J'avais oublié de poster ce petit CR, fait il y a quelques mois
Il y a quinze ans, Robert Creus, un amateur de vin, dit à son père : ‘Papa, si on achetait une vigne pour faire notre propre vin’. Ainsi commença l’histoire avec 2 hectares de vignes dans la commune de Saint-Christol, entre Nîmes et Montpellier dans le pays de l’Hérault. Avec un pressoir fait maison, un égrappage à la main, on était loin d’un domaine qui produisait pour vendre son vin dans le monde entier. Quelques tonneaux donnèrent de bons résultats, ils firent goûter le vin à plusieurs producteurs, dont Emmanuel Reynaud du Château Rayas qui les encouragea à prendre de l’expansion vu la qualité du vin.
Quinze ans plus tard ils ont 4 hectares de vignes plantées en Carignan, Syrah, Grenache et Tempranillo, Lucien Creus s’occupe du domaine au quotidien tandis que Robert travaille toujours pour supporter sa famille. Tous les matins à l’aube, l’ancien professeur de langue, ayant travaillé de par le monde, se lève pour bichonner et mieux comprendre ses vignes. Pas de label bio ou autre, on traite un peu, on met un peu de souffre, pas de tentative de rejoindre un mouvement ou de se plier à la mode du jour. Ici on fait un vrai vin d’artisan, pour les amateurs qui se soucient de la qualité du jus, non pas de l’appellation ou des notes des critiques. Un vin de table qui est aujourd’hui présent sur plusieurs des tables les plus réputées dans le monde, comme quoi quand on fait bon, la qualité est remarquée et notre produit recherché.
Ainsi après avoir été séduit par une vidéo trouvée au hasard, j’étais curieux, la lecture de plusieurs comptes rendus augmenta l’envie, puis mon passage à Nîmes récemment me donna l’occasion de goûter ces vins et surtout de rencontrer l’un de leurs auteurs.
La rencontre avec Lucien Creus fût concluante, bardée d’histoires, avec très peu de sérieux et beaucoup plus de bonne humeur, de rires et de simplicité. Sans formation technique, Lucien Creus a discuté à gauche à droite avec des vignerons pour comprendre comment entretenir la vigne puisque pour lui c’est simple, du bon raisin fait du bon vin. Ce n’est pas la première fois que j’entends cela, mais il m’en convainc insistant sur le fait que le vin se fait tout seul ou presque si on rentre du bon raisin. Des rendements faibles, un amour de la vigne, des prises de risques pour avoir le meilleur raisin possible, surtout pas d’artifices. Ce sont surtout des copains et amateurs qui les aident à vendanger, comme quoi le petit producteur peut faire mieux qu’une pile de liasses.
Sur un terroir de galets roulés, les Creus produisent plusieurs cuvées, toutes meilleures les unes que les autres, on commence doucement puis voyant notre intérêt et notre enthousiasme, M. Creus trouve sans arrêt une autre bouteille à nous faire déguster :
Les Bruyères (2010 ou 2011?) fait de Carignan et élevé en cuve, présente une belle expression de fruit, c’est encore un peu brut, mais frais, agréable avec déjà de la profondeur et de la longueur.
Guilhem 2010 est leur seul vin d’assemblage, composé de Grenache, Carignan et Tempranillo, également le seul vin qui m’a moins interpellé, ne me paraissait pas tout à fait intégré à ce stade, mais un an ou deux de bouteille me feront certainement changer d’opinion.
Léonie 2006 est issu de vieux Carignans, élevés en fût, c’est fin et séducteur dès le premier nez, du fruit frais et une impression de fraicheur. En bouche on retrouve ce fruit rouge et noir ainsi que la salinité de certains Carignan, magnifique expression de ce cépage qui donne beaucoup de fraicheur avec une belle acidité en plus, que je n’avais retrouvé que dans certains rares Priorat dans le passé.
Los Abuelos 2005, ma copine et moi étant des fans de grenache, on est bien servi ici. Forte réduction à l’ouverture mais qui se dissipera pour laisser place à un nez complexe sur la cerise, la fraise et le cassis ainsi que de la réglisse. En bouche le fruit est certes mûr mais sans être compoté ou lourd avec de la garrigue et de l’anis, l’acidité supporte le tout mais sans se faire ressentir. La texture est ce qui démarque ce vin du lot pour moi, c’est soyeux avec des tannins très fins que l’on ne ressent que si l’on garde le vin en bouche une dizaine de secondes et qui portent le vin sur une très longue finale.
Sylvie 2008, moitié serine (plantée par les Creus) moitié syrah, le nez laisse entrevoir certaines caractéristiques variétales, violette, poivre, c’est léger avec un fruit plus charmeur que les syrah du Rhône nord. En bouche on reconnait encore une fois le cépage mais avec un accent sudiste, c’est plein, long, velouté. Encore bien jeune, demandera certainement quelques années de bouteilles pour s’affiner.
Cuvée 2005 en fût 5 ans, on a un vin légèrement oxydatif au nez mais en bouche à peine avec des notes de kirsch, de réglisse, de poivre et de ronce. Le vin réchauffe, on sent un peu l’alcool sans que ce ne soit capiteux, par contre cela s’accorde parfaitement au style du vin qui tire vers le Banyuls malgré que la technique d’élaboration n’a rien à voir. À siroter lentement avec des copains, contrairement aux précédents qui étaient réellement des vins de table, ici c’est pour moi un vin de méditation. La moitié de cette cuvée a été embouteillée après 5 ans en fût, l’autre moitié sera embouteillée après 10 ans de fût.
????, Raisins vendangés très tard qui nous donnent un sucre résiduel malgré les 15 degrés d’alcool, se rapproche d’un Amarone. Pas d’étiquette, vin difficile à décrire, que je n’ai pas l’habitude de rencontrer, pour moi une belle curiosité, c’est sucré, doux en bouche avec des notes de fruit cuit, des épices, envoutant.
Ces deux dernières cuvées montrent bien l’esprit d’expérimentation et la volonté de prendre des risques et de ne pas s’imposer de balises des Creus.
Ainsi s’est terminé mon voyage en Terre Inconnue, le plus magique de cette aventure est de découvrir que de simples amateurs peuvent devenir de grands vignerons, et même si peu le feront, c’est toujours encourageant pour des passionnées que de réaliser cela.
PS. Merci à Marc de Wolf et sa vidéo su le domaine, grâce à qui j'ai fait ce très beau voyage