J’invite régulièrement mon fils et une dizaine de ses copains à un WE oenophile, dont le moment fort est une dégustation dans ma cave personnelle autour d’un tonneau. Naturellement, ma chère et tendre vient accompagner chaque bouteille d’une bouchée adaptée …
Le principe est de déguster à l’aveugle, de commenter le vin, et de trouver le cépage exclusif ou majoritaire, en se mettant d’accord, par persuasion ou par vote.
Et le verdict est implacable : pour revenir l’année suivante, il faut avoir au moins la moyenne !
Champagne R de Ruinart
La robe est claire et le nez bien ouvert. On y dénote du citron, du pain grillé et des épices.
La bouche, à la bulle très fine sur le palais, penche du côté de l’élégance, sans manquer de corpulence.
C’est bon, simple et classique.
Bien +
Avec les traditionnelles galettes de pomme de terre du Berry, l’accord est réussi, sans surprise.
Mes jeunes invités sont partagés et une très courte majorité l’emporte pour le chardonnay par rapport au pinot noir. Pas de chance, dans le vin c’est l’inverse (60 % PN, 40 % C) … Je crois que l’on peut néanmoins leur accorder un demi-point.
Jasnières Mont Idée de Chistophe Croisard 2011
La robe est d’un bel or assez clair.
Le nez montre une sacrée puissance : même les enrhumés sentent les épices (poivre, clou de girofle) et des notes crayeuses rares.
L’attaque est étonnamment grasse, le milieu de bouche est plus tendre et avenant que le nez, avant une finale amère (trop pour certains) et sapide.
Bien
L’accord est tout à fait correct avec des rillettes de sardine !
Certains ont un peu navigué mais se sont vite rallié à la majorité ayant reconnu un chenin de Loire. +1
Condrieu Domaine de Rochevine (Cave de Saint Désirat) 2009
La robe est d’un or bien soutenu.
Le nez est explosif sur l’abricot sec, avec des notes de mirabelle et de clou de girofle.
La bouche est dotée d’une grande richesse et d’une belle suavité, même si l’élevage sous bois paraît trop présent, en participant encore sans doute à l’amertume prégnante de la finale. Celle-ci s’adoucit avec bonheur sur des crevettes au curry doux et à la noix de coco.
Bien ++
Certains jeunes ont découvert le viognier, et l’ont bien apprécié, les plus aguerris l’ont très vite reconnu, même si on aurait souhaité un peu plus de finesse. +1
Mondeuse Harmonie Domaine Trosset 2009
La robe est assez sombre et encore parée de beaux reflets violacés.
J’ai été déstabilisé par le nez : à l’ouverture de la bouteille, juste avant carafage, il se montre d’un classicisme d’école : mûre et poivre ; à peine le temps de servir tout le monde, je replonge mon nez dans le verre d’où se dégagent des notes animales qui masquent tout le reste ; enfin, après 5 à 10 mn d’aération dans le verre, je retrouve le fruité et les épices …
La bouche, elle, a clairement choisi son camp : c’est le fruité qui l’emporte d’une courte tête sur de beaux arômes poivrés, avant que des tanins encore saillants ne s’imposent sur la finale.
Un vin attendri par de la viande des Grisons (accord montagnard !), mais certainement à attendre encore au moins 2 à 3 ans pour qu’il se civilise un peu.
Bien +
L’équipe se montre elle aussi déstabilisé par ces arômes très changeants et pour certains dérangeants. Elle s’oriente vers du cabernet franc avant qu’un membre lance un « Et si c’était de la mondeuse ? ». Un partenaire qui a fait un séjour récent en Savoie confirme et les voilà sur le droit chemin ! Bingo : +1
Et moi qui voulais les piéger …
Saumur Champigny Bruno Dubois 2009
Une découverte pour moi, ce vigneron, et une bonne découverte !
La robe est sombre et jeune.
Le nez dévoile une intensité moyenne, avec des fruits noirs, du poivron rouge bien mûr et quelques légères notes animales (rien à voir avec la mondeuse précédente).
La bouche est d’une fraîcheur remarquable ; le fruité acidulé, un trait végétal et une grande rectitude procurent à ce vin une grande buvabilité, sans se départir d’une chair gourmande.
Le vin fait face avec honneur lorsqu’on lui propose un pâté de campagne maison très goûteux et remarquablement réussi.
Bien ++
Les jeunes n’hésitent pas trop, il y en a bien un qui tente un timide « gamay », mais le cabernet franc emporte rapidement la mise.
Encore +1.
Ils deviennent redoutables …
Nuits-Saint-Georges 1er cru Les Vaucrains Jean Chauvenet 1999
La robe est relativement claire, mais pas tellement pour un Bourgogne de cet âge, et marque un début d’évolution.
Le nez est très intense mais surtout d’une grande complexité : griotte, rose fanée, épices, bois précieux, sous-bois, champignons … C’est beau !
La bouche est dotée d’un corps et d’une charpente que je n’attendais pas … Le fruit a gardé un très bel éclat, la fraîcheur et la texture de velours sont superbes, la finale plus sur la finesse que l’attaque.
L’accord avec le même pâté de campagne (quelle bonne idée d’en avoir prévu assez pour deux vins !) est remarquable.
C’est grand ! Pour certains, le vin de la soirée.
Très bien ++
Partis sur des cépages fruités, ayant hésité avec le grenache en raison de la belle chair du vin, c’est sans doute le côté plus septentrional qui a orienté l’équipe vers un grand pinot noir de Bourgogne. +1
Saint-Estèphe Cos d’Estournel 1980
Un de mes jeunes invités avait amené cette bouteille sortie de la cave de son père qui a accumulé les belles étiquettes d’un âge honorable.
Le bouchon est parti en morceaux et s’est même effrité …
La robe est assez claire et montre vraiment des signes d’évolution.
Le nez est intense, sur de beaux arômes tertiaires assez variés : tabac, bois précieux, cuir, sous-bois …
La bouche est axée sur la finesse, même marquée par une certaine acidité, mais ce vin a encore de belles choses à raconter, notamment sur sa finale d’une bonne persistance.
Bu pour lui-même, car non prévu au départ.
Très bien +
Dégusté à l’aveugle, l’équipe partait sur un vieux Bordeaux quand le gentil pourvoyeur s’est exclamé : « mais c’est mon Cos ! ». Donc pas de point attribué sur ce vin qui sera sorti du décompte final, mais c’était bien vu, même si l’âge du vin (plus vieux qu’eux) les a surpris.
La prédominance des arômes tertiaires, comme dans le précédent mais de façon plus exacerbée, les a fait également toucher du doigt qu’il est plus difficile de reconnaître les cépages des vins vieux.
Haut-Médoc Sociando-Mallet 2003
La robe est sombre et encore très jeune !
Le nez exhale d’intenses arômes de café, puis de chocolat et des arômes balsamiques d’une grande finesse.
La bouche est ronde, charnue, d’une belle austérité et se conclut par une finale très longue d’une grande fraîcheur.
Bien entendu, l’accord est réussi avec un carré d’agneau grillé.
Très bien +
Il y a eu débat entre les tenants du merlot (rondeur, en fait apportée par le millésime) et ceux du cabernet sauvignon (rigueur). Ces derniers l’ont emporté et ont eu raison ! +1
Saint Chinian Mas Champart Causses du Bousquet 2009
La robe est sombre (normal, il y a 70 % de syrah) et très jeune (normal, c’est 2009).
Le très beau nez oscille entre fruits noirs (mûre, cassis) et épices orientales.
La bouche joue sur un très bel équilibre, entre fruité, finesse et chair savoureuse.
Très bel accord avec une daube de canard à l’orange, très goûteuse elle aussi.
Déjà un vin voluptueux, qui va sans doute encore gagner en complexité.
Très bien
La syrah n’a pas tardé à être reconnue, même si elle était placée en Rhône septentrional …
mais cela fait encore +1 …
Côtes du Jura Savagnin Domaine des Marnes Blanches Empreintes 2008
Je n’ai pas pris beaucoup de notes sur ce beau vin typé, certes sur la noix mais pas « too much », d’un bel équilibre et d’une grande finesse. L’accord avec un comté de 24 mois était forcément génial !
Encore une réussite de ce jeune vigneron talentueux.
Bien ++
Un vin de voile du Jura ayant été identifié très vite, restait à savoir si c’était du savagnin ou du chardonnay majoritaire … Le vote s’est porté sur le savagnin, et encore une fois bonne pioche ! +1
Maury Mas Amiel 1980 (magnum)
La robe est d’un bel acajou clair.
Le nez est très expressif, sur les fruits compotés, les fruits secs, le bois précieux.
La bouche est grandiose par ses arômes complexes, son toucher à la fois velouté et poudreux, et sa longueur phénoménale.
L’accord s’est révélé bon sur un bleu des Causses, et excellent sur un mi-cuit au chocolat tout aussi excellent.
Merci à Thierry qui m’avait offert cette très belle bouteille !
Très bien ++
Bon, là, pas trop de débats pour annoncer « grenache » d’une seule voix. +1 bien sûr !
Au final, si je compte bien, cela fait 9,5 / 10 !!!!!!!!!!! X(
Décidément ils sont forts ces jeunes … et ils pourront revenir l’an prochain.
Bien sûr on pourra dire que les vins étaient typés, mais à ce niveau de résultat, chapeau !
Amitiés oenophiles,
Jean-Loup