oliv écrivait [size=small](il y a déjà quelque temps
)[/size] :
Le vin d'Arbois au Moyen Age
Roger Dion
Annales de Géographie - Année 1955 - Volume 64 - Numéro 343
www.persee.fr/web/re...
[size=large]Dans cet article très intéressant, l’auteur mentionne notamment le poème épique du
Tournoi de Chauvency (1285), dans lequel un chevalier -Henri de Briey- s’adresse au trouvère Jacques Bretex, amateur du "cru d’Erbois"
[size=medium](sic)[/size] qui était connu et apprécié dès cette époque à la cour du roi et jusqu'au Nord de la France :
"Jaquest, fait-il, foi que devez
Au vin d'Erbois que vos bevez,
Car nos contez un sarmons d'armes,
Mellé d'amors et de tex charmes,
De force et de sa vertu.
("Jacquet, fait-il, par la foi que vous devez
au vin d'Arbois que vous buvez,
déclamez-nous donc un discours d'armes,
où vous mêlerez l'Amour, ses charmes,
sa force et sa vertu." )[/size]
(vv. 4473-4477)
[size=large]Roger Dion évoquait également dans son article le fameux passage du
Cinquième Livre de
Rabelais, où la renommée du plant d'Arbois au XVI
e siècle le rend digne de figurer parmi les cépages plantés aux abords du "temple de la Dive Bouteille" (la note d’une édition de 1741 parle à son propos d’une "sorte de vin blanc, doux et piquant"
) :
"Approchans au Temple de dive Bouteille, nous convenoit passer parmy ung grand vinoble faict de toutes especes de vignes, comme Phalerne, Malvoisie, Muscadet, Taige, Beaulne, Mirevaulx, Orleans, Picardent, Arbois, Coussi, Anjou, Grave, Corsicque, Vierron, Nerac et aultres. Le dict vignoble feut jadis par le bon Bacchus planté avecques telle benediction que tous temps il portoit fueille, fleur et fruict, comme les orangiers de Suraine."[/size]
(
Cinquième Livre, chapitre XXXIV.)
[size=large]Au hasard de mes lectures, j’ai croisé récemment d' autres références au vin d’Arbois dans la littérature classique : la première sous la plume de
Jean-Jacques Rousseau, qui écrit dans ses
Confessions, à propos de la période où il est placé à Lyon comme gouverneur d’enfants, en 1740, et où on lui confie imprudemment le soin de la cave... :
"J'avais tout à fait perdu chez Maman le goût des petites friponneries, parce que, tout étant à moi, je n'avais rien à voler. D'ailleurs les principes élevés que je m'étais faits devaient me rendre désormais bien supérieur à de telles bassesses, [...] et j'aurais grand’peur de voler comme dans mon enfance si j'étais sujet aux mêmes désirs. J'eus la preuve de cela chez M. de Mably. Environné de petites choses volables que je ne regardais même pas, je m'avisai de convoiter un certain petit vin blanc d'Arbois très-joli, dont quelques verres que par-ci par-là je buvais à table m'avaient fort affriandé. Il était un peu louche [size=medium][= trouble][/size] ; je croyais savoir bien coller [size=medium][= clarifier][/size] le vin, je m'en vantai, on me confia celui-là; je le collai et le gâtai, mais aux yeux seulement; il resta toujours agréable à boire, et l'occasion fit que je m'en accommodai de temps en temps de quelques bouteilles pour boire à mon aise en mon petit particulier. Malheureusement je n'ai jamais pu boire sans manger. [...]. Mais aussi quand j'avais une fois ma chère petite brioche, et que, bien enfermé dans ma chambre, j'allais trouver ma bouteille au fond d'une armoire, quelles bonnes petites buvettes je faisais là tout seul, en lisant quelques pages de roman ! [...].
Je n'ai jamais été dissolu ni crapuleux, et ne me suis enivré de ma vie. Ainsi mes petits vols n'étaient pas fort indiscrets : cependant ils se découvrirent; les bouteilles me décelèrent. On ne m'en fit pas semblant, mais je n'eus plus la direction de la cave."[/size]
(Première partie, Livre sixième)
[size=large]Contemporain de Rousseau, ayant vécu lui aussi à Genève
puis en France voisine toute proche, à Ferney (Ain),
Voltaire était un adepte du végétarisme qui aimait les plaisirs de la table. Grand amateur de vins fins (le Corton rouge et blanc, en particulier), il avoue dans une de ses lettres "donne[r] d’assez bon vin de Baujolois
[size=medium][Beaujolais][/size] a mes convives de Geneve, mais je bois en cachette le vin de Bourgogne"
Mais c'est grâce au vin d’Arbois qu’il vit en songe, dans l’au-delà, le "grand Bacchus" parmi "Mille héros connus par les bienfaits / Qu'ils ont versés sur la race mortelle".
"Je veux conter comment la nuit dernière,
D'un vin d'Arbois largement abreuvé,
Par passe-temps dans mon lit j'ai rêvé
Que j'étais mort, & ne me trompais guère."[/size]
(
Le Songe Creux, conte en vers de 1776)
[size=large]Un peu plus près de nous, au milieu du XIX
e siècle,
Théophile Gautier fait le récit de son voyage en Italie qui le fait passer par le Jura et Genève, où il arrive vraisemblablement par le col de la Givrine. Les boutiques
Essencia et
Epicurea existaient-elles déjà en 1850 à Poligny ?...
Toujours est-il que c’est dans la «capitale du comté» que Théophile Gautier trouva, non pas un vin de la production locale, mais une bouteille d’arbois :
"Nous avons bien peur d’avoir marqué notre premier pas sur la terre étrangère par un acte de paganisme, une libation au soleil levant ! L’Italie catholique, qui sait si bien s’arranger avec les dieux grecs et romains, nous le pardonnera ; mais la rigide Genève nous trouvera peut-être un peu libertin. Une bouteille de vin d’Arbois, achetée en passant à Poligny, jolie ville au pied de la muraille jurassique qu’il faut franchir pour sortir de France, fut bue par nous au premier rayon du jour ! Phœbo nascenti ! [size=medium][au soleil naissant][/size] Ce rayon venait de nous révéler subitement, au bas des dernières croupes de la montagne, le lac Léman, dont quelques plaques miroitaient sous la brume argentée du matin."[/size]
(
Italia, chapitre I.)
[size=large]Au XVI
e siècle, Henri IV avait fait du «vin d’Arboys» son vin de prédilection. Le bon roi Henri figure d’ailleurs aujourd’hui sur les étiquettes du domaine Daniel Dugois :
Dans son roman
La Reine Margot publié en 1845,
Alexandre Dumas (père) met en scène le roi Henri de Navarre, futur Henri IV de France : ayant un rendez-vous incognito dans une auberge de Paris, celui-ci demande un souper avec "du bon vin d'Arbois". Il n’aura malheureusement pas le temps de le déguster, devant fuir de l’hôtel par les toits pour échapper à une embuscade tendue par la reine Catherine de Médicis.
"Coconnas était dans la cuisine avec La Hurière, regardant tourner six perdreaux, et discutant avec son ami l'hôtelier sur le degré de cuisson auquel il était convenable de tirer les perdreaux de la broche.
Ce fut en ce moment que Henri frappa. Grégoire alla ouvrir, et conduisit le cheval à l'écurie, tandis que le voyageur entrait en faisant résonner ses bottes sur le plancher, comme pour réchauffer ses pieds engourdis.
– Eh ! maître La Hurière, dit La Mole tout en écrivant, voici un gentilhomme qui vous demande.
La Hurière s'avança, toisa Henri des pieds à la tête, et comme son manteau de gros drap ne lui inspirait pas une grande vénération :
– Qui êtes-vous ? demanda-t-il au roi.
– Eh ! sang-dieu ! dit Henri montrant La Mole, monsieur vient de vous le dire, je suis un gentilhomme de Gascogne qui vient à Paris pour se produire à la cour.
– Que voulez-vous?
– Une chambre et un souper.
– Hum ! fit La Hurière, avez-vous un laquais ?
C'était, on le sait, la question habituelle.
– Non, répondit Henri ; mais je compte bien en prendre un dès que j'aurai fait fortune.
– Je ne loue pas de chambre de maître sans chambre de laquais, dit La Hurière.
– Même si je vous offre de vous payer votre souper un noble à la rose, quitte à faire notre prix demain ?
– Oh ! oh ! vous êtes bien généreux, mon gentilhomme ! dit La Hurière en regardant Henri avec défiance.
– Non ; mais dans la croyance que je passerais la soirée et la nuit dans votre hôtel, que m'avait fort recommandé un seigneur de mon pays, qui l'habite, j'ai invité un ami à venir souper avec moi. Avez-vous du bon vin d'Arbois ?
– J'en ai que le Béarnais n'en boit pas de meilleur.
– Bon ! je le paie à part. Ah ! justement, voici mon convive."[/size]
(Deuxième partie, chapitre XV. "L’hôtellerie de la Belle-Étoile" )
[size=large]Dans son
Grand Dictionnaire de Cuisine paru en 1873, le gourmet et (trop) gourmand Alexandre Dumas classera l’Arbois dans "la liste des vins dont la cave d'un amphitryon de nos jours doit être garnie", "les premiers crus du territoire d'Arbois" dans la catégorie des
Vins fins rouges français, "Château-Châlon, Arbois et Pupillin" au rang des
Vins fins blancs français, et "Les Arsures, Salins, Marnoz, Aiglepierres et deuxièmes d'Arbois" parmi les
Vins grands ordinaires rouges français. "L'Etoile et Quintigny" figurent avec les
Grands ordinaires blancs français, et "Voiteur, Ménetru, Poligny" avec les
Vins rouges ordinaires de France, soit "ceux qui fournissent la quantité la plus considérable des vins de consommation courante et dont le commerce est le plus important". Et pour la bonne bouche, voici comment Alexandre Dumas ouvre la longue entrée "Vins" de son dictionnaire : "Nous voilà arrivés à un point tellement important de la gastronomie et surtout de la gastronomie moderne que nous nous croyons dans la nécessité d'ouvrir une parenthèse. Il s'agit du vin, c'est-à-dire de la partie intellectuelle du repas : Les viandes n'en sont que la partie matérielle."
Plus récemment, juste après la Guerre,
Marcel Aymé (un enfant du pays comtois !) raconte au tout début de sa nouvelle
Le Vin de Paris la "funeste disposition", "dans un village du pays d’Arbois, [d’]un vigneron nommé Félicien Guérillot qui n’aimait pas le vin" - pas même celui qu’il produisait, bien qu’"il possédait les meilleures vignes de l’endroit comme aussi la meilleure cave". Et Marcel Aymé de nous gratifier de cette philosophie bien enracinée dans le terroir
:
"Félicien, en effet, n’aurait su avouer qu’il n’aimait pas le vin. C’eût été comme de dire qu’il n’aimait pas ses enfants et pire, car il arrive partout qu’un père en vienne à détester son fils, mais on n’a jamais vu au pays d’Arbois quelqu’un ne pas aimer le vin. C’est une malédiction du ciel et pour quels péchés, un égarement de la nature, une difformité monstrueuse qu’un homme sensé et bien buvant se refuse à imaginer. On peut ne pas aimer les carottes, les salsifis, le rutabaga, la peau du lait cuit. Mais le vin. Autant vaudrait détester l’air qu’on respire, puisque l’un et l’autre sont également indispensables."
Enfin, dans un tout autre registre,
Jacques Brel citait le vin d'Arbois dans sa chanson
Le Dernier Repas :
"A mon dernier repas
[...] je veux qu'on y boive
En plus du vin de messe
De ce vin si joli
Qu'on buvait en Arbois".[/size]
On conclura en beauté avec un ultime hommage aux nectars arboisiens à travers cette formule pénétrante et inspirée d’un bel esprit contemporain :
« Les chiens arboient, et la caravane passe »
[size=small](Phil the best,
Méditations lpviennes, Genève, 2015)[/size].
Voilà, ce sera tout pour l’instant, et vous voyez que ça valait la peine d’arriver jusqu'ici !
- Quand j’aurai relu
L'Espagnol de Bernard Clavel, je tâcherai de publier le célèbre passage de la dégustation du vin jaune...