Un titre à la mords-moi le neuf
mais bon faut bien attirer le lecteur…
En fait il s’agit de notre soirée annuelle consacrée aux vieux millésimes jurassiens, nous autres les « Copains du Vin » groupe informel de dégustateurs bisontins. Tous les ans à la même époque on fait péter les vieilles boutanches, l’an dernier le thème était « Quitte ou double », (j’en avais parlé sur feu mon blog), cette année on part sur une horizontale de 1979. Une des fameuses années jurassiennes en 9… Un millésime réputé de bonne qualité et de bonne garde.
Toutes les bouteilles sont ouvertes au moment du service, sauf les jaunes qui ont été débouchés à midi pour le soir. Aucun carafage. Neuf personnes autour de la table, service à l'aveugle.
Les deux rouges :
Robe orangée madérisée, nez très évolué, giboyeux. En bouche le vin est très marqué par l’acidité, décharné, il est mort et bien mort.
Arbois Poulsard 1979, Domaine de la Pinte, Arbois.
Robe carrément marron, bien claire… Nez peu causant, un peu de grillé, de vagues notes de cuir et de kirsch laissent un peu d’espoir. En bouche c’est pas complètement désagréable, mais désespérément plat. Un vin passé, moins gravement que le précédent, mais bien passé quand même, il n’ a plus rien à dire.
Arbois-Pupillin 1979 Tête de Cuvée, Pierre et Georges Bouilleret, Pupillin.
Damned, d’entrée de jeu, les deux rouges sont officiellement déclarés décédés, la soirée commence mal. Espérons que nous n’allons pas être tenus à ce rôle de médecin légiste pour le reste des bouteilles! On passe aux blancs, qui heureusement vont considérablement faire remonter le niveau, tant en qualité qu’en plaisir.
A l’œil, le premier vin est magnifique… une superbe robe dorée, qui semble presque fluorescente, presque animée d’une lueur intérieure, une couleur que j’ai rarement vue dans un vin du Jura. Le nez est très grillé, ça sent le sac à pain, le café, mais il y a encore du fruit. En bouche, beaucoup de matière, de longueur, et un bel équilibre, il arrive probablement au bout de son plateau de maturité, mais sans lourdeur… Le vin est très rond, gras, et donne l’impression d’un « moelleux sec ». Une bouche miellée, au toucher très suave, très probablement un chardonnay de l’avis général, ample et généreux, il remplit magnifiquement la bouche. Très belle bouteille.
Côtes du Jura blanc 1979, Alain et Josie Labet, Rotalier.
Le vin suivant présente lui aussi une très belle robe dorée bien marquée, brillante, quoique moins spectaculaire que celle du Labet. Le nez est tout d’abord beurré, lacté, sur la pomme, avec une légère pointe oxydative. En bouche, belle attaque encore fraîche, gros volume et encore une grosse structure acide. Comme souvent chez ce producteur, l’impression de jeunesse est assez incroyable. Le nez s’ouvre et se complexifie, sur des notes de grillé, de noisette, de champignons, une pointe de marc, beaucoup de finesse, une acidité en dentelle, une finale sur les agrumes et une petite amertume, de grande persistance. C’est encore un monstre de puissance, avec une réserve d’acidité qui le tiendra debout encore bien des années.
Arbois Chardonnay St Paul 1979, Camille Loye, Arbois.
La beauté de la robe de notre 3e blanc ne dépare pas… là aussi, un très bel aspect visuel et une belle teinte dorée. Le grillé du chardonnay se dégage au premier nez, avec encore des notes de fruits jaunes et une pointe miellée. La bouche présente un bel équilibre, avec de la rondeur, de l’acidité aussi, une belle fraîcheur mais pas la puissance du St Paul. En valeur absolue c’est encore une très jolie bouteille, qui souffre un peu de passer derrière le Camille Loye car moins démonstrative et quand même un ton en dessous. Un vin plus évolué, le nez délivre après un temps d’ouverture des notes de fenouil, voire d’artichaut, un peu inattendues, mais qui rentre bien dans le tableau général .
Arbois blanc 1979 Cuvée des Docteurs, Lucien Aviet, Montigny les Arsures.
Le nez du dernier blanc est peu causant à l’ouverture, en revanche la bouche offre une superbe équilibre, dans un style plus oxydatif, sur la noix, la pomme, les fruits secs, assez classique, très jurassien. La bouteille tient son rang parmi les trois autres de par sa très grande finesse alliée à beaucoup de puissance, sa minéralité, son élégance, son équilibre, ceci du début jusqu’à la finale, sans faiblesse et avec beaucoup de longueur. Débat pour savoir s’il s’agit d’un chardonnay ou d’un savagnin, pour moi c’est un chardonnay dans un registre oxydatif.
L’Etoile 1979, Coopérative Vinicole de l’Etoile.
A noter qu’il existe la même bouteille, même millésime, même habillage, simplement la collerette porte la mention supplémentaire « Réserve »… Je note dans mon agenda : « prévoir un jour une dégustation comparative des deux cuvées. »
Ce quatuor de chardonnay a été le moment fort de la soirée. Chacun dans son style, mais tous encore en pleine possession de leurs moyens, le Labet arrivant quand même tout doucement au bout de son évolution. Beaucoup de plaisir en tout cas sur ces bouteilles qui ont passé la trentaine sans coup férir. Il est temps de s’attaquer aux clavelins.
Un jaune bien en finesse pour commencer, des notes florales, de la minéralité, assez léger, le fossé n’est pas énorme avec le vin précédent. La noix est là, avec un côté pierre à fusil aussi… C’est assez fin , bien élégant, certains convives parlent d’un jaune féminin. En voilà un qui cache cependant bien son jeu : tout léger, tout gentil en attaque, il envoie les chevaux en finale et c’est long et savoureux, avec une belle acidité. Un clavelin bien agréable.
Côtes du Jura Vin Jaune 1979 GAEC des frères Grand, Passenans.
Un nez assez puissant, sur la noix encore fraîche, les épices. Belle attaque polie, un jaune bien équilibré mais qui finit un peu en creux, avec un poil d’amertume trop percpetible en finale, et un petit côté brûlant. On est un niveau en dessous du précédent, la puissance au nez ne se retrouve pas en bouche.
Château Chalon 1979, Fruitière Vinicole des Producteurs de Château Chalon, Voiteur.
url=http://www.hostingpics.net/viewer.php?id=983593DSCN0236.jpg]
[/url]
Du dernier verre de jaune de la soirée émanent des arômes de noix verte, de bouillon, avec une connotation terreuse, austère, assez minérale. On retrouve tout ça en bouche, avec de l’amertume, de l’acidité mal fondue dans l’ensemble. Un vin raide, brut de décoffrage, ce n’est pas la finesse qui le caractérise. La finale marquée encore par l’amertume et l’acidité n’apporte aucun plaisir. Une caricature de ce que je n’aime pas en jaune. Le comté, étonnamment fruité, onctueux et sans excès de sel malgré ses 36 mois d’âge, ne parvient même pas à arrondir l’ensemble. Il viendrait d’être mis en bouteille, il aurait une excuse, mais là…
Château Chalon 1979 Louis Florin, Voiteur.
On a pas fait que boire, on s’est aussi bien tenu à table : cake à la saucisse de Morteau sur les deux rouges, pause sur les 3 premiers blancs, puis sur le dernier blanc et les 3 jaunes le poulet au vin jaune et aux morilles puis deux beaux comtés, dont le 36 mois susnommé, en général je préfère des comtés plus jeunes sur des jaunes, mais celui-là était parfait. Et on a fini par une crème brûlée au vin jaune. Merci à Anne et Juju pour leur accueil et leur cuisine.
Partez pas, c'est pas fini... Quatre jour plus tard, je reviens sur les fonds de bouteille des deux Château Chalon.
Le nez du Fruitière 79 s’est ouvert, à la noix s’est ajouté un côté fruité, épicé, avec une impression de rondeur. On sent les années, avec ce petit côté fruits secs, du marc, c’est assez complexe et bien fondu, avec une finale alcooleuse toutefois.
En bouche, c’est presque plat, peu expressif, comme éteint, le vin ne déploie plus la puissance et l’ampleur qu’on attend d’un Château Chalon. Sur du comté, il reste aux abonnés absents.
Le nez du Florin 79 est assez agressif, sur la noix verte, une pointe de vernis et un côté piquant. C’est monolithique et toujours austère. Très présent encore en bouche, toujours dans ce registre austère et brutal, avec une forte acidité. Finale sur la noix, avec toutefois une amertume beaucoup plus fréquentable, et une grande longueur. Sur du comté, un mariage intéressant et ma foi bien agréable se fait enfin, l’onctuosité du fromage vient adoucir l’acidité et se fondre dans une belle et longue finale, le fromage poussant un peu plus loin le vin et vice-versa.
Moralité : l’ouverture des clavelins n’est vraiment pas une science exacte ! Les 4 jours à l’air qui ont flingué le Fruitière ont permis au Florin de se montrer sous un jour un peu plus favorable.
Concernant les illustrations : pas de photos prises le soir de la dégustation, et dans ma hâte de récupérer les étiquettes pour ma petite collection, j’ai négligé de photographier certaines bouteilles dans leur jus, d’où ces illustrations d’étiquettes qui font un peu papillons épinglés dans une vitrine, désolé. La belle collerette du Bouilleret 79 qui mentionnait « Tête de Cuvée » n’a pas résisté à la tentative de décollage. Cliquez sur les photos pour les voir en format plus grand.
Cordialement,
Tophe