps manque a ce vin.
Le 3eme blanc est issu des Rocoules, sur sol calcaire. C'est un vin de trame, celui qui représente la colonne vertébrale de l'Hermitage une fois assemble. C'est un vin très droit, qui laisse au fond du verre un parfum envoutant.
Le 4eme blanc nous amène sur l'Hermite, plus discret, floral et aux aromes de fruits rouges légers. Le Meal, non dégusté, est la dernière parcelle qui rentre dans la constitution de l'Hermitage blanc. Le 2008 promet vraiment d'être superbe, les heureux allocataires peuvent se réjouir à l’ avance de gouter ce vin qui sera sans nul doute une grande réussite.
Hermitage blanc 2007 (mise en bouteille récemment) : superbe nez de pommes, poires, fleurs, c'est très riche et complexe, avec un bouquet aromatique intense et très précis. En bouche, on retrouve la poire, et une grande finesse qui s'étire très longuement.
Jean-Louis Chave conseille par ailleurs de gouter son Hermitage blanc sur le fruit ou après une garde prolongée (10 ans et plus pour la plupart des millésimes). Entre deux, des notes temporaires d'oxydation peuvent apparaitre, qui seront malgré tout gommées par un carafage et une température de service appropriée, c'est-a-dire pas trop froide. Il considère que son Hermitage blanc possède un potentiel de garde plus important que son équivalent en rouge. En effet, le blanc semble moins sensible aux aléas des millésimes.
Le Clos
Même si la nouvelle ne constitue pas un scoop, les détails donnes par Jean-Louis Chave sur l'achat d'un Clos sur la commune de Mauves, dans l'appellation Saint-Joseph, mérite d'être racontes. Ce Clos est constitue principalement de syrah, et de roussane sur sa partie granitique. Le vignoble est plante sur un amphithéâtre forme par la rivière, au sable granitique, un sol pauvre et acide issu d'un cône de déjection. La spécificité géologique et la tradition vinicole de ce Clos cultive depuis le 16eme siècle justifie aux yeux du vigneron de produire une cuvée particulière, ce qu'il s'interdit sur ses parcellaires en appellation Hermitage. Cela permet à Jean-Louis Chave de remettre les pendules à l'heure : l'histoire de l'Hermitage, c'est l'assemblage. C'est une pratique historique, en accord avec les usages locaux, loyaux et constants reconnus dans l'appellation. Il précise qu'auparavant, les parcelles d'Hermitage étaient achetées pour enrichir la variété de sol à la disposition du vigneron, afin d'améliorer la complémentarité de chaque vin. On découvre alors un vigneron totalement inscrit dans une tradition vinicole, qui a le souci de transmettre "en l'état" ce qu'il a reçu. Les nombreuses bouteilles couvertes de poussières empilées aux quatre coins de la cave attestent bien de cette volonté familiale de faire perdurer les valeurs qui contribuent à l'élaboration du vin de la maison. Je reviendrai sur ce point crucial un peu plus loin.
Mais revenons a ce fameux Clos. Il connu sont apogée au 18eme siècle lorsqu'il était la propriété de la richissime famille Ozier. Cette famille, grand propriétaire terrien sur Hermitage et d'autres parcelles de la vallée du Rhône, régnait tellement sur le commerce local que la gare des Mauves fut construite exprès pour elle afin de pouvoir expédier ses vins dans toute la France. La révolution industrielle marqua un tournant dans la conduite de ce Clos : les investissements dans l'industrie textile et les tanneries furent privilégiés, et la mort du fils de la famille pendant la première guerre mondiale stoppa définitivement l'intérêt porte à cette parcelle. "Les gens passent et ce qui reste finalement, c'est le terroir". Le domaine fut racheté ensuite par un professeur de médecine, homéopathe, qui appliqua ses préceptes a la vigne. L'histoire continue aujourd'hui avec Jean-Louis Chave.
Certains ont peut être déjà bu le vin issu de cet endroit, sous l'étiquette "Clos de l'Arbalestrier" du domaine Florentin. Selon la légende, cet arbalestrier est revenu des croisades et s'est installe dans la région, tout comme le célèbre Gaspard de Sterimberg. Mais bien sur, cette histoire est invérifiable et qui nous dit qu'elle n'a pas été invente pour faire mieux vendre le vin ? Tel est en tout cas l'identité du Clos aujourd'hui, et Jean-Louis Chave gardera le même nom pour son propre vin, toujours avec le même souci de cohérence avec le passe. Le premier millésime de ce Clos version Chave (2009) s'annonce superbe et plein de finesse d'après son propriétaire.
La philosophie du domaine
Jean-Louis Chave explique que l'une des particularités de l'Hermitage, c'est que chaque lieu-dit possède un type de sol qui lui ait propre. Il recherche la complémentarité entre tous les vins issus de ces parcelles si spécifiques. Son défi principal est d'élaborer un vin avec de la matière, peu acide, mais pas mou. En effet, les cépages n'apportent presque pas d'acidité et c'est par le terroir et le travail dans la vigne qu'il est capable d'apporter de la vivacité à son vin.
Tout, dans le discours du vigneron, est tourne vers le respect de l'appellation et de sa tradition. Au fil de la discussion, il nous cite deux exemples qui soulignent la cohérence de son propos. Tout d'abord, il explique qu’à l'issue des assemblages, il vend une partie des cuves non sélectionnées au négoce. La logique commerciale voudrait pourtant qu'il vende un second vin. Mais la philosophie du domaine est de constituer un seul Hermitage : le produit et son origine prime sur tout autre intérêt. Jean-Louis Chave réfute d'ailleurs l'idée que ses vins soient des produits de luxe, car ils ne peuvent être reproduits d'un millésime à l'autre.
La seconde illustration de son respect pour l'origine concerne quelques pieds de viognier qui poussaient sur sa parcelle l'Hermite. Le lord irlandais qui possédait cette parcelle avant son acquisition par la maison Chave y avait plante du viognier afin de le vinifier comme tel et profiter de cet excellent vin blanc. Une fois la parcelle achetée, Gérard et Jean-Louis Chave ont continue pendant quelques années à faire une barrique issue de ce cépage. Certes le vin était très bon, mais il ne correspondait a rien, il était sans origine. Il n'y a pas de tradition de viognier en Hermitage, ce vin était une simple curiosité. Ils décidèrent donc de tout arracher (à part 15 ceps laisses la pour l'histoire) et de replanter de la syrah.
Enfin, nul ne peut ignorer en visitant cette cave les centaines de bouteilles poussiéreuses et non étiquetées qui sont stockes dans presque chaque recoin. C'est parce que la cave fut murée pendant la guerre que nous pouvons encore rêver devant ce patrimoine inestimable. Ces vieux millésimes témoignent de l'histoire du domaine. La richesse, c'est le stock. Il traduit ce "bon sens paysan" qui consistait à mettre de cote les bonnes années pour pouvoir continuer d'exister lors des petits millésimes, a la récolte nulle ou très faible.
L'élevage
Parler d'élevage au domaine Chave, c'est tout d'abord considérer le fut comme un simple contenant, neutre, utile pour l'oxygénation et la conservation du vin. Ici, peu ou pas de futs neufs. L'élevage doit permettre de faire exprimer au mieux une origine, un terroir et non de maquiller les vins. Jean-Louis Chave connait ses futs comme si c'était ses enfants. Il connait l'histoire de chacun, leur potentiel, et juge chaque année si un fut peut faire une année de plus ou pas. C'est une approche très pragmatique de l'élevage : ne pouvant maitriser l'origine et la constance en qualité des futs, il les prend comme ils sont et constate leur influence sur le vin. Les bons futs, ceux qui donnent un vin merveilleux, pourront rester plusieurs générations en cave. Les mauvais seront tout simplement revendus. Certains parleront de perfectionnisme, c'est peut être le cas. Mais ce qui frappe en premier lieu, c'est que ce vigneron est a mille lieux de l'intellectualisation de l'élevage, dans lequel on essaie de trouver le meilleur compromis entre bois, chauffe et volume du fut. Pour Jean-Louis Chave, seule l'expression de l'origine dans le vin justifie d'utiliser un fut plutôt qu'un autre. Par ailleurs, il n'y a pas de règles pour faire un Hermitage : les vins peuvent rester entre 15 et 24 mois en futs en fonction des millésimes.
Hermitage rouge 2008
En préambule aux différents parcellaires de l'Hermitage, Jean-Louis Chave nous fait gouter le Saint-Joseph 2008. Comme un poisson dans l'eau, il navigue au milieu de ces demi-muids pour trouver le bon échantillon à nous faire partager. Ce Saint-Joseph est une pure gourmandise, c'est un vin explosif sur le fruit, légèrement vanille. La bouche est droite et très digeste. On en redemande.
Nous attaquons les cuvées d'Hermitage avec Peleat, aux notes de fruits rouges et animales, très long. Nous goutons ensuite un Beaume, planté sur des
poudingues
glacières, très beau, racé, tout en élégance. Le Meal est plus animal, plus typé syrah, avec des aromes de cuir et de terre. C'est prêt à boire, très soyeux mais peut être un peu moins fin que les deux cuvées précédentes. Enfin nous goutons les Bessards, très gourmand avec des aromes de coca et de cerise.
Les Hermitage rouges sont constitués d'encore 3 autres parcelles.
Hermitage rouge 2007
Jean-Louis Chave nous fait découvrir différents preassemblages du millésime 2007, qui vont tous rentrer dans la composition du vin final. A l'heure de la dégustation, la plupart des choix d'assemblages ont déjà été fait et les différentes cuvées reflètent de manière très proche ce que sera ce vin dans quelques mois. Les sept parcelles d'Hermitage rouge du domaine sont présentes dans tout ou partie de ces idées de vins.
D'un assemblage à l'autre, nous sommes balancés d'un vin libérant des aromes de très grande classe à un vin plus ferme. En bouche, nous avons goutes des cuvées très soyeuses, tout en finesse, qui délivrent déjà un plaisir intense. C'est d'ailleurs comme ça qu'ils sont conçus, car Jean-Louis Chave précise bien qu'un vin jeune doit toujours donner du plaisir. Tous ces échantillons sont des vins très purs, à la texture voluptueuse. Ils possèdent tous une trame tannique très élégante qui est la marque de fabrique du domaine. Jean-Louis Chave est un dompteur de syrah.
Comme pour tous ses vins de l'Hermitage, il ne fera qu'une seule mise étalée sur 3 jours. La date de la mise sera ajustée en fonction de la lune et de la pression atmosphérique.
Le vin et la cuisine
Dans l'esprit de Jean-Louis Chave, ses vins ne peuvent être dissocies d'un plat, au risque de faire un vin de dégustateur, bon a être recrache. Ce sont des vins de gastronomie qu'il faut savoir servir et accompagner à table. Il précise d'ailleurs que le vin doit créer l'idée du plat, et non l'inverse. Le rôle du sommelier est également souligne, car c'est "la ou tout se passe", en particulier dans le choix des accords et les températures de service. Vous l'aurez compris, le vin est un élément incontournable du repas, alors n'allez surtout pas dire a Jean-Louis Chave que vous avez ouvert son dernier Hermitage blanc pour l'apéro !
La cuvée Cathelin
Il s'agit d'une cuvée exceptionnelle du domaine, produite sur quelques millésimes seulement : 1990, 1991, 1995, 1998, 2000 et 2003. Cathelin est une idée d'assemblage et de vin, une recherche d'idéal. La Cathelin ne se décide pas lors de la vendange, mais au terme de l'élevage, lorsque les idées du vin final se précisent. Premier soucis de Jean-Louis Chave lorsqu'il finit d'assembler ses vins rouges : ne pas faire de compromis sur son Hermitage. Des lors, s'il existe différentes pistes d'assemblage au terme de tout le processus d'élaboration du vin, il y a de fortes chances que la Cathelin s'impose d'elle-même.
Le départ
Difficile de ne pas être nostalgique sitôt le portail du domaine franchi. Nous avons conscience du privilège d'avoir partagé 2 heures inoubliables avec un vigneron qui avait sans doute bien d'autres choses à faire ce jour là. Durant cette visite, l'homme s'est ouvert, répondant avec une grande érudition à toutes nos questions. C'est un très grand connaisseur de son vin et de son terroir, mais aussi un pédagogue aux mots justes qui a su nous faire partager ses convictions de vignerons et son attachement à la terre d'Hermitage. Qu'il en soit ici chaleureusement remercié. Je n'oublie bien évidement pas Bernard, sans qui rien de qu'il s'est passé ce jour la n'aurait été possible.
Sylv1
Histoires de vins