- Dix de trèfle : Eric Morgat - Domaine de la Monnaie :
« Lorsque vous quittez Epiré, appelez-moi ! »
Sitôt dit, sitôt fait. Et rendez-vous dans les vignes.
Eric Morgat nous attend à l'extrémité de sa parcelle de 5 ha, sur la pente qui mène doucement sur le plateau, non loin du Moulin de Baupreau.
Une zone où il y a davantage de sables éoliens sur des schistes en tranches, de couleurs différentes, sous l'influence de métaux différents et en décomposition. Il n'y a guère plus de vingt centimètres de terre, comme nous pouvons le constater dans un fossé qui borde la parcelle. Cà et là , on peut voir aussi des pierres blanches, du quartz, d'origine volcanique.
Après avoir passé du temps pour comprendre le travail du cuvier, du chai, il se tourne avec passion vers sa vigne. Installé à Savennières depuis 1995, il a entrepris de planter dès son arrivée. Des vieilles vignes disparates lui ont permis de tenir jusqu'au millésime 2000.
Maintenant, il commence à comprendre cette parcelle. Au moment des vendanges, il cueille par zones bien distinctes, selon la maturité du raisin. D'ailleurs, si c'était à refaire, il distinguerait l'ensemble en parcelles, éventuellement plantées dans l'autre sens, comme elles apparaissent d'ailleurs sur de vieux plans de cadastre.
Densité assez faible pour la région. Palissage très haut « pour laisser vivre la vigne ». Il a adopté une technique dite de « non-culture ». Pas de labours, un simple griffage en surface (5 cm). Entre les rangs, il alterne : de l'herbe, sorte de jachère, et aussi de la moutarde ou de l'avoine qu'il sème en alternance. Sous cette première couche, la vie doit faire son Å“uvre : les vers creusent des galeries, les organismes divers se partagent la tâche. La vie, quoi !
Eric Morgat se met alors à nous parler de son projet qui, on le devine aisément, le passionne déjà :
Il vient de louer une parcelle, que dis-je ? un coteau de deux hectares, surplombant la Loire, face à la pierre Bescherelle, une résurgence volcanique du fleuve, avant l'île de Béhuard. Son visage s'illumine, ses yeux brillent !… Attention ! Passion vive !
« C'est une friche dont personne ne veut plus depuis plus de trente ans. Je ne sais même pas comment je vais y travailler ! Il faut que je trouve un tracteur à chenille… L'autre jour, j'ai jeté du haut des sacs de coquillages !… Deux tonnes à la main ! De la folie ! »
Il nous explique ensuite le processus :
En fait, cette parcelle, avec d'autres, mérite d'être classées dans l'AOC. Sans doute, étaient-elles cultivées avant la guerre. Mais, la mécanisation de l'après-guerre, la mévente pendant cette période, qui a éloigné une bonne partie du personnel employé dans les domaines, a incité les propriétaires (pour la plupart des parcelles, des vignerons du cru !…) a se tourner vers des zones plus faciles d'accès et à les abandonner.
Eric Morgat, quitte à produire un vin de table, a insisté pour reconsidérer la question. Mais, il s'agit là d'une procédure rarissime (il n'existe qu'un autre cas !). Et normalement, toutes les autres parcelles devaient être aussi « revisitées ». Ce qui ne manquait pas de gêner certains vignerons : sur certaines zones, il y a, sans doute, un peu trop de sables éoliens…
Finalement, on en arrive un jour au vote, à bulletins secrets, pour décider de cette extension par reclassification. Par sept voix contre six, celle-ci est adoptée !…
Joint au téléphone depuis, Luc Bizard confirme cette procédure et précise au passage que c'est pas moins de dix hectares de coteaux en friche, sur la Loire, presque tout le long de l'AOC, qui sont inclus dans cette extension.
Zut ! Benoît France va devoir retoucher son Atlas tout neuf !…
Après une longue conversation, nous descendons au domaine pour déguster les deux cuvées du millésime 2001 et un lot de 2002. Xavier vous en dira sans doute plus, mais nous ne sommes pas là dans le même registre qu'Epiré. Et c'est là que l'on découvre l'aspect passionnant d'une telle appellation. Les malos et l'élevage en barriques ne dénaturent pas ces vins, issus de vignes encore jeunes. C'est une autre tendance, mais la matière est là .
Attention ! Ne perdez pas de vue le Domaine de la Monnaie ! Au jeu de manille, le Dix est gagnant !…
- Dame de carreau : Mme Laroche, au Domaine aux Moines :
Après la pause de midi, au cours de laquelle nous avons apprécié le paysage, nous nous dirigeons vers le Domaine aux Moines qui ne propose que du Savennières-Roche aux Moines (et un peu d'Anjou rouge).
Mme Laroche est plus une tenante d'une certaine tradition. Et elle ne voit pas d'un très bon Å“il ces arrivées successives de « ceux du Layon ». Et de tout ce qu'elle assimile à des modes : les malos, les barriques…
Nous apprenons au passage que toutes ses vignes sont sur le coteau sud-ouest de la Roche-aux-Moines, mais que certaines de ses parcelles sont également en friche.
« On plantera si les choses s'améliorent ! Pas facile de vendre du chenin ! »
En attendant, fidèle à ses principes et à l'idée d'expliquer Savennières comme il doit, Mme Laroche nous propose une découverte sur cinq millésimes :
- 2000 : assez évolué. Sur le coing très mur. Manque de complexité. Pluie en cours de vendanges. (10 €)
- 2001 : assez bel équilibre. Acidité assez présente. Belle notes rôties en fin de bouche. (10 €)
- 1999 : sur le miel, plus diffus. Ce manque de netteté a-t-il pour origine les pluies diluviennes des vendanges ?… Fin de bouche un peu uniforme, sur le coing. (10,50 €)
- 1997 : le nez manque un peu de tranchant. Un rien gênant ! Des notes chaudes. Du coing, mais aussi de l'abricot confit en fin de bouche. Finit sur cette note plutôt plaisante. A suivre… (12 €)
- 1995 : de l'alcool, mais aussi un bon support acide. Du coing acidulé, une pointe un peu curieuse de framboise. Joli vin. (12,50 €).
Les vins de ce domaine sont souvent sur des notes de coing, de fruits mûrs. Du fait de l'exposition sud et du soin de Mme Laroche à vendanger à bonne maturité, ils ont une dominante aromatique qui manque peut-être d'une touche de complexité, parfois d'une fraîcheur fruitée. Juste une impression…
A noter les prix très raisonnables. Même pour le 1988, à 14 € !…
- Valet de pique : Denis Papin, au château Pierre-Bise :
Nous finissons par repasser la Loire, direction Rochefort sur Loire et Beaulieu sous Layon.
Nous n'avons pas rendez-vous avec Denis Papin. Celui-ci est absent et c'est sa femme qui nous reçoit.
Bien sur, le domaine est bien connu pour ses différents Layon, son Quarts-de-Chaume et toute la gamme qui caractérise les domaines de cette zone : rosé de Loire, cabernet d'Anjou, anjou-villages et même crémant de Loire.
Mais, nous avons là un des tenants du groupe « Layon qui a franchi le Rubicon » !
Baumard est implanté depuis longtemps. Il est « assimilé » par les « historiques ». Mais depuis P.Y. Tijou est présent sur le clos des Perrières, D. Papin sur le Clos de Coulaine et V. Ogereau, avec une parcelle toute récente. D'autres aussi, moins connus, comme Taillendier, etc…
Avec le Clos de Coulaine de D. Papin, nous avons une expression très pure d'un chenin issu de parcelles sur lesquelles on trouve des sables éoliens. Du fruit, mais des notes florales et une élégance très agréable. De la fraîcheur pour ce Savennières très abordable.
Nous apprécions ensuite l'Anjou blanc, le Haut de la Garde 2001, toujours en cours d'élevage. Il nous rappelle que nous rêvions, depuis longtemps, que certains vignerons, connus pour leur anjou blanc, passent un jour la Loire, histoire de voir ce qu'ils feraient du terroir de Savennières.
Mais, cet anjou blanc est remarquable ! Il vient en fait d'une parcelle située côté Coteaux de l'Aubance, mais face à la Roche-aux-Moines, sur ce qui semble être la même veine de rhyolite bleue !… Exposition nord-est, mais avec une belle ouverture d'horizon sur l'est.. Très belle réussite, intense et droite. A noter sur vos tablettes !
Pendant que nous y sommes, nous goûtons les moelleux :
- Soucherie 2001 : mûre et rôtie. Très typiques de la zone, sur la commune de Beaulieu.
- Rayelles 2001 : sur la commune de Rochefort. Du fruit et un bel équilibre. Des notes minérales.
- Anclaie 2001 : de Beaulieu aussi. Moins expressive à ce stade.
- Rouannières 2001 : sur Beaulieu également. Très belle matière.
- Chaume 2001 : un plus d'intensité.
- Quarts-de-Chaume 2001 : une grande pureté dans l'élégance ! Assez remarquable !
Tout cela nous laisse une idée, si c'était nécessaire, de la grande et passionnante diversité de Savennières notamment.
Et encore, nous reste-t-il quelques réserves de (re)découvertes : Domaine du Closel, Ogereau, Tijou, etc…
Le chenin, finalement, c'est passionnant !… Non ?…
PhR