Ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je ne porte pas particulièrement dans mon coeur les vins de ce domaine suite à quelques expériences de dégustation plutôt décevantes (1995, 1996 à plusieurs reprises, 2002 récemment, entre autres). J’avais cependant gardé de bons souvenirs d’un excellent 1998 bu chez Thierry Debaisieux et d’un 1995 moelleux de très bon niveau.
Je constate également que La Coulée de Serrant est toujours remarquablement notée dans les guides, en particulier dans celui qui fait référence en France, à savoir le guide vert, où il est le seul domaine d’Anjou-Saumur à obtenir la notre maximale de trois étoiles, se classant ainsi parmi les 43 domaines français qui ont droit à cette distinction suprême. Dans le dernier livre de Bettane & Desseauve, consacré aux plus grands vins du monde, il est là encore bien présent, sans qu’aucun doute ne soit émis sur sa régularité. Curnonsky déjà citait le vignoble comme un des cinq plus grands à produire du vin blanc en France. Nicolas Joly, propriétaire actuel des lieux, est de plus le chantre de la biodynamie, méthode culturale dont je ne cesse de lire un peu partout qu’elle est la plus à même de donner naissance à de grands vins, vivants, vibrants, telluriques, minéraux,...
Je voulais donc en avoir le coeur net et comme j’ai eu l’occasion de me procurer récemment une petite douzaine de millésimes chez un caviste, complétés par l’un ou l’autre achat aux enchères, je me suis dit qu’il était temps d’avoir un avis plus personnel, plus objectif et plus documenté sur la question.
Afin de respecter les consignes données par le domaine sur la contre étiquette, tous les vins ont été carafés la veille et maintenus à une température de 12 °. Ils sont servis deux par deux, par ordre inverse des millésimes, à quelques amis venus me prêter main forte pour l’occasion et que je remercie au passage. Vous lirez dans mes commentaires quelques mots sur la manière dont se présentaient les niveaux et les bouchons à l’ouverture, ainsi qu’une vague idée de la robe (observée dans la carafe, sous le faible éclairage de la cave) et du nez rapidement analysé en humant le contenu de la carafe. L’analyse plus détaillée concerne le vin tel qu’il a été bu après 24 heures d’aération. Quelques rares bouteilles ont encore été regoûtées le lendemain, je le signalerai également. Bonne lecture !
Coulée de Serrant 2002 - ****
A l’ouverture, la veille, le niveau est parfait, le bouchon ne présente pas de défaut visible et est imbibé de vin sur le 1/3 de sa hauteur. La robe est dorée, le nez est exotique, avec peut-être un petit côté encaustique.
Le jour J, la robe n’a pas bougé, le nez est marqué par les épices, évoquant le pain d’épices, avec une minéralité sur la pierre à fusil, et un fruité exotique, plutôt à l’arrière-plan. En bouche, la fraîcheur est très belle, il y a de l’ampleur, un équilibre sans reproche et une très belle longueur sur d’agréables amers d’écorces d’agrumes. Une très belle bouteille, bien meilleure que celle dégustée avec le CDR Belgique il y a quelques mois.
Regoûté le lendemain, le vin ne présentait pas d’évolution notable.
Coulée de Serrant 2001 - *(*)
A l’ouverture, le niveau est normal, le bouchon, imbibé sur plus du tiers, ne présente pas de défaut visible. La robe est d’un or assez prononcé, le nez, exotique, me semble marqué par une odeur de vernis.
Après 24 heures d’aération, la robe se pare d’un or intense avec des reflets ambrés. Le nez se montre très iodé, « chimique », encaustique, vraiment pas des plus agréables… La bouche n’est pas en reste, avec une attaque très acide, un manque cruel d’ampleur, pour un vin déséquilibré, court, marqué par une forte amertume finale.
Coulée de Serrant 2000 - ****(*)
A l’ouverture, le niveau est normal, le bouchon, sans défaut visible est imbibé aux ¾ de sa longueur. La robe est d’un or intense, le nez sur les agrumes et la pêche.
24 heures plus tard, si la robe n’a pas changé, le nez s’est complexifié, maintenant très agréable, légèrement terpénique, minéral, fumé, réglissé, avec un fruité sur l’ananas et la poire. En bouche, l’équilibre est très beau sur la tension et l’amertume des agrumes, le corps est plein, la longueur inspire le respect. Très belle bouteille, la meilleure de la série à mon goût, toujours aussi belle le lendemain sur des notes terpéniques et d’écorce d’orange amère.
Coulée de Serrant 1999 - **
Le niveau est très légèrement bas, le bouchon est imbibé aux 2/3. La robe est d’un or intense, le nez agréable, exotique.
Le lendemain, la robe n’a pas changé, alors que le nez se montre peu expressif, avec une note acétique, de vernis, légèrement iodé, évoquant la pourriture grise. En bouche, l’acidité est en avant, le vin manque d’ampleur et présente lui aussi une amertume finale trop prononcée.
Coulée de Serrant 1998
A l’ouverture, le niveau est normal, le bouchon en imbibé sur plus de 80 % de sa longueur. La robe est dorée, le nez marqué par les agrumes et la minéralité.
Le lendemain, bouchonné…
Une autre bouteille, offerte par Thierry Debaisieux qui s’était rappelé que le même 1998 bu chez lui m’avait beaucoup plu, a été servie plus tard en soirée, sans aucune préparation, servie à température de cave (12°). La robe est cette fois d’un or plus pâle, le nez se montre très agréable, fait d’agrumes et de minéralité, la bouche est très bien équilibrée, ample et très longue, je retrouve la très belle bouteille bue chez Thierry. Le lendemain, par contre, tout cela semble à nouveau moins net, apparemment bouchonné, et je ne peux exclure avec certitude que le bouchon a été remis à l’envers sur la bouteille. Je lui offre donc le bénéfice du doute.
Coulée de Serrant 1997- **
A l’ouverture, tant le niveau que le bouchon sont parfaits. La robe est légèrement trouble, or voire ambrée. Le nez présente un net caractère oxydatif.
Le lendemain, la robe et le nez se présentent de manière identique, avec des notes oxydatives sur la pomme blette qui masquent tout le reste (s’il y a un reste…). L’attaque en bouche présente une petite sucrosité, de la souplesse, un manque de tonus, et une finale de longueur moyenne marquée elle aussi par une forte amertume.
Coulée de Serrant 1996 - ***
A l’ouverture, le niveau est très légèrement bas, le bouchon fortement moisi sur le dessus et totalement imbibé. La robe est dorée, le nez peu expressif, légèrement terpénique.
Le lendemain, la robe est d’un or pâle, la plus claire de la série à ce stade. Le nez semble paradoxalement réduit, très fumé, sur des notes de pain grillé, sans qu’on puisse sentir grand chose d’autre derrière. La bouche montre une belle acidité, certes, mais manque d’ampleur et la longueur est moyenne. Bien, sans plus, mais pas beaucoup de plaisir tout de même pour le seul millésime de Coulée qu’il me reste désormais en cave, annoncé comme grandiose à sa naissance et dans les quelques années qui ont suivi.
Coulée de Serrant 1995 - *(*)
A l’ouverture, le niveau est normal et le bouchon de très bonne qualité, quasiment pas entamé. La robe est ambrée voire brune et le nez oxydé.
Le lendemain, il n’y avait bien entendu aucune raison pour que cela s’arrange, robe brune, nez totalement oxydé, en bouche il se montre sec, acide et court. A fuir. Le pire, c’est que je ne peux même pas penser que c’est une bouteille qui a mal évolué, car elle correspond trait pour trait à celle bue il y a plus de 8 ans avec mon club de dégustation, recrachée avec dégoût par la tablée entière de 15 personnes. Certains amateurs bien plus calés que moi m’avaient alors expliqué à l’époque que j’avais du confondre oxydation avec réduction, que la forte minéralité de la Coulée donne un vin de caractère à ne pas mettre entre toutes les mains, bref que je n’avais rien compris à ce vin. CQFD…
Coulée de Serrant 1994 - ***
A l’ouverture, le niveau est normal, le bouchon est quant à lui imbibé sur plus de 90 % de sa hauteur. La robe est dorée, le nez discret, mais sans gros défaut apparent.
Le lendemain, la robe est d’un or pâle, peu évoluée, le nez très agréable, aromatique, minéral et exotique, évoquant un riesling (c’est dire si j’ai apprécié), voire légèrement muscaté. La bouche n’est malheureusement pas à la hauteur des attentes, dominée par la fraîcheur, d’ampleur moyenne et bien trop courte. Dommage, j’y ai cru l’espace d’un instant…
Coulée de Serrant 1990 - *(*)
A l’ouverture, le niveau est normal, le bouchon fortement moisi sur le dessus et totalement imbibé. La robe est d’un or assez prononcé, le nez semble pétrolé, un peu douteux sur des notes moisies.
Le lendemain, la robe n’a pas changé mais le nez est alors très fumé, semble paradoxalement réduit, sans que rien d’autre ne puisse percer. En bouche, l’attaque est grasse, large, puis, très rapidement, plus rien, finale courte nous donnant une bonne idée de ce qu’est le vide intersidéral…
Coulée de Serrant 1988 - *(*)
A l’ouverture, le niveau est normal, le bouchon moisi sur le dessus, bien imbibé, contrairement à moi lorsque j’écris ces lignes. La robe est jaune paille, le nez agréable sur des notes minérales et exotiques.
Le lendemain, le nez est encore une fois marqué par des notes fumées envahissantes, masquant le reste de la palette aromatique. Sur la bouche, pas grand-chose à dire hormis que l’acidité est terrifiante. A ce stade je constate que les dégustateurs, déconfits, commencent à ne plus espérer qu’une chose, que leur calvaire finisse enfin…
Coulée de Serrant 1985 - *(*)
A l’ouverture, le niveau est normal, le bouchon moisi sur le dessus, présente une légère coulure mais sans plus. La robe est jaune paille, peu évoluée, le nez est terpénique et exotique.
Le lendemain déchante une fois encore, avec un nez peu expressif, très marqué par le soufre, et une bouche à l’acidité déchaussante et à la finale amère, comme je le suis moi-même quand je me mets à songer au prix déboursé pour monter une telle dégustation et au peu de plaisir qu’elle me procure ainsi qu’à mes invités.
Coulée de Serrant 1983 - *(*)
A l’ouverture, le niveau est le plus bas de la série, deux doigts en dessous du bouchon. Celui-ci présente beaucoup de moisissures sur le dessus et est complètement imbibé. La robe est jaune paille, le nez légèrement pétrolé.
Le lendemain, la robe semble toujours aussi jeune (malgré l’âge et le niveau assez bas) ce qui fais suspecter une forte présence de soufre, confirmée au nez duquel se dégage aussi des notes citronnées. En bouche, l’acidité est une nouvelle fois bien trop imposante et m’empêche d’analyser plus loin ce breuvage si je veux conserver un minimum de muqueuse gingivale.
Coulée de Serrant 1974 - *(*)
Une bouteille offerte par Thierry Gobillon, que je remercie au passage. A l’ouverture, le niveau est légèrement bas, mais moins que celui du 1983, tandis que le bouchon, totalement imbibé, ne résiste pas à la traction et se brise lamentablement en deux. La robe est brune, le nez oxydé.
Le lendemain, le constat ne saurait être que le même, vin oxydé, passé, qu’il repose en paix.
C’est maintenant Thierry qui me remercie de l’avoir débarrassé de cette bouteille aujourd’hui médiocre.
Coulée de Serrant – Moelleux 1995 - ***(*)
A l’ouverture, le niveau est très légèrement abaissé, le dessus du bouchon est noir de moisissure, totalement imbibé. La robe est dorée, le nez exotique et légèrement terpénique.
Le lendemain, la robe, d’un bel or, contraste avec celle de la version classique du même millésime, bien plus évoluée. Le nez est très agréable, minéral, sur les agrumes confits, avec peut-être un peu de volatile et une petite note encaustique. En bouche, l’acidité est belle, l’équilibre est celui d’un beau demi-sec, sans lourdeur, avec une longueur correcte, voire même un peu plus. Un peu de douceur dans un monde de brutes.
Conclusion
Que dire de plus que ce qui a déjà dit, à part confirmer l’étendue de la déception générale devant ces 15 bouteilles dont à peine un tiers obtient la moyenne et à mon sens aucune l’excellence. J’en sors personnellement avec beaucoup de questions et très peu de réponses. Comment expliquer ce décalage entre nos impressions, désastreuses, et les louanges quasi généralisées lues dans la presse spécialisée ? Comment peut-on croire que Michel Bettane a bu les mêmes bouteilles que nous quand il affirme sans rire dans son dernier ouvrage que «
la Coulée de Serrant a été portée à un niveau de qualité époustouflant par Nicolas Joly » ? Comment encore accorder du crédit à cette presse spécialisée qui semble se contenter de déguster ce qu’on lui apporte sur un plateau, bouteilles soigneusement sélectionnées par certains producteurs avides de reconnaissance médiatique mais manifestement peu enclins à soigner de la même manière l’ensemble de leur production ?
Comment peut-on à ce point mettre en avant une méthode de conduite du vignoble, en être à ce point aveuglé qu’on en arrive à se soucier aussi peu du résultat dans le verre ? Tout cela reste pour moi à ce stade totalement incompréhensible, mais j’aurai tout de même obtenu une réponse définitive à une de mes interrogations, celle de savoir s’il était encore d’une quelconque manière justifiable pour moi de dépenser 50 € pour une bouteille de Coulée de Serrant. Je vous laisse deviner la réponse…
Luc