Un dîner au Laurent autour de la truffe noire
Comme je l'ai déjà expliqué en ces colonnes à de nombreuses occasions, le Président Mauss est un homme qui affiche de nombreuses qualités !
Sa générosité jamais surjouée, sa force de persuasion comme sa capacité à l'auto-dérision sont reconnues et appréciées de tous ceux qui ont un jour croisé le verre, l'assiette ou la simple causerie avec lui.
Mais une des choses que j'admire le plus chez François, c'est son enthousiasme face aux belles choses de la vie et sa capacité à ne jamais s'enfermer dans les certitudes blasées de celui qui a pourtant déjà tant vécu.
Il y a chez lui cette magnifique faculté d'émerveillement qui interdit aux hiérarchies trop établies de vous étouffer de leurs certitudes sédimentées, celles qui finissent par ne plus parler qu'aux experts qui ont tout vu, tout bu mais qui sont seuls avec leur savoir.
Cette volonté de découvrir et de faire découvrir, de partager et de faire profiter chacun de ce potentiel que l'autre a à lui offrir, c'est véritablement ce qui rend à mes yeux cet homme génial et rarissime dans ce monde d'experts où les discussions de salon ressemblent trop souvent à des sudations bouffies en vase clos entre intellectuels étouffés d'une culture élitiste qu'ils ne savent plus transmettre.
Le Président aura donc réuni ce soir là des personnalités aussi diverses qu'éminentes, qui représentant des Arts (le charmant violoniste Nicolas Dautricourt et son Stradivarius, le musicologue et brillant poète Alain Duault, le taquin dessinateur Voutch), qui des sciences (l'astrophysicien de renom Jean Audouze, au savoir-être modeste et discret, le jeune et brillant neurobiologiste, grand connaisseur en vins, Gabriel Lepousez), de la médecine (toujours avoir un chirurgien à sa table, en cas d'urgence, ça peut servir !) comme du monde du vin et de la gastronomie (le grand chef Alain Dutournier, à l'accent et à la faconde si généreuse, l'autre LPV et expert en vins, Laurent Vialette et le néo retraité qui connait la maison mieux que personne, l'immense Philippe Bourguignon).
Donc pas besoin de vous dire que l'Oliv au milieu d'un aréopage d'un tel niveau, il plie sous double mètres en quatre pour se faire tout petit et il ouvre grand son bec et ses oreilles pour profiter au mieux de chaque seconde des plaisirs intellectuels et gourmands des grands moments qui s'annoncent !
Ah oui, au fait, la thématique du soir, c'est la Mélano !
Mais quelque chose me dit que vous vous en seriez aperçus tout seuls...
En piste !
Maison Trimbach, Riesling, Frédéric Emile, 2008
Robe claire, sur un doré très léger.
Beau nez fin et droit, sur la peau d'agrumes, le citron vert enrobé de délicates notes minérales (naphte) dans un ensemble très élégant.
Bouche à l'attaque laser, sur une construction élancée et ultra tonique mais à l'acidité structurelle parfaitement intégrée à une matière dense à cœur et qui permet d'éviter tout effet de morsure ou de déséquilibre.
Les goûts sont en pleine phase avec les aromes du nez, sans exubérance mais d'une grande précision.
Finale qui claque sur le palais, salivante et désaltérante tout en laissant une superbe et longue impression d'extraits secs. J'adore !
Splendide !
Domaine des Comtes Lafon, Meursault-Genevrières 1er cru, 1997
Robe vieil or.
Nez nettement évolué mais pas abimé, où un bouquet complexe exprime l'âge du vin par des notes de fruits secs, sur le toffee, la tarte au noix de pécan mais avec encore du fruit (citron confit) qui rafraichit l'ensemble.
Bouche riche, à l'attaque ample qui tapisse immédiatement le palais d'une matière grasse mais sans mollesse grâce à l'apport moteur d'une belle acidité.
Les goûts sont pâtissiers, sur des notes de pâte brisée bien beurrée sortant du four.
Finale agréable, un peu replète à mon goût toutefois, en particulier à côté du tonus remarquable du Frédéric Émile.
Bien à très bien mais je pense qu'il ne faut plus attendre.
Truffe fraiche, artichauts et radis noir en vinaigrette
Château La Gaffelière, Saint-Emilion, 1955
Magnum
Robe sur un beau grenat clair, très légèrement évolué.
Nez au joli bouquet classiquement bordelais, droit mais agréable car sans austérité, sur le cuir, des notes d'encre et d'épices qui répondent bien à de jolies senteurs de confiture de fruits rouges.
En soi, la bouche semble en dessous du nez, sur une structure légère un peu faiblarde à coeur.
Mais la magie de l'accord va totalement transformer le vin, l'étirant, lui donnant comme une structure et une allonge qu'il n'avait pas en dégustation seule, relançant son caractère fondu aux tanins imperceptibles et qui pouvait sembler un peu léger jusque là.
Son aromatique répond parfaitement aux notes truffées, la gastrique qui accompagne le feuilleté semblant le réveiller pour provoquer alors un délicieux accord bourgeois d'une totale évidence et plaisir.
Très bon !
Truffe noire en feuilleté
Plat absolument magnifique d'équilibre et de noblesse, avec une truffe plus proche de la boule de pétanque que du cochonnet...
La cuisine française classique, c'est quand même quelque chose, en particulier pour mettre les vins en valeur !
Bouchard Père & Fils, Beaune Grèves 1er cru, Vigne de l'Enfant Jésus, 1961
Magnum
Robe rubis foncée d'une jeunesse incroyable pour un vin de cet âge, à peine marquée d'un léger orangé.
Nez agréable, un peu comprimé à l'ouverture et qui va se détendre lentement pour libérer à l'aération un très joli ensemble totalement bourguignon de notes de petits fruits rouges (framboise) et d'épices douces matinées d'un léger grillé poivre blanc.
Bouche puissante et mobile, incroyable de jeunesse (on dirait un vin de 10 à 20 ans max), sur une réelle densité de texture et de matière, nerveuse à cœur, avec comme encore un potentiel conséquent pour intégrer ses éléments, notamment des tanins encore perceptibles.
Finale remarquable de persistance mais c'est dingue de constater que ce vin énergique (qui n'a jamais bougé d'une cave parfaite selon Laurent Vialette) n'est d'évidence de toucher de bouche pas encore totalement fondu.
Je comprends comment la maison Bouchard peut proposer d'extraordinaires vins de plus d'un siècle quand je vois le niveau de ce cinquantenaire.
Très bien !
Château La Cabanne, Pomerol, 1989
Robe grenat assez claire et tuilée sur l'extérieur du disque.
Nez serré, assez mat, avec une pointe animale qui prend un peu le pas sur les notes épicées (thé de Noël).
Bouche assez linéaire, sur une matière veloutée mais qui semble manquer de reliefs et de capacité de relance.
Si les goûts sont sans défaut, ils sont assez simples et sans réelle complexité d'expression.
La finale est trop légère et s'éteint très rapidement.
A boire.
Noix de ris de veau truffée, macaroni farcis et gratinés
Plat une nouvelle fois somptueux de maîtrise et de classicisme, d'une précision de texture et intensité de goûts absolument parfaits pour mettre les vins en valeur.
Grand moment ! Un de plus !
Domaine de Nays-Labassère, Jurançon, 1988
Robe sur un beau doré très brillant.
Nez somptueux, envoûtant, précis et puissant à la fois et où se répondent des senteurs minérales et truffées enrobées de notes fraiches de fruits exotiques (fruit de la passion), de confiture de coing et de caramel blond. Quelle classe !
Bouche remarquable de maitrise et de concentration, d'une grande jeunesse encore, sur une liqueur à la richesse sans excès car parfaitement mobilisée par une acidité puissante et salivante qui évite tout effet de lourdeur.
La complexité aromatique du nez s'exprime également en bouche dans un ensemble terriblement savoureux et qui concilie une grande puissance d'expression à une élégance certaine.
La finale claque sur la langue et prolonge longtemps ses goûts délicieux, portée par une vraie générosité .
Superbe !
Des mystères de la truffe, du petit manseng et de l'ortolan par Alain Dutournier
Domaine de la Romanée Conti, La Tâche, 1996
Robe grenat claire sans trace de réelle évolution.
Très beau nez de pinot en vendange entière, quand une légère brise mentholée excite des notes croquantes de petits fruits rouges frais, entre la groseille et la framboise fraichement ramassée. Tout est frais dans ce nez !
Bouche à l'attaque énergique propulsée par une acidité haute mais qui, dans son expression froide, s'étire encore et encore sur le palais sans jamais s'abimer dans une morsure pas mure ou un déséquilibre.
La tenue de bouche et le déroulé du vin sont remarquables, sur une présence et une droiture certaine mais sans austérité et ce même si le vin reste encore assez ferme et comme un peu réservé aromatiquement.
La finale semble encore très jeune, se resserrant autour de tanins présents mais sans aucune sécheresse.
C'est vraiment très bon mais je pense que le meilleur est encore à venir sur cette bouteille très jeune encore.
Très bien.
Domaine Macle, Château-Chalon, 2003
Robe sur un doré assez léger.
Beau nez, très expressif et assez puissant, sur la tarte aux noix, la poudre de curry et des notes de fruits jaunes en arrière plan. Aucune charge alcoolique n'émane du verre.
Très belle bouche à la puissance de corps parfaitement contenue et mobilisée par une superbe acidité qui porte et relance le vin en créant un effet de scansion qui lui donne un cachet et une allonge terribles.
Finale puissante aux goûts francs, sur une matière concentrée mais carénée là encore par cette magnifique acidité.
Superbe vin !
Brownie et ganache chocolat
Etko, Commandaria, Centurion, 2000
Robe acajou assez claire, on voit presque au travers.
Très beau nez gourmand et noble, sur le caramel au lait, le chocolat mousseux, la datte, des notes de fruits secs et d'épices douces.
Bouche délicieusement juteuse, où une sucrosité bien posée mais sans une once d’empâtement est portée par une très belle acidité dans un ensemble à la fois gourmand et aérien.
Les goûts sont francs, d'une grande complexité, toujours sur la datte et la praline et le vin possède une buvabilité remarquable, sans aucune présence de vapeurs d'alcool ou de caractère roboratif.
Finale longue et gourmande, avec un vrai caractère et originalité.
Délicieux !
Les explications du chef, Alain Pégouret
Comme toujours lors des grands moments, la soirée a passé à la vitesse de la lumière, emplie de merveilleux plaisirs gourmands et de bonheurs intellectuels, de musique et de poésie, de mots de lettres et d'esprit.
Des instants pareils vous font vous sentir meilleur.
Et dire que j'ai même pas eu le temps de demander à Jean Audouze une explication rationnelle du phénomène (la physique du temps, hein, pas son petit frère)... .
Oliv